Tendances Première

Quel rôle joue 'la constante macabre' dans l’échec scolaire ?

© Pixabay

'La constante macabre', c’est un thème particulièrement d’actualité en cette période d’évaluation de nos enfants et ados, dans la mesure où cette notion explique pourquoi un certain nombre d’élèves est condamné à échouer. Explications avec le psychopédagogue Bruno Humbeeck.

Le concept de 'la constante macabre' a été mis en évidence par le français André Antibi, professeur de mathématiques, chercheur en didactique, qui a lutté toute sa vie contre l’échec scolaire et contre le sentiment d’échec chez les élèves. Il vient de décéder.

André Antibi

"Je l’ai vu avoir un enthousiasme d’enfant pour se préoccuper des enfants et des adolescents, pour éviter que l’école soit cette machine à broyer", souligne Bruno Humbeeck, qui lui rend hommage.

"La seule chose qu’on peut faire pour un pédagogue dans ce cas-là, c’est faire vivre ses idées, notamment lorsqu’elles sont, comme celles-ci, porteuses de bonnes pratiques d’évaluation."

Qu’entend-on par 'constante macabre' ?

André Antibi est le premier à avoir mis cette notion en évidence. On sentait bien qu’effectivement, on a tendance, quand on évalue un groupe d’élèves, à répartir, suivant une courbe de Gauss, 10% d’excellents, qui ont des résultats au-dessus de la norme, et 10% qui sont condamnés à échouer.

Un enseignant, devant sa première feuille à corriger, va avoir tendance, sauf si elle est catastrophique, à mettre une note dans la moyenne. Autour des premières feuilles, il tend ainsi à organiser une forme de médiane, et puis à partir de là, il va répartir les notes suivant une courbe de Gauss, ou courbe en cloche.

C’est lié à cette façon qu’on a de se représenter une collectivité, explique Bruno Humbeeck : "Mon examen, si je veux qu’il soit crédible, il faut qu’il y ait des échecs". On l’entend chaque année au CEB, quand on dit qu’il était trop facile ou trop difficile.

Comme si c’était une évidence qu’une évaluation devait nécessairement produire du dégât pédagogique et donc de la disqualification !

95% des enseignants ne sont que vaguement conscients qu’ils pratiquent cette constante macabre. Ce n’est pas quelque chose qu’ils font volontairement. "Il y a une norme attendue, y compris de l’extérieur. On se dit que le prof est trop laxiste et que, s’il n’a pas d’échecs, c’est que ses examens sont trop faciles. Ce qui explique aussi la réserve que les enseignants ont à être eux-mêmes évalués, de crainte que cette tendance macabre ne se manifeste sur eux aussi."

Reconsidérer l’évaluation

Il faut expliquer encore et encore qu’une évaluation ne doit normalement servir ni à qualifier ni à disqualifier, mais simplement à faire le point sur les connaissances. Il faut éviter que les examens ne deviennent des machines à broyer.

Les parents ne doivent pas attendre d’un examen qu’il qualifie leur enfant uniquement en disqualifiant les enfants des autres. L’épreuve, c’est ce qui fait souffrir. Si vous présentez les choses comme une épreuve, qui prend la forme d’un examen, vous dites à l’enfant : tu vas souffrir pour être qualifié ou disqualifié. Alors qu’il faut lui dire : on va faire le point sur tes connaissances.

André Antibi était un passionné de l’évaluation intelligente, à savoir prendre son temps avec l’enfant pour vérifier où il en est, pour voir où on doit, avec lui, reprendre son parcours. Il ne supportait pas le mot 'redoubler'. Redoubler, ça signifie recommencer de la même façon. Et donc re-rater. Non, il faut prendre le temps de faire autrement, d’analyser les erreurs. De vérifier ce qui n’est pas assez connu et ce qui est bien connu, de façon à relancer la mécanique.

André Antibi avait donc instauré 'les contrats de confiance' entre l’élève et les adultes. Il proposait des évaluations attendues, plutôt que des examens susceptibles de créer la surprise. Les questions étaient données à l’avance de façon à éviter les terribles questions pièges. Cela permet à l’élève de démontrer ses compétences sans être obligé de faire une performance.

Le CEB prend souvent la forme d’un examen alors qu’il devrait être une évaluation du niveau de compétence. Ce qui crée beaucoup d’anxiété chez les parents et donc chez les enfants.

Ce qui va être mesuré au CEB, c’est en grande partie la capacité qu’aura l’enfant à gérer cette anxiété.

Plaisir d'apprendre

"Ce qu’on a critiqué dans la constante macabre, c’est que finalement, c’était le sceau de l’évidence. Et c’est vrai que parfois la pédagogie, c’est l’art de mettre des mots sur des choses qui sont évidentes", observe Bruno Humbeeck.

C’est évident qu’on veut mesurer les compétences des enfants, leur niveau atteint et pas leur niveau attendu. Le but n’est pas d’être excellent, mais de maîtriser les compétences. L’école doit de plus en plus être à même d’organiser des parcours de compétences, plutôt que de délivrer des trajectoires diplômantes.

Il faut que les enfants aient du plaisir à apprendre, ne perdent jamais confiance ni en eux, ni dans les adultes, ni dans les institutions, pour pouvoir continuer à apprendre et se sentir valorisés dans cet acte d’apprentissage.

Comment peut réagir le parent ?

La pression, c’est ce qui écrase. Il faut au contraire être détendu et se donner les moyens de comprendre ensemble où l’enfant en est par rapport au parcours de compétences.

Bruno Humbeeck rappelle que les fautes de distraction n’existent pas, ce sont juste des compétences qui ne sont pas installées, parce que pas assez entraînées. Comme elles ne sont pas devenues des automatismes cérébraux, la charge cognitive est trop forte.

Il faut faire des exercices, de manière totalement sereine. Et se donner les moyens d’expliquer ce qui n’est pas compris : pas nécessairement par le parent, ni par un expert, mais avec un copain de classe ou un cousin, qui vient seulement d’acquérir la compétence.

Le rythme d’apprentissage est singulier chez chaque enfant, en particulier pour les mathématiques. Il ne faut pas essayer de faire entrer au burin dans la tête de l’enfant ce qui doit y entrer 'par insight', sous peine de faire un dégât considérable.

Les examens sont ces mécanismes par lesquels un enfant peut se déclarer nul en maths. Et on va très vite du 'nul en maths' à 'bête en tout'. Et c’est terriblement dangereux.

Tendances Première: Les Tribus

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