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Qu'est-ce que le woke washing ? Une historienne dénonce un système capitaliste "opportuniste et adaptatif"

Le Mug d’ouverture

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On connaît le greenwashing, on parle maintenant de woke washing qui est la récupération des causes progressistes par le capitalisme. Associée à l’anticapitalisme, l’idéologie woke se retrouve au cœur de la stratégie de nombreuses entreprises. Aujourd’hui les marques se disent green, pink et inclusives. Victoire politique et sociétale du wokisme ou plutôt dévoiement commercial et consumériste de ce mouvement militant ? Explications et décryptage d’Audrey Millet, docteure en Histoire et Lettres, spécialisée dans l’histoire de la mode, et invitée du Mug.

L'origine historique du mot Woke

"Comme historienne, je me suis questionnée d’où venait ce mot. Le mouvement romantique dès la fin du 18e siècle condamne les inégalités, dit son insatisfaction du monde et se révolte contre les Lumières' qui ont érigé la raison comme vertu suprême. Les romantiques revendiquent le plaisir et les émotions mais aussi la critique de la société" explique Audrey Millet qui poursuit : "Ce mot Woke, littéralement 'être éveillé', dès cette époque, veut dire que l’on porte un regard conscient sur les inégalités sociales et raciales, l’homophobie, le sexisme, les enjeux environnementaux".

Pour la chercheuse, inspirée par le philosophe de Tocqueville, l’industrialisation qui suivra sera faite de luttes sociales intenses où les syndicats défendent les ouvriers qui triment durement pour une pauvre rétribution. Les entreprises, pour calmer les revendications, transforment les gens en consommateurs : consommation de masse, création de désirs superflus et l’émergence des loisirs 'obligatoires' : "En 2023, plus de 150 ans plus tard, on est dans un monde de désillusions proches de celles des romantiques".

Pour l’historienne, dès le 19e siècle, le système capitaliste a tendu l’oreille aux pensées dissidentes et contestataires pour les reformuler et pour les exploiter au profit des inégalités dont il est souvent la source. Woke washing – Capitalisme, consumérisme, opportunisme est le titre du nouveau livre d’Audrey Millet auteure du Livre noir de la mode qui dénonçait déjà au sein de la mode l’esclavage moderne, ainsi que les drames sociaux, sanitaires ou environnementaux.

Quant au mot "woke", il est devenu, selon elle, un terme fourre-tout et péjoratif qui alimente l’intolérance : "Les médias aiment les discours simples et binaires, où l’on oppose woke et anti-woke, progressiste et facho. "Wokiste' est aujourd’hui une injure donnée aux donneurs de bonne leçon".

Un appel citoyen de vigilance

Audrey Millet dénonce :

On nous vend une impression de transgression : le féminisme, l’inclusivité et notre aspiration à un monde plus tolérant et plus égalitaire. Luttes pacifistes, féministes, anticolonialistes, antiracistes et LGBTQIA +, les publicitaires les reprennent en slogan et en fait, les vident de leur sens.

Pour illustrer son propos, la chercheuse prend pour exemple la femme et les personnes noires qui, après la Seconde Guerre mondiale, deviennent une nouvelle cible du néolibéralisme. "Nike choisit Michael Jordan, le génie du basket pour vendre ses chaussures, fabriquées par ailleurs par des ouvriers exploités. Avec les problèmes du quotidien, tout le monde n’a pas le temps de vérifier l’éthique des produits qu’il achète. Ce devrait être réalisé en amont par l’entreprise et les gouvernements. C’est aux politiques de bouger, mais il y a aussi de la part du consommateur une forme de complicité. Nous devons tous prendre la responsabilité de nos achats. Des bikinis à un euro, il faut arrêter ! C’est une maladie de trop consommer. Pensons au bien commun".

Pour elle, il est certain que le système capitaliste est opportuniste et adaptatif. Toutes les vagues de culture et de contre-culture sont digérées et transformées en produits. À chacun de veiller car les droits ne sont jamais définitivement acquis : "Quand Amazon et d’autres grandes marques maltraitent leurs personnels et leurs sous-traitants tout en prônant des slogans éthiques, cela s’appelle du ‘social business’. Ne soyons pas dupes !"

Découvrez l’intégralité de cette interview dans le podcast du Mug ci-dessus.

© Getty Images

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