Belgique

Procès des attentats de Bruxelles : « Ton rire résonne dans ma tête comme si c’était hier »

© Palix

Par Stéphanie Lepage du service judiciaire

Ce mardi matin au procès des attentats de Bruxelles, plusieurs victimes sont venues témoigner suite à la perte d’un ou d’une de leur proche dans l’attentat de Maelbeek. Des hommages dignes et poignants livrés avec une émotion parfois dure à contenir. 

J’ai longuement réfléchi au fait de venir témoigner aujourd’hui ou non ". Anna Panasewicz, 42 ans, s’exprime d’une petite voix tremblante. Malgré sa douleur, elle a décidé de venir pour faire honneur à sa maman, Janina, devant le jury de la cour d’assises. " Elle était toujours souriante, jamais fâchée sur les gens. C’était une grande dame, gentille et serviable. 

"Aujourd’hui (21 mars), cela fait exactement 7 ans que je parlais à ma maman pour la dernière fois " explique émue Anna Panasewicz. La jeune femme était alors enceinte de son deuxième enfant. Elle se souvient que sa maman lui parlait déjà à travers le ventre : "Bonjour, c’est ta mamy !".

Le 22 mars 2016, Janina Panasewicz prend le métro pour déposer ses titres services à l’agence où elle travaille. Elle doit partir quelques jours en Pologne le lendemain. Elle refuse de s’attarder pour un café, ne voulant être en retard chez ses clients du jour. Elle n’arrivera jamais à bon port.

A la morgue, j’ai juste vu un sac en plastique

Un cauchemar commence pour sa fille qui ne perd pas espoir dans les premières heures. " Nous avons trouvé son appartement vide, avec sa valise prête pour partir ".

Ce n’est qu’après plusieurs jours d'attente que la mort de Janina est confirmée. N’ayant pas de dossier médical en Belgique, elle est parmi les dernières victimes identifiées. Il ne subsiste qu’une petite partie de son corps, le reste a été détruit par l’explosion. "A la morgue, j’ai juste vu un sac en plastique. Mon papa m’avait dit de choisir le plus beau vêtement pour maman mais elle n’a pas eu l’honneur de le porter " regrette Anna.

Quelques photos sont projetées sur les grands écrans de la salle d’audience. Janina affiche un sourire radieux en toutes circonstances. En balade dans les rues de Bruxelles, en week-end à la mer avec son époux, lors des nombreuses fêtes de famille entourées de ses petits-enfants.

Quand c’est trop dur, je prends ses châles dans mes bras

Janina est venue en Belgique après avoir perdu son travail en Pologne. " Pour acheter son ticket de bus, mes parents ont dû emprunter de l’argent aux voisins " confie Anna qui, adolescente, n’avait pas bien compris le départ de sa maman vers l’autre bout de l’Europe. " J’ai compris plus tard qu’elle l’avait fait pour nous ". Adulte, Anna va d’ailleurs rejoindre sa maman en Belgique. Mère et fille deviendront encore plus proches suite à la naissance de Sarah. " Depuis que sa petite-fille est née, maman était présente tout le temps pour nous. Son monde, c’était Sarah. Elles étaient très proches ".

Anna Panasewicz décrit une douleur comme au premier jour. Et le manque de sa maman au quotidien. " Quand c’est trop dur, je prends ses châles que j’ai gardés dans mes bras ".

Cette disparition brutale a aussi été très difficile pour sa petite-fille Sarah qui a vécu les journées de recherche et l’annonce du décès suite au 22 mars. " Après les attentats, Sarah faisait des crises d’angoisse. Tous les soirs, elle vomissait. Il n’y avait plus moyen de la mettre au lit ".

Janina a été enterrée le premier avril 2016 en présence de ses proches et de nombreuses familles et enfants qu’elle babysittait. " Ils l’appelaient Grana, notre grand-mère à tous ".

Gilles Laurent, victime décédée de l’attentat terroriste de Maelbeek.
Gilles Laurent, victime décédée de l’attentat terroriste de Maelbeek. © Tous droits réservés

Gilles Laurent dans le regard de ses sœurs

Trois sœurs, soudées et solidaires, sont ensuite venues parler de leur frère, Gilles Laurent.

Pour elles, venir témoigner au Justitia est très difficile. " Ce procès est une re-plongée en enfer après 7 ans sur la voie de la reconstruction ". Sylvie, Marlène et Alice ne voulaient pas prendre part au procès au départ mais après réflexion, elles ont pensé que " c’est l’unique moment pour faire connaître notre frère Gilles à qui vous avez ôté la vie messieurs un matin de printemps ". Deux des sœurs vont prendre la parole. La troisième se joint au témoignage mais pour elle, c’est trop dur de s'exprimer. 

Gilles Laurent était ingénieur du son. Originaire de Bouillon, il vivait à Tokyo avec son épouse et ses deux petites-filles âgées de 4 et 6 ans en 2016. Mais en mars, il est en Belgique pour réaliser le montage de son premier film " La terre abandonnée ", consacré à la catastrophe de Fukushima. Le 22 mars, il avait pris le métro pour aller travailler, il devait mettre un point final au montage.

Après l’attaque et sans nouvelles de Gilles, la famille remue ciel et terre pour le retrouver. Se rendant à Maelbeek, multipliant les posts sur les réseaux sociaux, … Le lendemain, ils sont invitées à l’hôpital militaire de Neder-Over-Hembeek pour déposer des affaires qui pourraient identifier Gilles. " Mais on est sourds, on pense que c’est juste pour l’exclure de la liste ".

Les jours passent, l’espoir garde une petite place mais s’envole définitivement avec la venue du policier du DVI venu confirmer la mort de Gilles. Sylvie Laurent refuse d’y croire tant la nouvelle est violente, inimaginable. " C’est le déni ". Elle prend la route avec son époux. " Il faut aller l’annoncer à mes sœurs, à mon papa. On ne sort pas indemne d’une telle épreuve ".

Je regrette tellement que ses deux filles n’aient pas pu en profiter plus 

Passionné, curieux de tout, Gilles Laurent avait parcouru plus de 30 pays. Ses sœurs le décrivent comme un homme entier, amoureux de la nature, respectueux de la vie et de l’environnement. Un homme de conviction qui prônait une société bienveillante et inclusive. " Il défendait ses convictions avec ferveur et intransigeance. Si bien que, plus jeunes, on avait interdit les discussions politiques à la maison " se souvient Sylvie.

Il était aussi un papa comblé, aimant et responsable, confie sa sœur. " Je regrette tellement que ses deux filles n’aient pas pu en profiter plus ".

Les trois sœurs témoignent du manque terrible de leur frère, auquel elles pensent quotidiennement. "Ton rire résonne dans ma tête comme si c’était hier" glisse Alice Laurent, sa plus jeune sœur. "Je t’aime mon frérot de la Semois". "On est venues ici pour toi, pour te dire combien tu nous manques ".

Vous êtes tous responsables, messieurs, quel que soit votre rôle

Gilles Laurent a été arraché à la vie. Inacceptable pour ses sœurs qui ont condamné l’obscurantisme et regretté que des jeunes en manque de reconnaissance, qui ne trouvent pas leur place dans la société, en arrivent à commettre des telles atrocités. " C’est aussi un échec de notre société " constate Sylvie. " J’espère que ces évènements nous permettront de bâtir une société plus apaisée, où la barbarie et l’obscurantisme n’auront plus leur place ".

Les sœurs ont déclaré ne pas avoir de haine à l’égard des accusés, ayant eu la chance de grandir dans un milieu qui respecte la vie et l’autre dans sa différence. " Aujourd’hui, nous sommes sur le chemin de la paix, c’est la seule façon d’avancer ".

"La chute a été longue et difficile. Petit à petit avec le soutien de nos proches et de nos amis, on se relève. Mais pas tout à fait droites, un peu bosselées et cabossées".

Cette deuxième journée de témoignages clôture déjà la semaine d'audience. Les débats sont suspendus jusque lundi prochain. 

Les jurés du procès des attentats de Bruxelles écoutent attentivement les témoignages des victimes.
Les jurés du procès des attentats de Bruxelles écoutent attentivement les témoignages des victimes. © Palix

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