Qatargate

Qatargate : "Certains groupes politiques regardent leurs pompes et tentent de mettre la poussière sous le tapis", réagit Manon Aubry

Manon Aubry, députée européenne, sur la transparence

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Réuni en session plénière à Strasbourg, le Parlement européen débat cet après-midi du scandale de corruption et des soupçons d’ingérence étrangère. Avant l’entame des échanges entre eurodéputés, rencontre avec Manon Aubry, la cheffe de file de la gauche radicale au Parlement européen. Pour elle, il était plus que temps de mener ce débat.

Pourquoi faut-il mener ce débat au Parlement européen ?

Manon Aubry : "D’abord, ce que je regrette, c’est que lors de la conférence des présidents de la semaine dernière, quand l’agenda de la session plénière a été fixé, lorsque j’ai proposé qu’un débat se tienne sur les suites de ce scandale de corruption, certains groupes politiques, notamment ceux de la droite, de Renew (groupe des Libéraux et Démocrates, au sein du Parlement européen, ndlr), ont regardé leurs pompes et ont tenté de mettre la poussière sous le tapis. Et mettre la poussière sous le tapis, c’est clairement l’attitude d’un certain nombre de groupes politiques qui ne veulent pas remettre en question la manière dont fonctionnent les institutions européennes.

Et pourtant quand on voit à quel point ce scandale touche en profondeur notre Parlement européen, on a vu que le scandale du Maroc n’était que la face émergée de l’iceberg, que ce système de corruption a profité de la manière dont fonctionne le Parlement européen. Moi, j’ai la conviction que si aujourd’hui on ne remet pas en question, si on ne refonde pas de la cave au grenier notre Parlement européen, alors on ne se prémunit pas contre les pratiques de corruption.

J’ai la conviction que l’opacité avec laquelle sont organisés nos travaux, sont négociées nos résolutions, ne participe pas à la protection contre la corruption. J’en ai fait l’expérience à plusieurs reprises dans la négociation de la résolution du Qatar mais aussi dans la négociation sur la résolution en réponse au Qatargate au mois de décembre dernier.

Et je terminerai là-dessus pour dire, qu’au mois de décembre dernier, en réaction à ce scandale de corruption, qui est le plus grave scandale de corruption dans l’histoire du Parlement européen, notre assemblée a voté une résolution qui a le mérite d’être claire, qui contient quinze propositions.

Et quand je vois la présidente du Parlement, Roberta Metsola qui nous propose un plan d’actions en quatorze points qui ne reprend que quatre des quinze propositions qui ont été adoptées démocratiquement à une quasi-unanimité par notre Parlement européen, je me dis qu’on marche sur la tête, que face à un problème qui remet en cause notre démocratie, on fait une chose : ne pas respecter la démocratie et le vote de notre parlement en décembre dernier. Ça veut qu’on mettrait aux oubliettes la mise en place d’une commission spéciale, l’obligation du registre de transparence, la mise en place d’une autorité éthique indépendante. Tout ça, ce sont des propositions adoptées par notre Parlement!"

Pourquoi cette marche arrière ?

"La question, il faut la poser aux autres groupes politiques. Je vous l’ai dit, moi, j’ai eu le sentiment, et notamment au sein de la conférence des présidents, que certains groupes politiques voulaient gagner du temps, qu’ils ne voulaient pas de ces réformes. On entendait déjà cette petite musique : 'oui… mais il y a trop de transparence, ça pourrait nuire, il faudrait rendre des comptes tout le temps.' Pardon ? Mais en fait, on est des élus. Ce sont les citoyens qui nous ont élus et ceux à qui on doit rendre des comptes, ce sont les citoyens."

Quels sont les groupes qui freinent ?

"Le groupe PPE, par exemple, qui ne veut pas de l’obligation du registre de transparence, qui ne veut pas de la mise en place d’une autorité éthique indépendante ; le groupe Renew qui ne voulait initialement même pas d’un débat cette semaine. Et on allait continuer ici, au Parlement européen, notre session plénière, comme si de rien était alors que je pense que plus rien ne doit être comme avant ici dans les institutions européennes.

On a des élus qui, dans l’opacité et dans l’entre-soi de ce Parlement européen, ont pris des centaines de milliers d’euros pour rendre des comptes à des États et défendre leurs intérêts. Moi, je le dis très clairement, il est temps de faire le ménage dans les institutions européennes. Ça veut dire qu’il faut se retrousser les manches et ça veut dire qu’il faut prendre le problème à bras-le-corps.

Et parmi ces problèmes, on a vraiment l’opacité dans laquelle sont organisés nos débats, ce qui fait que vous journalistes, vous citoyens, vous ne pouvez même pas suivre ce qu’il se passe au Parlement européen. Commençons par mettre en place et institutionnaliser cette transparence même si ça dérange certains."

Un comité éthique indépendant, ça ressemblerait à quoi ?

"L’objectif d’une autorité éthique indépendante est d’avoir un outil de contrôle des conflits d’intérêts, un outil d’investigation ; ça veut dire que concrètement vous avez une instance indépendante qui est composée d’un certain nombre de personnes dont on peut garantir l’indépendance, qui a des moyens suffisants pour mener des enquêtes et surtout pour prendre des sanctions éventuelles. Ce qui veut dire que tous les députés qui ne remplissent pas par exemple la liste de leurs rendez-vous, tous les députés qui se rendraient au Qatar ou au Maroc – au hasard (elle sourit, ndlr) – tous frais payés, tous ces députés-là seraient soumis à des sanctions éventuelles qui pourraient être prises par cette autorité éthique indépendante.

Je crois qu’il est plus que jamais temps de, pour une fois ici dans les institutions européennes, faire primer l’éthique sur le fric. Ça fait des années que nous demandons cette autorité éthique indépendante. Elle aussi, elle a été mise sous le tapis, enterrée par la présidente de la Commission européenne. On a un an avant la fin de ce mandat pour qu’elle voie le jour."

Est-ce qu’il y a des organes européens indépendants du genre qui existent déjà ?

"Il existe des organes indépendants à l’échelon national. Je pense à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (en France, ndlr). Elle a le mérite d’exister mais elle a aussi eu des écueils et n’a pas suffisamment par exemple de moyens d’investigation ou des moyens pour sanctionner des députés.

Mais il existe ce type d’autorité indépendante dans d’autres domaines, que ce soit la Cour des comptes européenne. Je pense que nous ne devons pas avoir peur du contrôle, de la transparence. Vous savez, la corruption, c’est un peu comme des vampires, elle prospère dans la pénombre. Et donc il est temps de faire la lumière sur ce qui se passe ici au parlement."

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