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Propos racistes, vague d’arrestations, Constitution révisée : la Tunisie devient-elle un état autoritaire ?

Manifestations en Tunisie (AFP 07/03/23)

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Depuis l’été 2021, les ONG et les grands partis d’opposition dénoncent une dérive autoritaire en Tunisie. Le président Kaïs Saïed, au pouvoir depuis 2019, mène une vague de répression contre ses opposants, les journalistes mais également contre les minorités. Les migrants subsahariens sont exposés à des agressions et à des campagnes de discrimination dans le pays.

Violences anti-migrants

Le 21 février, le président tunisien, Kaïs Saïed, a affirmé que la présence en Tunisie d’immigrés clandestins provenant de pays d’Afrique subsaharienne était source de "violence et de crimes" et relevait d’une "entreprise criminelle".

On a perdu notre travail et notre logement.

Ce discours, condamné par des ONG comme "raciste et haineux", a provoqué une recrudescence des agressions dans le pays. Un bon nombre des 21.000 ressortissants d’Afrique subsaharienne recensés officiellement en Tunisie, pour la plupart en situation irrégulière, a perdu du jour au lendemain leur travail et leur logement.

Africains subsahariens persécutés en Tunisie

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"Ils nous ont chassés et nous ne savons pas pourquoi. On a perdu notre travail et notre logement. On nous a jeté des pierres et des morceaux de bois. Nous ne savons pas où aller.", explique un jeune migrant ivoirien victime d’acte raciste.

Abdulrahman Dombia est lui étudiant depuis 4 ans en Tunisie. Aujourd’hui, ce Malien a décidé de tout abandonner pour rentrer dans son pays. "Je suis en Master à l’Université. Mais, j’ai décidé en pleine année de laisser mes études en plan et de rentrer chez moi, parce que je ne me sens pas en sécurité.", confie-t-il.

Ces derniers jours, des centaines de subsahariens se sont rendus à leurs ambassades pour être rapatriés. Selon l’ambassadeur ivoirien à Tunis, Ibrahim Sy Savané, le nombre de candidats au retour atteint 1100. Un chiffre significatif pour la communauté ivoirienne qui, avec au moins 7000 personnes, est la plus importante d’Afrique subsaharienne en Tunisie, grâce à une exemption de visa à l’entrée.

Face à la dégradation de la situation et aux agressions rapportées, la Banque mondiale a décidé de suspendre "jusqu’à nouvel ordre" son cadre de partenariat avec la Tunisie, jugeant "complètement inacceptables" les propos du président tunisien.

Suspension du Parlement et vague d’arrestations

Le 25 juillet 2021, le président tunisien, Kaïs Saïed, au pouvoir depuis deux ans, s’est octroyé la quasi-totalité des pouvoirs en limogeant le gouvernement et en suspendant le Parlement avant de le dissoudre en mars 2022. Il a ensuite révisé la Constitution pour revenir à un système ultra-présidentiel similaire à celui d’avant la chute du dictateur Ben Ali.

"Il s’est attaqué méthodiquement à tous les contre-pouvoirs qui avaient été précisément mis en place après la chute de Ben Ali pour éviter de retourner vers un système autoritaire ou dictatorial. Il s’est aussi attaqué à la justice. Il a dissous le Conseil supérieur de magistrature et s’est donné les prérogatives de congédier des magistrats sur simple rapport de police. Il a limogé 57 magistrats. Il contrôle donc la justice.", explique Hatem Nafti, auteur du livre "Tunisie : vers un populisme autoritaire ?".

Des manifestants scandent des slogans lors d’une manifestation organisée par l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) contre l’aggravation des difficultés économiques et l’arrestation d’un haut responsable syndical, à Sfax, la deuxième ville du
Des manifestants scandent des slogans lors d’une manifestation organisée par l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) contre l’aggravation des difficultés économiques et l’arrestation d’un haut responsable syndical, à Sfax, la deuxième ville du © AFP or licensors

Début février 2023, la répression de l’opposition a pris un tournant inédit. Les autorités ont arrêté plus de 20 personnes dont plusieurs ex-ministres, des hommes d’affaires connus comme Kamel Eltaïef, mais aussi Noureddine Boutar, le directeur de Radio Mosaïque, la plus écoutée de Tunisie, qui diffuse une émission très critique du pouvoir. Le président les a qualifiés de "terroristes", les accusant de "complot contre la sécurité de l’Etat".

"Dans ses discours, le président se dit investi d’une mission. C’est vraiment une nouvelle théorie de la gouvernance et donc à partir du moment où vous vous opposez à son projet présenté comme messianique. Vous n’êtes plus un opposant politique, vous êtes "un traître", "un vendu". Ce sont des termes qu’il emploie très régulièrement.", décrypte l’essayiste Hatem Nafti.

La Tunisie appartient à son peuple et non pas à un aventurier qui veut l’incendier !

Ce dimanche, près d’un millier de manifestants ont rejoint l’avenue Habib Bourguiba, dans la capitale Tunis, où se tiennent la plupart des rassemblements, pour lutter contre ses arrestations.

Les manifestants accusent le président d’instaurer une nouvelle autocratie dans le pays qui fut pourtant le berceau du Printemps arabe.

"Le message que nous passons aujourd’hui c’est : "non à la peur !" La Tunisie appartient à son peuple et non pas à un aventurier qui veut l’incendier ! Il suit les pas de Mussolini et d’Hitler, ces deux criminels qui ont mis le feu dans leurs pays ! Nous ne permettrons pas à un Hitler junior de brûler la Tunisie.", affirme Lamine Bouazizi, membre du Front de salut national (FSN).

Des migrants arrivent à l’aéroport international de Tunis-Carthage le 7 mars 2023. Ils se préparent à quitter Tunis pour un vol de rapatriement.
Des migrants arrivent à l’aéroport international de Tunis-Carthage le 7 mars 2023. Ils se préparent à quitter Tunis pour un vol de rapatriement. © AFP or licensors

Abdellatif Mekki, ancien dirigeant du parti Ennahdha, réclame le retour de la démocratie. "Le peuple imposera ses revendications, regagnera la démocratie et il résoudra ses problèmes d’une façon civilisée et participative en se référant à la légitimité et à la loi.", affirme-t-il.

La parenthèse démocratique s’est fermée en Tunisie

Cette vague d’arrestations a été décrite par Amnesty International comme une "chasse aux sorcières motivée par des considérations politiques".

Ce tour de vis porte un nouveau coup à cette jeune démocratie issue de la première révolte du Printemps arabe en 2011. Un coup qui selon Hatem Nafti, lui sera fatal. "Tous ces éléments font que la parenthèse démocratique s’est refermée en Tunisie. On est passé dans la phase de la criminalisation de l’opposition. Quand on arrête ses opposants et qu’on les menace de la peine de mort, l’expérience démocratique est finie.", conclut l’essayiste.

Des manifestants tunisiens portent des pancartes lors d’une manifestation dans le centre de Tunis contre leur président le 14 janvier 2023.
Des manifestants tunisiens portent des pancartes lors d’une manifestation dans le centre de Tunis contre leur président le 14 janvier 2023. © AFP or licensors

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