Week-end Première

Que se passe-t-il dans la tête de Donald Trump ?

Donald Trump à Harlingen, Texas, le 12 janvier 2021

© AFP/MN

Temps de lecture
Par RTBF La Première

Donald Trump est-il vraiment persuadé qu’il a gagné les élections ? Comment un président au départ démocratiquement élu peut-il inciter ses partisans à marcher sur le Capitole, parce qu’il n’est pas content des résultats d’un scrutin ? Perte du sens des réalités, intolérance à la contradiction, actions à l’emporte-pièce, obsession de sa propre image et abus de pouvoir seraient les symptômes d’une maladie mentale liée à l’exercice du pouvoir, le syndrome d’hubris.

Est-ce ce dont souffre le président américain ? Ce syndrome d'hubris avait déjà été évoqué par Platon et Aristote, mais a été développé plus récemment par David Owen. Explications avec Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à l’université de Fribourg, en Suisse, spécialiste de la psychologie du pouvoir.
 

Le syndrome d’hubris, c’est quoi ?

Le syndrome d’hubris est une entité clinique qui a été proposée par David Owen, un ancien politicien et diplomate anglais, qui était aussi médecin. Sebastian Dieguez précise d’emblée que ce n’est pas un diagnostic établi et accepté de la nomenclature officielle de la psychiatrie et de la médecine.

"C’est l’une des propositions de la littérature scientifique qui reste très hypothétique et spéculative, mais qui est intéressante dans la mesure où elle permet de s’appliquer à des cas concrets et de réfléchir à certaines problématiques."

Ce syndrome a été proposé dans le contexte du début des années 2000, plus particulièrement en tant que charge adressée à Tony Blair et G.W. Bush.

Il désigne un effet spécifique du pouvoir : une fois qu’on obtient le pouvoir, on commence éventuellement à développer certains traits que l’on n’avait pas auparavant. Le pouvoir monte à la tête et corrompt.
 


>>> A lire : L’article Le syndrome d’hubris : la maladie du pouvoir, par Sebastian Dieguez, sur le site Cerveau&Psycho



Donald Trump souffre-t-il du syndrome d’hubris ?

Dans le cas de Donald Trump, on a affaire à quelqu’un qui présentait déjà la plupart des critères du syndrome d’hubris avant d’accéder au pouvoir. Sebastian Dieguez postulait au départ que, dans ce cas, l’accession réelle au pouvoir allait peut-être modérer, apaiser, calmer ces traits, en lui donnant des responsabilités et une certaine forme de solennité. Chez certaines personnes, une fois qu’elles ont obtenu ce qu’elles veulent, on observe un effet anxiolytique : elles sont satisfaites et se comportent mieux.

Avec le recul, Sebastian Dieguez doit bien avouer qu’il s’était trompé et que chez Donald Trump, cela n’a pas eu du tout cet effet-là.

Le pouvoir, en tant que tel, est une entité plutôt abstraite. On donne juste à quelqu’un la capacité, la responsabilité d’avoir à prendre des décisions. On installe ainsi une forme d’asymétrie entre une personne et les autres.

"Le pouvoir a des effets problématiques pas seulement en politique, mais aussi dans la famille, au travail, dans la culture, dans un club sportif… Certains s’en servent manifestement assez mal et ne devraient pas en recevoir. Mais il n’y a pas de processus de légitimation du pouvoir qui soit parfaitement rationnel aujourd’hui. Dans une démocratie, on donne du pouvoir un peu à l’aveugle."
 

Faut-il une analyse psychiatrique avant d’exercer le pouvoir ?

Depuis l’Antiquité, on se demande ce qu’est le pouvoir, qui devrait l’exercer, comment l’exercer. Ce n’est pas une discipline unique, en l’occurrence la psychiatrie, qui pourrait trancher cette question, souligne Sebastian Dieguez. Et ce ne serait probablement pas souhaitable. Mais dans toute l’histoire, on a pu constater les effets dévastateurs du pouvoir donné à la mauvaise personne.

Dans le milieu de la clinique, c’est une question très controversée. Peut-on diagnostiquer quelqu’un qu’on n’a pas examiné dans son cabinet ? Ce sont cependant des personnes publiques.

"Pour Donald Trump, qui s’exprime beaucoup publiquement, via Twitter, la télévision, et aussi via des témoignages sur lui, on a beaucoup plus d’informations que sur n’importe quel patient ordinaire."


Quel diagnostic pour Donald Trump ?

Des livres entiers sont parus sur la psychologie de Donald Trump, même avant son accession au pouvoir.

"Ce qui frappe, c’est son narcissisme extrême, radical, accompagné de certains traits anti-sociaux, un manque d’empathie, le fait d’être imbu de sa personne, de ne pas écouter, de prendre des décisions impulsives, d’avoir un excès de confiance en soi. Tout cela est clair et net chez Donald Trump, il n’y a pas besoin de l’examiner longuement dans un cabinet pour le découvrir."

Mais beaucoup sont, comme lui narcissiques, impulsifs, prétentieux. Alors doit-on rester sur cette description aussi superficielle ? Beaucoup d’encre a coulé sur ce sujet, mais le mystère demeure et restera longtemps un sujet d’études.

Croit-il réellement, en son for intérieur, qu’il a été réélu haut la main par le peuple américain, qu’il a gagné l’élection qu’on cherche à lui voler ? C’est toute la question.

  • Est-ce quelqu’un de cynique, stratégique, qui ment délibérément sans arrêt ?
     
  • Ou est-il vraiment déconnecté de la réalité, dans son monde ?
    "Et à ce moment-là, il faut vraiment se demander comment on a pu en arriver, comment on a pu mettre au pouvoir quelqu’un qui est tellement loin de la réalité. 
    Alors qu’un président des Etats-Unis est censé gérer des affaires réelles dans le monde réel, pas seulement dans sa tête."


Les Ubus au pouvoir

Dans son article Les Ubus au pouvoir, Sebastian Dieguez explique que, dans une situation de crise et de défiance générale à l’égard des autorités et du pouvoir, jugés illégitimes et trop déconnectés de la réalité, quand les élites ne se préoccupent pas suffisamment du peuple, sont corrompues et loin des réalités, on peut favoriser une personne qui ment délibérément.

Tout le monde sait qu’elle ment parce que le mensonge est une forme de négation des normes rationnelles de débat généralement appliquées parmi les élites. Le fait de mentir signale aux yeux de tous que la personne ne joue pas le jeu, qu’elle se distingue délibérément du jeu habituel de la politique, qui est précisément ce qu’une forte partie de la population rejette.

"Le fait de se distinguer des normes ordinaires de la délibération prouve que cette personne est authentiquement du côté du peuple. Le mensonge, dans certaines circonstances, rend la personne plus sincère et plus authentique. C’est tout le paradoxe."


Suivez Weekend Première avec Sebastian Dieguez ici

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous