Kurtag, en toute humilité, estimait ne jamais pouvoir atteindre le niveau de ces prédécesseurs, et notamment d’Anton Webern. C’est pour comprendre, pour saisir cette musique, que Kurtag décide de recopier, après la seconde Guerre, toute l’œuvre de Webern, qu’il admire. Et cet acte aura un impact considérable sur la musique de Kurtag. Car les deux hommes partagent une caractéristique commune dans leur musique : la concision.
Et cette concision va de pair avec un autre paramètre, la densité. Leur musique est respectivement brève et concise mais elle n’en est pas moins d’une extrême densité : ils disent en très peu de mots musicaux, c’est-à-dire en très peu de notes, l’essentiel de leur idée, la quintessence de leur projet musical. Gyorgy Kurtag explique qu’il travaille, au fond, à partir d’une seule et unique note.
Quand il parle du chant grégorien, par exemple, ce chant liturgique du Moyen-Âge, qui l’inspire, Kurtag explique que tout le texte chanté tourne autour d’une seule note, d’une note unique. D’autres notes sont utilisées pour ponctuer et marquer les frontières de la phrase, mais au fond, il s’agit d’une seule note. Tout le travail de Kurtag, en s’inspirant notamment de Webern, est de donner à cette note unique la place centrale qu’elle mérite. Ensuite, comme un sculpteur, il vient modeler cette note, comme un marbre.
Composer, un travail douloureux
Mais ce travail coûte à Gyorgy Kurtag. Il raconte que la composition est un travail douloureux pour lui. S’il a une idée prédéfinie, en se disant quelque part “C’est ça ! que je vais composer”, il n’y arrive jamais, il passe à côté de l’essentiel. Il estime que c’est la composition elle-même qui se révèle au compositeur, pas l’inverse ! Pendant tout un temps, il a été tellement en difficulté, tellement peu satisfait de son travail que seule la rencontre avec la psychanalyste Marianne Stein a pu le sortir de l’ornière subjective dans laquelle il se trouvait.
Après ce travail sur lui-même, à Paris, Kurtag a donc pu composer "sa" musique ! Non sans difficulté, il faut le dire, mais il a pu trouver enfin son langage propre, fort de ses inspirations, comme Webern mais aussi Bartok bien sûr, notamment pour la musique traditionnelle, bien qu’il la traite tout à fait différemment que son prédécesseur.
Kurtag était l’un des amis les plus proches d’un autre compositeur hongrois, Gyorgy Ligeti, dont on célébrera le centenaire ce 29 mai. Ils étaient camarades de classe puis amis intimes mais, pour autant, leurs musiques respectives sont singulièrement différentes, passionnantes chacune à leur façon. Gyorgy Kurtag, indissociable du duo qu’il forme avec son épouse Marta, disparue en 2019, est donc le maître absolu de la musique de l’épure et de l’essentiel, tout son catalogue est à découvrir et à redécouvrir sans plus tarder.