Guerre en Ukraine

"Protection temporaire": pourquoi les Ukrainiens pourraient être les premiers à bénéficier de ce statut au sein de l'UE (et pas les Syriens)?

Le président du Conseil européen Charles Michel et le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki réconfortent une Ukrainienne arrivant à la frontière, à Korczowa le 2 mars 2022.

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Par Africa Gordillo

Les Ukrainiens fuyant la guerre vont-ils bénéficier du statut de protection temporaire dans l’Union européenne ? Un accord politique des 27 devrait intervenir ce jeudi. L’activation de la directive destinée à permettre aux Européens de faire face à un "afflux massif" de réfugiés serait une première dans l’UE.

Si elle est enclenchée, la directive "protection temporaire" permettra aux ressortissants ukrainiens trouvant refuge dans les pays membres d’obtenir une protection rapide d’une durée d’un an, qui pourra être prolongée d’une année supplémentaire.

Ils recevront un titre de séjour de manière accélérée leur donnant accès au marché du travail, à la formation professionnelle, à l’enseignement et à l’hébergement. "C’est une protection solide et efficace sans qu’il faille passer par une détermination individuelle (un examen particulier de la demande)", précise la professeure en droit des migrations et droits humains de l’UCLouvain, Sylvie Sarolea.

Une directive dormante

La protection temporaire n’empêche pas le demandeur ukrainien à, parallèlement, introduire une demande d’asile (demande de protection internationale) bien que l’Office des Etrangers le déconseille en ce moment sur son site (ici).

Cette directive existe depuis le conflit qui a vu éclater la Yougoslavie. Elle a ceci de particulier qu’il s’agit d’un "instrument législatif dormant", autrement dit elle n’est enclenchée qu’en cas de vote au sein du Conseil européen, autrement des Etats membres de l’UE.

L’article 5 de la directive indique qu’elle peut être activée après un vote à la majorité qualifiée, à la demande d’un Etat membre ou de la Commission européenne. La majorité qualifiée autrement dit 55% des suffrages recueillis au Conseil européen, soit au moins 15 Etats membre représentant 65% de la population européenne. Depuis vendredi, les discussions vont bon train à l’initiative de la présidence française de l’Union européenne. Le vote devrait intervenir ce jeudi et ce serait inédit.

Inédit

La directive "protection temporaire" n’a jamais été activée à ce jour, même au moment du conflit syrien. A l’époque, personne n’en a voulu. Les pays de l’Est de l’UE étaient particulièrement réticents. "Sans doute les Européens se défendront-ils en évoquant un afflux plus massif encore de réfugiés qu’à l’époque de la guerre en Syrie", analyse la professeure de droit de l’UCLouvain.

Les chiffres sont éloquents à cet égard : la guerre en Syrie avait poussé un million de Syriens en un an hors de leur frontière. Les Ukrainiens sont eux un million en une semaine à quitter leur pays et le HCR, le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, estime qu’ils seront au moins quatre fois plus.

"Ce n’est pas vraiment étonnant que les 27 ne soient pas loin d’un accord parce que les pays européens qui ne voulaient pas enclencher la directive à l’époque de l’afflux des réfugiés syriens sont aujourd’hui en première ligne pour demander son activation", précise Sylvie Sarolea. Il s’agit en effet de pays comme la Pologne, la Roumanie voire la Hongrie, aux premières loges européennes de l’invasion russe ordonnée par Vladimir Poutine en Ukraine.

Et d’ajouter "L’article 25 de la directive précise que chaque Etat membre doit indiquer ses capacités d’accueil de manière chiffrée, ce qui sera indiqué dans les conclusions du Conseil européen", précise Sylvie Sarolea. Il s’agit d’une forme de répartition des Ukrainiens bénéficiant de la protection temporaire.

Pour la spécialiste du droit des migrations, les Etats membres ont intérêt à adopter la direction protection temporaire sinon les systèmes d’asile existants seront "noyés".

Les principales associations travaillant avec les réfugiés et réunies dans la plateforme belge de Justice migratoire (Ciré, CNCD 11.11.11, migreurop…) demandent pour leur part à la Belgique de voter en faveur de la mise en œuvre de cette législation. "Les Etats membres qui niaient cette forme de solidarité européenne et répétaient ne pas vouloir de la directive se rendent finalement compte à quel point elle peut être nécessaire. Si ça peut générer une prise de conscience plus longue, c’est tant mieux. Et de toute façon, il y aura un précédent", conclut Sylvie Sarolea.

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