Belgique

Que sont ces "slots" pour lesquels les compagnies aériennes volent à vide afin de les conserver ?

Aviation / Vols sans passagers pour conserver les créneaux horaires

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Le groupe Lufthansa va devoir opérer 18.000 vols à vide, faute de passagers, dont environ 3000 vols pour sa filiale belge, Brussels Airlines. Ce sont les règles européennes qui contraignent les compagnies à voler si elles veulent conserver leurs "slots", ces créneaux horaires qui autorisent une compagnie à décoller d’un aéroport ou à y atterrir à un moment précis. Pour conserver ces droits d’opérer, les compagnies doivent réaliser au moins 80% des vols prévus. Pour certains, dont le ministre belge de la Mobilité, c’est un non-sens économique et écologique. Et de demander à la Commission européenne d’assouplir les règles.

Les slots, une nécessité pour organiser le trafic dans les aéroports

Un slot aérien est un créneau horaire. Il détermine le droit qu’a une compagnie aérienne de faire décoller ou atterrir un avion dans un aéroport. C’est une manière d’organiser le trafic dans l’aéroport, "puisque tout le monde ne peut pas arriver en même temps", explique Waldo Cerdan, ancien pilote de ligne. Impossible d’imaginer un aéroport, celui de Bruxelles, par exemple, où tous les avions atterriraient ou décolleraient quand bon leur semble, en particulier aux heures de pointe. "Donc, on fait une répartition et on s’organise de telle sorte qu’il y ait un maximum de compagnies ou d’avions qui puissent venir à l’aéroport sans créer un engorgement", explique Waldo Cerdan.

Plus les aéroports sont grands et fréquentés, plus la répartition est délicate. "Forcément, il y a plus de gens qui veulent venir que de places disponibles. Donc, il y a quand même une compétition entre les compagnies pour avoir des slots. C’est précieux", précise Waldo Cerdan.

Comment les compagnies obtiennent-elles des slots ?

Dans chaque pays, chaque année, la répartition des slots est examinée par une autorité. Des discussions se font entre cette autorité, les compagnies aériennes et les aéroports. C’est un peu le modèle d’une bourse d’échange où les compagnies font valoir leurs droits à conserver tel ou tel créneau horaire, où elles peuvent aussi prétendre à obtenir de nouveaux créneaux. Il y a des critères d’attribution.

L’aspect historique joue. D’une année à l’autre, une compagnie a le droit de conserver ses slots. C’est ici que la réglementation européenne entre en ligne de compte. Pour continuer à opérer un vol d’un aéroport donné à un moment précis, la compagnie doit avoir effectué 80% des vols dans ce créneau. "L’Europe a émis une réglementation au début des années 90 de telle sorte à pouvoir augmenter l’efficacité et obligeant les compagnies à utiliser au minimum 80% des slots dont elles sont détentrices", explique Waldo Cerdan. La raison ? "Eviter que l’on bloque des positions et qu’on empêche ainsi des concurrents de venir", poursuit Waldo Cerdan.

Si dans un aéroport, il reste des slots qui ne sont pas utilisés par des compagnies en place, ces créneaux peuvent être attribués à d’autres compagnies aériennes, soit celles déjà actives dans cet aéroport, soit d’autres qui souhaiteraient y développer leurs activités.

Les slots ont une grande valeur pour les compagnies aériennes

Les slots deviennent très vite des denrées rares, très prisées des compagnies dans les aéroports les plus fréquentés. Pour pouvoir décoller de Bruxelles, de Paris ou Francfort aux heures de pointe, par exemple, il y aura beaucoup plus de candidats que d’élus…

Les slots acquièrent dont une valeur marchande. Lorsque la Sabena a été mise en faillite, les slots qu’elle possédait à l’aéroport de Londres ont été vendus par la curatelle. "Tout le monde voulait aller à Londres et cela représentait une somme rondelette", souligne aujourd’hui Waldo Cerdan.

Lorsqu’on a créé la compagnie SN Brussels Airlines, sur les cendres de la Sabena, les dirigeants ont tenu à garder les nombreux slots que la Sabena possédait en Afrique. Le réseau africain de la compagnie était un trésor à préserver. Encore aujourd’hui, ces slots "africains" sont l’un des points forts de la compagnie Brussels Airlines, filiale de Lufthansa.

Il arrive que les compagnies s’échangent des slots. Il arrive aussi que, dans certains pays ou certains aéroports, elles les vendent. A Londres, par exemple, Air France-KLM a revendu une paire de créneaux horaires à Oman Air pour la modique somme de 75 millions de dollars en 2016.

La valeur d’un slot variera en fonction de l’offre et la demande. La rareté d’un slot le rendra précieux. "C’est un patrimoine que les compagnies ont et qu’elles veulent garder. Sans slot, on ne peut pas faire de business", souligne Waldo Cerdan.

Pour un acteur du transport aérien, racheter une compagnie ou fusionner avec celle-ci est aussi un moyen de mettre la main sur des slots intéressants. Ce n’est pas pour rien que Lufthansa s’est intéressée à Brussels Airlines, par exemple.

Extrait de notre 19h30

La règle des 80% de vols à effectuer pour conserver des slots est-elle immuable ?

La Commission européenne a fixé cette règle de 80% de vols à effectuer pour qu’une compagnie puisse conserver des slots dans un aéroport.

Peut-elle abaisser ce seuil ? Elle en a en tout cas la possibilité. Lors de la première vague de l’épidémie de Coronavirus, les compagnies aériennes européennes ont été confrontées à une réduction drastique du nombre de passagers et de leurs activités. A cette occasion, la Commission européenne avait abaissé à 50% des vols le seuil à atteindre pour qu’une compagnie conserve ses créneaux horaires.

C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, alors que les compagnies sont à nouveau confrontées à une réduction importante du nombre de passagers à cause de l’épidémie, certaines voix se font entendre pour demander à la Commission européenne de diminuer à nouveau les exigences pour les compagnies. Le ministre belge de la Mobilité, Georges Gilkinet (Ecolo) a ainsi écrit la Commission. "J’ai écrit à la Commission européenne pour assouplir les règles au moins pendant le temps du Covid et accepter que les compagnies ne volent pas pour rien pour conserver leurs droits d’atterrir et de décoller dans les aéroports principaux, parce que cela n’a pas de sens", explique le ministre Gilkinet.

Le ministre rejoint ainsi les arguments de la compagnie Brussels Airlines qui demande aussi un assouplissement de la réglementation.

La situation pandémique actuelle "montre bien les limites d’un système", analyse Waldo Cerdan, ancien pilote, "puisque si on veut respecter cette règle, qui a du sens par elle-même, on grève les compagnies de coûts supplémentaires".

Les vols à vide, une aberration économique et écologique

Pour ceux qui remettent en question cette règle européenne, il s’agit de dénoncer un non-sens économique, car les compagnies aériennes, déjà en difficulté financière, dépense de l’argent pour voler à vide. C’est aussi un non-sens écologique, car on consomme du kérosène et on produit du CO2 sans transporter de passagers.

Si l’on s’intéresse aux seuls 18.000 vols que le groupe Lufthansa devra opérer à vide, "18.000 vols intra-européens, cela émet environ 700.000 tonnes de CO2", explique Noé Lecocq, expert du climat chez Inter Environnement Wallonie. "Ces 700.000 tonnes de CO2 vont causer, si on suit la tendance historique, la disparition définitive de deux millions de m2 de banquise arctique supplémentaire, soit 2 km2", poursuit Noé Lecocq.

Ne pas contraindre les compagnes aériennes à effectuer ces vols à vide serait un "plus" pour la planète, même si, ajoute Noé Lecocq, "ces vols-là auraient eu lieu de manière normale avec des passagers si la situation sanitaire n’était pas telle qu’elle est et la pollution aurait été la même".

Et du côté du spécialiste de l’Environnement et du Climat, de plaider pour une réflexion sur le recours à l’aviation de masse pour laquelle il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’alternative non polluante. "Du coup, si on veut préserver le climat, il n’y a pas d’autre perspective que de se poser la question de combien de fois on prend l’avion et si on ne doit pas diminuer la taille de cette activité", estime Noé Lecocq. "C’est quelque chose d’assez tabou dans notre société qui tend à augmenter la consommation", ajoute-t-il.

Il n’est pas certain non plus que du côté des acteurs du secteur aérien, on soit prêt à remettre en cause le système.

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