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Quel est l’impact écologique de la nouvelle conquête de l’espace ?

Tendances Première: Le Dossier

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Par Nadine Wergifosse via

Entre découvertes scientifiques, stratégie militaire et développements technologiques, l’espace fascine et suscite l’émerveillement. Par ailleurs, la voûte céleste se transforme peu à peu en un gigantesque marché économique, un terrain de jeux où des milliardaires rêvent de colonisation spatiale et de voyages touristiques. Analyse avec Laure de Hesselle, auteure du dossier d’Imagine Le grand marché spatial, Emmanuel Jehin astrophysicien à l’ULiège, maître de recherches au CNRS et président du Groupe Astronomie de Spa et Jurgen Knödlseder, astrophysicien à l’Université Paul Sabatier de Toulouse (l’IRAP) pour Tendances Première.

Laure de Hesselle, journaliste à la revue belge Imagine, constate l’ouverture d’un nouveau champ commercial : "Début 2000 il y a eu un basculement et nous en voyons maintenant les résultats avec l’arrivée de nouveaux pays et de nouvelles sociétés privées. Jusqu’aux années 2000, des sociétés liées à l’aviation ou à l’électronique recevaient des commandes de l’Etat : USA, Russie, Europe. A la suite des catastrophes de navettes explosées, la Nasa a décidé d’ouvrir le marché avec des appels d’offres publics dont Elon Musk a profité. Lui et d’autres milliardaires dont Jeff Bezos, Richard Branson développent en parallèle un marché privé de tourisme et de stations spatiales".

Une présence spatiale qui entraîne des risques de collision et une pollution de l’observation

Il y a désormais embouteillage dans l’espace tant les initiatives de conquête se multiplient.

Emmanuel Jehin astrophysicien à l’ULiège, commente : "Cela devient problématique, surtout pour les astronomes professionnels avec les débris spatiaux mais surtout les mégas constellations de satellites qui sont prévus dans les années à venir par SpaceX avec la constellation Starlink soit 50.000 satellites en orbites basses. Ce sont des programmes commerciaux pour du haut débit de connexion dont on peut se demander l’utilité" déplore le chercheur qui poursuit : "Cela va poser problème pour les astéroïdes qui sont menaçants pour la terre détectés à l’aide des télescopes qui ciblent les objets en mouvement. Il est temps de réguler ces problèmes pour éviter une pollution excessive comme on le voit sur terre".

Selon Laure de Hesselle, la problématique des débris spatiaux, morceaux de fusée, vieux satellites qui ont subi des collisions, pose la question des limites.

Une préoccupation partagée par Jurgen Knödlseder, astrophysicien : "Les particules de suie et d’aluminium sont émises par une fusée dans toutes les couches dont la stratosphère. Il se produit une perturbation du cycle de l’eau sur terre et un réchauffement qui détruit la couche d’ozone. Avec l’ampleur du déploiement prévu, cela va devenir une préoccupation".

Impact écologique du secteur spatial : l’Europe s’en soucie plus que les autres

Jurgen Knödlseder regrette que les agences spatiales mesurent peu leur impact excepté l’agence européenne qui malheureusement publie très peu. Il précise que par ailleurs, beaucoup de données ne sont pas accessibles au public. Selon ses calculs, en 2018, tout le secteur spatial a produit 6000 tonnes de CO2, soit 5% de ce qu’a produit la Belgique la même année avec 124 millions de tonnes. Mais les projections estiment une production de plus en plus rapide avec 120 millions de tonnes chaque année pour le seul secteur spatial : "Comme tout humain qui se questionne sur son impact face au changement inquiétant du climat, nous nous sommes demandé quel était l’impact carbone au sol ou dans l’espace de nos activités. Les laboratoires ont un fort impact : béton, métal, électronique, miroirs pour les instruments d’observation plus leur fonctionnement et la climatisation qui nécessitent une grande consommation électrique".

Réduire la consommation d’énergie comme pour toutes autres activités sur terre est une préoccupation très européenneL’ESA, l’agence spatiale européenne veut réduire de moins 43% d’ici 2030 son empreinte carbone. À titre de comparaison, en 2022, cinq lancements ont eu lieu en Europe contre 75 pour les Etats-Unis.

Pollution des fusées versus celle des avions

En 2022, on a pourtant constaté une pollution spatiale infime avec 180 tirs de fusée contre 100.000 vols journaliers d’avion.

Pour Emmanuel Jehin astrophysicien à l’ULiège, il s’agit de nuancer et de comparer : "En 2022, pour 100.000 vols journaliers d’avion, on a 180 tirs de fusée dans l’espace. L’émission de CO2 d’une fusée qui va aller en orbite équivaut à un vol Paris-New York. Vu les améliorations technologiques et les études de la terre dont nous bénéficions tous, ces vols spatiaux en valent 'le coup'. Cette pollution réalisée par la conquête spatiale existe, mais est infime par rapport à la pollution des avions et le transport routier. Si le tourisme spatial se développe à grande échelle ce sera un problème mais aujourd’hui, on n’est pas du tout dans une problématique de grosse pollution".

Télescope James Webb lointaine exploration de galaxies. Collage spatial de science-fiction. Sciences de l’astronomie. Éléments de cette image fournie par la Nasa – Photos
Télescope James Webb lointaine exploration de galaxies. Collage spatial de science-fiction. Sciences de l’astronomie. Éléments de cette image fournie par la Nasa – Photos © Getty Images

Des sondes spatiales qui aident à détecter les problèmes sur la Terre

Pour Emmanuel Jehin astrophysicien à l’ULiège, il est nécessaire de regarder le positif des recherches spatiales : "On a lancé l’année dernière le télescope James Webb qu’il a fallu dix ans pour construire et les informations qu’il nous amène aujourd’hui sont d’une incomparable qualité par rapport à ce que l’on faisait il y a dix ans. Des lancements de sondes spatiales, que ce soit par l’Europe ou la Nasa, on les compte sur les doigts d’une main sur une année. Augmenter notre connaissance est une de nos plus belles raisons de vivre en tant qu’être humain. Le progrès est incomparable même si je reconnais qu’il va toujours plus vite".

De son côté, Jurgen Knödlseder ne nie pas cette connaissance nouvelle, mais il pointe une perpétuelle fuite en avant et une compétition qui s’installe avec l’arrivée de la Chine. Pour lui, il est nécessaire de réfléchir de "comment on fait de la science ?" et de décarboner le secteur.

Des constellations de satellites qui doivent être réglementés

Emmanuel Jehin explique que la collaboration entre l’Europe et les USA est toujours bien présente.

Au niveau du commercial par contre, une forte compétition règne : "Ces programmes de méga constellation sont vraiment un problème car leur utilité est très relative : pas de retour de connaissance de la terre et de l’univers. Elon Musk tire une fusée par semaine pour déployer ces satellites dont on peut se passer. L’observation des champs, des feux, des océans cela fait aussi partie des recherches spatiales des équipes scientifiques".

La nécessité d’une réglementation est nécessaire pour l’avenir rappelle l’astrophysicien, qui conclut : "Si le tourisme de masse se développe dans l’espace, les risques restent extrêmement dangereux. Selon moi, on est encore très loin des prévisions commerciales annoncées".

► Découvrez l’intégralité de ce podcast de Tendances Première ci-dessus.

La fusée Falcon 9 de SpaceX le 21 mai au Kennedy Space Center.
La fusée Falcon 9 de SpaceX le 21 mai au Kennedy Space Center. © Paul Hennesy/Anadolu Agency via Getty Images

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