Belgique

Quand le MR flingue son propre ministre : Jean-Luc Crucke au bord de la démission

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Par Bertrand Henne

Voir un ministre bloqué au Parlement par un parti de sa propre majorité c’est assez rare, mais ça arrive. Ce qui est particulièrement rare c’est quand un ministre est bloqué au Parlement par son propre parti. C’est pourtant ce qui est arrivé au ministre wallon du Budget, Jean-Luc Crucke. L’affaire révèle une rupture profonde qui pourrait avoir des conséquences importantes pour la majorité en Wallonie.

Justice fiscale

De quoi parle-t-on ? D’un texte qui selon le communiqué officiel du cabinet du ministre "permettra de lutter plus efficacement contre des pratiques destinées à échapper et/ou à contourner certains impôts, pratiques qui reportent sur l’ensemble de la société le poids de la non-contribution de certains acteurs".

En clair, il s’agit par exemple de lutter contre le contournement des règles en matière de succession et ou de donation. Autre exemple, réserver l’immatriculation de véhicules utilitaires aux seuls professionnels. Aujourd’hui un tas de particuliers immatriculent des pick-up ou des SUV en utilitaires pour éviter de payer trop d’impôts.

L’idée générale est de s’attaquer aux zones grises fiscales. Actuellement, tout ce qui n’est pas spécifiquement interdit est autorisé. L’idée est d’inverser ça. De la part d’un ministre libéral, c’est donc un texte plutôt courageux. Trop courageux sans doute…

Frein du groupe MR

Le texte a été approuvé par le gouvernement. Mais il est recalé par le groupe MR du ministre du Budget. Des députés jugent que le texte s’attaque à une partie de l’électorat du MR sans qu’il n’y ait de contrepartie des autres partenaires, le PS et Ecolo.

À défaut d’avoir de l’influence au sein du gouvernement wallon, Georges-Louis Bouchez est intervenu personnellement pour mobiliser le groupe du Parlement de Wallonie contre son ministre. 

Le ministre Crucke s’en est désolé. Il constate son échec. "J’ai porté ce dossier depuis le début et je ne parviens pas, à quelques encablures, à franchir la ligne d’arrivée. Je saurai en tirer les conclusions le moment venu." C’est un désaveu clair pour lui. Seuls le PS et Ecolo se sont engagés à le défendre, contre son propre groupe.

La majorité en Wallonie échappait jusqu’ici largement à l’influence du président du MR. Avec l’isolement de Jean-Luc Crucke les choses sont en train de changer.

Démission ?

Est-ce que Jean-Luc Crucke pourrait aller jusqu’à la démission ? S’il y a bien un politique francophone capable d’aller jusqu’au bout, c’est Jean-Luc Crucke. Or, il estime qu’il est dans le juste.

Derrière ce bras de fer, il y a d’abord une question de philosophie politique. Il est entendu que le libéralisme se bat pour moins d’État et donc moins d’impôts. Mais pour y arriver le libéralisme doit-il se battre contre l’impôt ou pour un impôt plus juste ? Le ministre Crucke, qui incarne l’aile progressiste du MR est clairement pour la deuxième option. Il n’a plus son groupe parlementaire avec lui.

L’autre problème est entre Jean-Luc Crucke et Georges-Louis Bouchez. Depuis deux ans, les relations sont de plus en plus difficiles entre les deux hommes. La défenestration avortée de Valérie de Bue, les multiples interventions de Georges-Louis Bouchez contre Alexander De Croo, ses interventions dans les médias, toute sa stratégie de polarisation, ses positions sur le climat, tout ça est de moins en moins supportable pour Jean-Luc Crucke.

Ajoutez à cela le fait qu’il se sent injustement traité par son parti depuis une dizaine d’années. Jean-Luc Crucke est objectivement victime d’un blocus du clan Michel. Bon technicien, travailleur, populaire, excellent bilingue, il aurait dû monter au Fédéral. Mais, il a payé cher sa fidélité à Didier Reynders. Charles Michel, puis Georges-Louis Bouchez, lui ont préféré d’autres noms au fédéral. Jacqueline Galant, Marie-Christine Marghem, Hervé Jamar, Denis Ducarme, la liste est encore longue.

En Wallonie, Jean-Luc Crucke, avec Willy Borsus et Valérie de Bue, avait trouvé un espace politique ou exprimer sa vision libérale teintée d’environnementaliste et de progressisme. Le président du MR vient de réduire drastiquement cet espace. La question c’est de savoir si cet échec le dégoûtera au point d’arrêter la politique. C’est probable. Mais seul Jean-Luc Crucke a la réponse à cette question.

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