L'Heure H

Quand la paternité des œuvres de Molière a été attribuée à Corneille : un débat qui a duré un siècle

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Par La Première, sur base d'un texte de Valjean via

En octobre 1919, le poète et bibliophile Pierre Louÿs feuillette deux volumes pour le moins poussiéreux. D’un côté, Mélite, la première œuvre du gigantesque dramaturge Pierre Corneille. Ce travail a la particularité d’être une comédie. De l’autre, Le Bourgeois gentilhomme, signé Molière, ce monstre de la comédie théâtrale à la française, considéré comme le meilleur auteur de son siècle.

Pierre Louÿs est persuadé d’avoir mis le doigt sur quelque chose d’explosif. Poète lui-même, romancier, journaliste également, l’homme de lettres, respecté de ses pairs, reste figé face à ce qu’il perçoit maintenant comme une évidence : Molière, acteur, chef de troupe de génie, n’a jamais été l’auteur de ses pièces connues du monde entier. Non, sa plume est le plus sublime prête-nom d’entre tous : elle s’appelle Pierre Corneille.

La thèse défendue par Pierre Louÿs sur Molière et Corneille

Un constat qui fait l’effet d’une bombe lorsqu’il publie sa théorie dans deux articles intitulés Corneille est-il l’auteur d’Amphitryon ? et “L’Imposteur” de Corneille et le “Tartuffe” de MolièreLe roi des dramaturges et l’empereur des comédiens semblent pourtant n’avoir rien en commun. Pire, la légende raconte que Jean-Baptiste Poquelin et les frères Corneille se détestaient.

Mais lui, Pierre Louÿs, en sa qualité d’homme de lettres, se posait depuis un petit moment des questions. Et c’est un soir de 1919, en étudiant pour la première fois le registre comique de Corneille, que tout lui saute aux yeux, comme une évidence. Le style d’écriture entre les deux artistes est particulièrement similaire lorsqu’ils rédigent des œuvres du même style. Depuis toujours, il pense que le fameux Tartufe est composé des mots du Grand Corneille. Cette opinion, qu’il a déjà partagée dans ses cercles les plus intimes, a fait frémir d’effroi ceux qui défendent l’art à la Molière.

Mais cette fois, plus qu’une boutade, c’est avec certitude qu’il se forge son opinion. Les mêmes expressions de part et d’autre, les mêmes techniques de rebondissements, les mêmes traits pour des personnages qui se ressemblent et il en passe. Pierre Louÿs est certain de son coup : Molière n’est en réalité qu’un chef-d’œuvre de Corneille.

Était-ce pour le dramaturge, le moyen d’écrire de la comédie, genre qu’il adore mais très loin du style sérieux qui l’a fait exploser aux yeux du monde ?

Molière et Corneille ne se détestaient pas

Alors quand Pierre Louÿs publie ses articles en 1919, la théorie fait l’effet d’une bombe dans le milieu littéraire et scientifique. Preuve que le débat a été long et intense, l’argument de la mésentente entre Corneille et Molière est fausse.

Ils vont se rencontrer à de multiples reprises à compter de 1658, été durant lequel la troupe de Molière est stationnée à Rouen. Ses entrevues sont tellement prometteuses que Poquelin envisage une collaboration sur scène avec son aîné.

D’ailleurs, la première représentation de Molière devant le Roi-Soleil sera une pièce de… Corneille. Nicomède pour être précis. L’année suivante, en 1659, à Paris, la troupe de Poquelin va jouer non pas une, mais sept pièces successives écrites par Pierre Corneille.

Pierre Louÿs n’ira pas plus loin et décède en 1925. Tout comme lui, deux auteurs particulièrement, Henry Poulaille et Hippolyte Wouters, pensent que Corneille est l’auteur des pièces de Molière. Plus encore, ils estiment que la rencontre entre les trois hommes, en 1658 à Rouen, fut le point décisif permettant la naissance d’un accord. Le premier gros succès de Poquelin, en effet, date de l’année suivante avec Les Précieuses ridicules. Ils jugent troublant de voir que Molière transforme, subitement et à 37 ans, son style d’écriture, passant d’excellent acteur, mais malchanceux auteur, à bête de production, capable d’enchaîner l’écriture de chefs-d’œuvre.

Alors Molière, imposteur ? Et Corneille, petite main du comique ? L’Heure H vous conte une histoire qui a fait couler beaucoup d’encre pendant le 20e siècle, jusqu’à sa résolution… un siècle plus tard.

Molière dans La Mort De Pompée de Pierre Corneille, collection du Musée de Carnavalet, Mignard Nicolas (1606-1668).
Collaboration entre Jean-Baptiste Molière et Pierre Corneille, gravure de Jean-Leon Gerome, 1875.

► Écoutez l’entièreté de ce récit dans le podcast ci-dessus, et bien d’autres destinées qui ont basculé à L’Heure H avec Jean-Louis Lahaye, du lundi au vendredi de 15h à 16h sur La Première et en replay sur Auvio.

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