Attentats de Bruxelles

Procès des attentats de Bruxelles : le sentiment de culpabilité, la place des enfants, ce que nous disent les survivants

Le focus sur le procès des attentats de Bruxelles

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Il y a 7 ans, le 22 mars 2016, la Belgique était frappée par les attentats à l’aéroport national et dans le métro bruxellois, à la station Maelbeek. Cette année, les commémorations se déroulent pendant le procès qui doit juger 10 accusés. Un contexte d’autant plus particulier que, depuis le début du mois, ce sont les victimes qui ont la parole.

Un lourd sentiment de culpabilité

Notre journaliste Mélanie Joris suit le procès depuis le début et a entendu plus d’une trentaine de témoignages. Des similarités en ressortent et ce qui l’a le plus marqué, jusqu’à présent, c’est le lourd sentiment de culpabilité porté par les survivants des attentats.

Pierre-Yves Desaive après son témoignage devant la cour d’assises

Il y a, par exemple, les mots de Pierre-Yves Desaive qui était à l’aéroport, dans le hall des départs. Il a échappé miraculeusement à la mort. Devant la cour d’assises, il a expliqué à la présidente qu’il était présent dans les médias pour prêter sa voix aux victimes qui n’y arrivent pas. La présidente lui a demandé si c’était une manière de se racheter de ne pas avoir été plus endommagé et sa réponse était "oui".

Une autre victime a évoqué ce même sentiment de culpabilité. C’est Orphée Vanden Bussche. Elle était dans le métro le 22 mars, dans la même voiture que le kamikaze. La personne à sa droite est décédée. Elle est en vie, avec de lourdes séquelles, mais en vie. Et chaque jour, elle se demande : "pourquoi cette maman de trois enfants qui étaient à côté de moi n’a pas survécu et moi, bien ?".

Et puis, il y a eu ce témoignage terrible de Katrijn Janssens. Elle était à l’aéroport avec son mari. Ils venaient de passer les contrôles de sécurité et s’étaient installés sur un banc pour manger leurs tartines quand les bombes ont explosé. Katrijn est restée tétanisée, comme spectatrice d’un film. Elle n’a pas bougé, n’a aidé personne, elle est restée sur ce banc à manger ses tartines. Aujourd’hui, elle est tellement écrasée par sa culpabilité qu’elle n’est plus capable de s’alimenter. Elle a eu ces mots très durs devant la cour : "Quand je mange, je me dégoûte, je me revois ce jour-là où je n’ai rien fait". Résultat, cette victime est alimentée par sonde. Et elle a déposé une demande d’euthanasie qui a été refusée. "Malheureusement", dit-elle.

La place des enfants

Une autre similarité observée dans les témoignages des victimes, c’est la place des enfants et l’impact sur eux.

Beaucoup de victimes l’ont dit, elles tiennent pour leurs enfants. Mais là aussi, beaucoup de parents se sentent coupables du poids qu’ils ont fait ou font encore porter sur les épaules de leurs enfants. En étant paralysé par la peur, la peur d’autrui, la peur des foules, ces parents réalisent qu’ils ont empêché leurs enfants d’avoir une vie normale.

Thomas Savary

Et puis il y a les enfants qui avaient une relation très proche avec une victime décédée. C’est le cas de Loes, la petite-fille de Fabienne Vansteenkiste qui travaillait à l’aéroport. À l’époque, Loes avait 5 ans. Pendant les 3 jours où la famille a tenté de retrouver Fabienne, les enfants pensaient qu’elle jouait à cache-cache avec les méchants. Aujourd’hui, cette petite fille est encore habitée par la peur comme l’explique son papa, Thomas Savary.

"On reste en bas pour regarder la télé et on entend les pas en haut parce qu’en fait elle va dans chaque pièce pour vérifier si les fenêtres sont fermées au cas où il y a un méchant qui entre. Depuis ses 5 ans jusqu’à aujourd’hui. J’ai dû automatiser les fenêtres pour que le soir, dès qu’il fait noir, ça se ferme. Et c’est ça tout le temps."

Il y a aussi cette note rédigée dans le bulletin de Gabriel. Ce petit garçon a aussi perdu sa grand-mère à l’aéroport. Son institutrice écrivait : "Gabriel a perdu sa grand-mère et son insouciance. Il a absorbé la souffrance de sa maman et s’est donné pour mission de l’épargner, mais il est anormalement triste. Il ne va pas bien et met beaucoup d’énergie à le cacher".

Ce sont souvent dans ces moments de témoignages que les survivants craquent. Et dans la salle, le public aussi, tout comme les avocats et nous les journalistes.

Des moments d’espoir ?

Il y a encore énormément d’émotions chez les survivants et les proches qui sont venus témoigner. Mais y a-t-il tout de même, parfois, des moments d’espoir ?

Avant de parler d’espoir, notons que beaucoup de victimes vont encore très mal. Plusieurs d’entre elles ont révélé avoir fait des tentatives de suicide ou des demandes d’euthanasie. "Je dois faire le deuil de la personne que j’étais avant". "Je ne me reconnais plus. Avant, j’aimais la vie. Aujourd’hui, je n’ai plus le goût de rien". Ces phrases-là, on les a beaucoup entendues et surtout le verbe "survivre".

Quand il y a des petites touches d’espoir, c’est souvent en fin de témoignage. Lorsque la présidente ramène les victimes et leurs proches à l’instant présent. Quand elle leur demande comment ils vont aujourd’hui.

Katarina Viktorsson

Et puis, il y a ce soulagement qui est perceptible après le témoignage, à la sortie de la salle d’audience. C’est un moment nécessaire, difficile, mais qui ouvre vers autre chose. C’est ce qu’exprime Katarina Viktorsson, c’est la maman de Gabriel et la fille de Berit qui est morte à l’aéroport.

"En sortant de la salle, je me suis presque effondrée, c’était vraiment sortir la tête haute. Et puis dès que je voyais qu’on ne me voyait plus dans la salle, je me suis mise sur une chaise, je pensais que j’allais presque m’évanouir, mais maintenant voilà, c’est la Lionne qui se réveille."

Une lionne qui se réveille. Pendant son témoignage, elle expliquait aussi qu’elle avait décidé d’aller mieux, de se reconstruire et d’avancer. Et qu’à force de se le répéter, elle commençait à y croire.

"Je vous tends la main avec la puissance du pardon"

Sébastien Bellin

Pour certains, se reconstruire, cela passe par le pardon. Mais pour beaucoup d’autres victimes, cela n’est pas encore possible.

Plusieurs victimes ont évoqué le pardon. Le premier à l’avoir fait, c’est Sébastien Bellin, basketteur professionnel, ancien capitaine de l’équipe nationale belge. Pendant tout son témoignage, l’homme a évoqué l’amour et la bienveillance qui le guident. Et il a eu cette phrase : "Je vous tends la main avec la puissance du pardon. C’est la dernière étape de ma guérison".

Une autre victime qui travaillait dans un snack de l’aéroport a aussi accordé son pardon aux accusés. Elle a expliqué sa démarche : "Je ne veux plus vivre dans cette peur d’autrui. On n’oublie pas, mais pour tourner la page et avancer dans ma vie, je leur pardonne".

Pour d’autres survivants, le pardon n’est, par contre, pas du tout possible. On a entendu certaines victimes dire qu’elles avaient été condamnées à perpétuité le 22 mars, une perpétuité de douleurs et de souffrance. Et qu’elles n’avaient pourtant rien demandé. Alors pour ces victimes, les accusés peuvent au choix : finir en enfer ou dans une cellule dont on aurait perdu la clé.

Philippe Vansteenkiste

Pour d’autres, le pardon ne viendra que s’il y a un chemin qui est parcouru des deux côtés. C’est le cas de Philippe Vansteenkiste, le frère de Fabienne Vansteenkiste.

"Ici, dans ce cas-ci, je n’ai pas encore entendu la demande. Et donc, c’est la première chose que j’aimerais savoir. Est-ce qu’ils demandent le pardon ? Je n’ai rien vu dans le dossier, je n’ai rien entendu aujourd’hui donc s’il n’y a pas cette demande, donner le pardon aujourd’hui, pour moi, ce n’est pas la question à poser en ce moment-ci."

Se battre pour faire reconnaître leur traumatisme

Un dernier élément a aussi souvent été évoqué par les victimes, c’est le parcours du combattant à mener avec les assurances et les médecins experts. Aujourd’hui encore, 7 ans après, beaucoup de victimes se battent pour faire reconnaître leur traumatisme.

Lorsque ce thème est évoqué dans les témoignages, on sent beaucoup de colère et de souffrance. Un exemple parmi d’autre : une victime se souvient d’un rendez-vous chez un médecin expert qui doit évaluer sa mobilité. Alors pour le faire, celui-ci jette un bic par terre et attend de voir si cette survivante arrive à le ramasser.

Un autre exemple : ce médecin qui remballe sévèrement une victime avec cette phrase : "vous n’allez pas vous plaindre, on vous paie quand même un salaire pour vivre".

Ou encore ce psychologue qui estime que la victime n’a plus besoin d’aide puisqu’elle a eu un enfant. "Si vous avez eu un enfant, c’est que vous êtes passée à autre chose".

Des phrases comme celles-ci, au mieux maladroites, au pire blessantes, on en a entendu beaucoup lors des témoignages. Et comme le résumait bien Loubna Selassi, l’épouse d’Abdellah qui a perdu une de ses jambes à l’aéroport : "Ils anéantissent toute l’énergie que j’essaie d’insuffler à mon mari et à ma famille".

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous