Pendant cette période de pandémie, les espaces de rencontres deviennent davantage informels et alternatifs. Par exemple, les lieux de cruising (qui signifie "drague") sont, en période de confinement, d’autant plus invisibles car davantage nocturnes. Alors que l’espace public en lui-même a muté en espace de l’infection, la nuit devient quant à elle un espace de subversion, du risque des corps, mais surtout un terrain de résistance.
Les HsH doivent en effet adapter leur rapport au territoire urbain afin de poursuivre leurs pratiques de drague physiquement, même lorsque celles-ci deviennent proscrites, contrôlées et surveillées. Cette politique du contrôle indirecte nous renvoie alors à celle effectuée en 1980 vis-à-vis de l’épidémie VIH, et notamment l’affaire Vincineau où les saunas étaient considérés comme des centres de transmission épidémiologique. Ce système de surveillance par l’espace permet encore aujourd’hui, suite à la pandémie, de contrôler davantage la communauté et ses prétendus travers.
Cette nouvelle politique de surveillance engendre également une politique de dénonciation et une nouvelle fois une forme d’homosexualisation de la déviance, de la transgression du non-respect des législations en vigueur. En effet, de nombreux médias ont récemment relayé la subversion et la transgression du confinement par les hommes homosexuels, se rejoignant secrètement chez eux ou dans des espaces de cruising adaptés, motivés par l’usage des applications de rencontres plus que jamais sollicitées. Même s’il s’agit d’une forme de réalité, cette politique stigmatise une nouvelle fois la communauté, alors que ces transgressions se perçoivent également chez les hétérosexuel·les.
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Cette période de pandémie mondiale nous incite à rationaliser notre présence au sein de l’espace public, à la légitimer. Cette politique de transgression traduit alors une certaine adrénaline, une volonté des HsH de se superposer à l’espace public afin de pouvoir vivre leurs sexualités pleinement. Cette gestion du risque par les HsH explique ainsi l’importance du maintien dans la ville des espaces de sexualité récréative, agissant comme espaces de refuge et de communion.
Les espaces de sexualité récréative virtuels et physiques qui autrefois se superposaient et s’articulaient successivement, vont donc, en période de crise, davantage se diviser et se singulariser. Alors même que les saunas gays sont proscrits, les HsH vont développer un nouveau rapport au risque, notamment au sein des lieux de cruising, pendant que l’espace virtuel va devenir un terrain dorénavant plus "safe" et légal. Ces hommes, en quête de rencontres sans lendemain, vont ainsi investir différentes strates spatiales physiques ou virtuelles, venant se superposer à une ville hétéronormative où les pratiques de drague HsH se ritualisent et se singularisent dans l’ombre.
Il est aujourd’hui important de mener une ethnographie approfondie au sein de ces univers sexographiques, dans le but d’augmenter les données d’enquête sur des pratiques de drague occultées.
*Victor Lacôte est un architecte queer protéiforme qui établit sa recherche autour des questions de l’érotisme, du militantisme et du rapport à la spatialité. Aujourd’hui il partage son temps entre son engagement pour l’association Ex Aequo, la conception de jeux de société queer, ainsi que des résidences artistiques. Son mémoire "Quand les hommes sort (ai) ent pour baiser, de la ritualisation des comportements de drague HsH aux terrains de chasse dématérialisés à l’ère du Covid-19" a été récompensé du prix du mémoire LGBTQI + François Delor en 2021. Il a été sollicité pour présenter ses recherches à l’Ecole Nationale d’architecture de Bretagne et a la Faculté d’architecture La Cambre Horta.