Documentaires La Trois

Découvrez l’histoire des cloches spoliées par les nazis

L’une des cloches de l’église Notre-Dame de Gedinne, marquée, brisée, déportée…

© KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché a051959

Par Gérald Decoster via

Lorsque dans nos villes et villages, on entend les cloches sonner, qui imagine que ces dames d’airain ont souvent vécu des moments difficiles durant la Deuxième Guerre mondiale ? Nombre d’entre elles sont parties vers l’Allemagne, beaucoup ne sont pas revenues. Avant-guerre, 12.000 cloches étaient comptabilisées en Belgique, soit six tonnes de bronze, cet alliage de cuivre et d’étain tellement utile en temps de guerre.

Louis XIV disait que "La guerre est un art qui détruit tous les autres". C’est exact, en décembre 1689, pour financer la guerre de la Ligue d’Augsbourg, le Roi Soleil ordonne la fonte de son mobilier d’argent, pesant une vingtaine de tonnes. À elle seule, la balustrade isolant le lit royal du reste de la chambre pesait une tonne "Sic transit gloria mundi".

Lors de l’exposition "Quand Versailles était meublé d’argent", un trône en argent venant du Danemark.
"Kateline", vénérable cloche fondue en 1369…
"Marie", la sœur de "Kateline", 635 ans, dans le clocher de la chapelle de Wathermal…

En temps de guerre, les métaux sont toujours mis à contribution. Dès 1941, comme dans d’autres pays occupés, l’occupant allemand ordonne la Glocken Aktion, le recensement des cloches de Belgique. Les autorités civiles – gouverneurs, commissaires d’arrondissement, bourgmestres – sont priées de procéder, l’occasion de déterminer quelles sont les cloches qui sont les plus exceptionnelles, sachant que certaines remontent au XIVe siècle, comme à Wathermal, dans le Luxembourg, Marie et Kateline, qui sont nées en 1369.

L’une des cloches de l’église Saint-Hubert à Durnal, bel exemple de classification : catégorie A, VII pour province de Namur, 455 pour le numéro propre à la cloche et son poids, 940 kg.

Des accords sont passés avec l’autorité nazie, une classification est établie. Chaque église paroissiale gardera une cloche d’appel qui sera répertoriée Lx, le reste étant divisé en quatre catégories. La A comprend les cloches postérieures à 1850 ; la B représente celles fondues entre 1790 et 1850, elles sont sujettes à analyse afin de les classifier en A ou C. La catégorie C reprend les pièces datées entre 1700 et 1790 qui seront sauvegardées, sauf en cas de demande supplémentaire de métal. La catégorie D, les cloches antérieures à 1700 seront préservées.

Dans la tour sud de l'abbatiale de Maredsous, le clavier du pseudo-carillon...

Les carillons n’entrant pas en ligne de compte et seront épargnés. Dès lors, certaines églises tenteront de créer des faux carillons, à l’aide de cloches d’autres églises ; certaines abbayes, telle Maredsous, rassembleront toutes leurs cloches. Pour parfaire l’illusion, on raccordera ces dames à un clavier. Hélas, la plupart du temps, la mystification ne réussira pas.

En matière de saisie de métaux, les musées ne sont pas épargnés ; sensibles au problème des cloches, leurs conservateurs créent, le 18 mai 1943, la Commission pour la sauvegarde des Cloches. À son origine, le responsable du musée Sterckshof, à Deurne, Joseph de Beer ; il s’entoure de Jozef Muls et Charles Leeman, respectivement directeur général et attaché à l’administration des Beaux-Arts. S’y ajoutent Stan Leurs, conseiller général au Commissariat à la restauration du Pays et Dom Joseph Kreps, un bénédictin musicologue. Max Winders représente la Commission Royale des Monuments et Sites tandis que Jean Squilbeck est attaché à la section métaux des Musées Royaux d’Art et d’Histoire.

La Commission de Sauvegarde des Cloches (de gauche à droite) : Dom J. Kreps, S. Leurs, L. Grimonpont, J. Muls, J. de Beer, M. Winders, J. Squilbeck, C. Leeman. D’après Mededelingen van de Geschied- en Oudheidkundige Kring voor Leuven en omgeving, t. 33, 1
La Commission de Sauvegarde des Cloches (de gauche à droite) : Dom J. Kreps, S. Leurs, L. Grimonpont, J. Muls, J. de Beer, M. Winders, J. Squilbeck, C. Leeman. D’après Mededelingen van de Geschied- en Oudheidkundige Kring voor Leuven en omgeving, t. 33, 1 © Tous droits réservés

Ces messieurs seront en contact avec l’ingénieur, historien de l’art et lieutenant-colonel Heinz Rudolf Rosemann, directeur du Kunstschutz, un système remontant à la Première Guerre mondiale et relancé par Hermann Goering, visant à la protection du patrimoine artistique en temps de guerre.

Joseph de Beer confiera à la conservatrice des Musées archéologiques liégeois, Hélène van Heule, la tâche de recenser les cloches de quatre provinces, faisant d’elle l’une des personnes les plus actives dans ce domaine.

Hélène van Heule
Hélène van Heule © Maison du Souvenir, Oupeye

Les choses se précipitent en 1943. Après avoir fondu la majeure partie de son patrimoine campanaire, l’Allemagne jette son dévolu sur celui des pays occupés. En Belgique, les cloches des catégories Lx et D sont immédiatement saisies, marquées et expédiées en Allemagne. Pour éviter des drames, les évêques envoient une lettre qui doit être lue en chaire de vérité :

Notre devoir épiscopal nous oblige à déclarer que toute collaboration à l’enlèvement des cloches de nos églises est gravement illicite en conscience. Nous demandons que tous, prêtres et laïcs, observent une attitude calme et passive

Près de Bruxelles, des cloches saisies sont stockées avant leur départ pour l’Allemagne…
Près de Bruxelles, des cloches saisies sont stockées avant leur départ pour l’Allemagne… © KIK-IRPA, Brussels (Belgium), cliché e005415

On sauve ce qu’on peut. Plusieurs églises dépendront leurs cloches pour les cacher ; certains édifices détruits lors de bombardements, enfouiront leurs cloches dans l’église même, comme à Lessines, dans le Hainaut. Des groupes de résistants s’attelleront aussi à tenter de sauver un maximum de pièces. Un épisode du genre est entré dans les annales, celui du wagon n° 146.610.

A Lessines, suite au bombardement du 11 mai 1940, les 31 cloches du carillon et de volée de l’église Saint-Pierre se sont écrasées au rez-de-chaussée de la tour…
Vers 1950, les cloches de Saint-Pierre de Lessines, enfouies dans le fond de l’église, sont exhumées…

Prêt en gare d’Angleur, chargé de 21 cloches, ce wagon changera plusieurs fois de place durant un mois, avec l’aide du personnel des chemins de fer et de deux sociétés privées. Son contenu finira recouvert de cendrée, sur une voie de garage dans l’une des usines de la S.A. Angleur-Athus. Ce sauvetage des cloches fait émerger un aspect souvent méconnu de la Résistance, sa dimension d’attachement au patrimoine.

Certaines cloches pâtiront de leur importance. À l’abbaye de Maredsous, le bourdon – la plus grosse cloche d’un ensemble – datant de 1923, pesait 6800 kg501,45 m Une fois descendu au rez-de-chaussée de sa tour, problème : il ne passe pas par la porte ! N’hésitant pas, les Allemands donnèrent l’ordre de le briser. Toutes les cloches de Maredsous, y compris les morceaux, reviendront et un nouveau bourdon de 7100 kg sera fondu… Aujourd’hui, suite à quelques mésaventures, Élisabeth – sa marraine fut, à trois reprises, l’épouse d’Albert Ier – pèse 8000 kg.

En Europe occupée, on estime à 175.000 le nombre de cloches saisies, environ 25.000 survivront. 4547 cloches belges seront emmenées du côté de Hambourg mais aussi en Tchécoslovaquie pour être fondues. 727 sont rentrées au pays. Le 1er décembre 1945, le Régent, Charles, signe l’arrêté créant la Commission pour la sauvegarde, la récupération et le remplacement des cloches. Le long travail de leur retour et de leur restitution pouvait dès lors s’entamer sereinement dans une Europe pacifiée.

Le retour des cloches de l’abbaye de Maredsous…
Le retour des cloches de l’abbaye de Maredsous… © Maison du Souvenir – Oupeye

Pour les campanophiles, n’hésitez pas à visiter Tchorski, vous y découvrirez un tas de renseignements, peut-être même sur les cloches de chez vous.

La musique spoliée, le trésor secret des nazis, un documentaire d’Isabelle Gendre à voir ce lundi 14 août à 21h20 sur La Trois et en replay sur Auvio.

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