Les lunettes du géographe, on les sent très bien. Il y a une écriture géographique parce qu' il y a une méthode, il y a une histoire, mais il y a également une narration, une forme littéraire. Les phrases sont toujours avec le mot juste. C'est aussi au scalpel, très court. Et on est emporté par un rythme. Comment considérez-vous l'écriture, le style ?
"En fait, j'ai l'impression de faire partie d'une partie de la population qui n'est pas en mesure de se choisir un style comme on choisit des vêtements. Et il me semble que c'est toujours la nécessité qui guide mes choix. C'est pour ça qu'on a parlé d'écriture pudique, au scalpel, et cetera. C'est parce que de toute façon, je suis cadré par l'espoir que ma famille ne soit pas trop heurtée par ce livre. Et déjà que c'était en partie une petite transgression de raconter l'histoire qu’eux-mêmes ne voulaient pas raconter."
...avec les vrais noms et lieux.
"J'ai pensé que si je voulais les faire adhérer a posteriori à ce projet, il fallait qu'ils se reconnaissent dans cette écriture. Et ce sont des gens très pudiques, donc ils ne m'auraient jamais pardonné de faire de l'emphase, de faire beaucoup d'artistique et d'orfèvrerie avec leur vie. C'est pour ça qu'il a fallu vraiment le faire de la manière la plus neutre. Qu'il n'y ait pas le mot qui me satisfait, mais de la manière la plus simple possible pour qu'eux se reconnaissent. Sinon, j'aurais eu l'impression de les trahir un peu."
Vous ne vous considérez pas comme un traître ?
"En tout cas, j'espère de ne pas l'être. Et c'est déjà une forme de trahison d'avoir trahi le secret parce qu'eux se seraient bien satisfaits pour leur restant de leurs jours du silence autour de cette histoire."
Qu'est-ce qu'ils vous ont dit maintenant que le livre est là et que vous avez gagné des prix et qu'on vous voit partout ? La rentrée littéraire a été illuminée par ce roman...
"C'est un grand honneur qui nous est fait. Je pense qu'ils sont partagés parce qu'avoir un fils qui a écrit un livre pour eux, c'est une grande fierté. Quelque part, ils auraient bien aimé que je raconte l'histoire des voisins plutôt que la leur, mais ils sont très fiers de ça. Une partie de la famille subissait le tabou. Je pense que beaucoup de membres de la famille auraient eu besoin qu'on en parle plus tôt et donc ceux-là sont plutôt satisfaits qu'on puisse enfin discuter. Et comme s'ils se souvenaient tout à coup de tout, ils se remettent à en parler, etc. Et c'est une grande satisfaction.
Les plus anciens sont un peu plus gênés parce que pour la génération précédente, il n'y a aucune bonne raison de parler, alors que nous vivons peut-être tous collectivement dans une société qui a admis que la parole est libératoire. Mais ce n'est pas leur cas. Donc ils ont beaucoup plus de mal avec ça. Mais ça nous permet d'avoir des discussions constructives."
C'est un roman très fort, qui vous touche beaucoup, puisque c'est quand même l'exploration d'un secret de famille, d'époques douloureuses. Il y aura autre chose? Vous vous sentez capable d'écrire autrement, autre chose?
"Écrire autrement, non, mais autre chose, oui. Il me semble que j'ai eu la chance de rencontrer des auteurs confirmés dans le cadre de la rentrée littéraire et des festivals auxquels nous avons assisté. Et c'est vrai que la plupart des auteurs confirmés me disent souvent qu'un premier roman, ça pose les jalons de quelque chose. Et quand je regarde ma bibliographie, eh bien finalement je me rends compte que mon premier roman, quel qu'il fût, déjà tout était contenu dans mon premier roman. Et c'est vrai que j'ai l'impression que ce premier roman m'ouvre les portes d'une sorte de méthodologie. Le mot est insuffisant, mais il y a quelque chose qui me permet aujourd'hui de revoir d'autres éléments de ma vie, de ce prisme-là, avec cet aller-retour collectif et intime. Et c'est vrai que je compte bien continuer de ce point de vue-là, avec cette famille-là, avec cette géographie-là, mais d'autres personnages, d'autres faits collectifs aussi."
- Donc l'écriture vous tente ?
"Oui. C'est une chose dans laquelle je me trouve bien et je compte bien continuer."
Il s'agit d'un objet, un livre et sa couverture. D'abord le titre, ce sont "Les Enfants endormis", liés à la toxicomanie. Mais on ne le comprend qu'en lisant puisque nous on n'employait pas ce terme-là. Et sur la couverture il y a des photos, qui parlent aux gens qui ont vécu les années 80. On voit la Golf, le vélo, le mariage avec le bouquet de fleurs. C'est typique, mais ce sont de vraies photos. Ça ancre donc dans une réalité familiale. Ce ne sont pas des illustrations ?
"Au moment où l'aventure éditoriale a commencé, on a songé avec mon éditeur, les éditions Globe, à utiliser un matériau qui est aussi le matériau du livre, en l'occurrence les super 8 de mon père. Et quelque chose qui m'ennuyait, c'était pas tant l'exposition de ma famille, mais c'était est-ce que les gens vont comprendre qu'il ne s'agit pas que de l'histoire de ma famille ? Et c'est pour ça que plutôt que de choisir une seule photo, on a accumulé des photographies et les choix ont été faits selon un seul critère. Il ne s'agit pas de se demander si tel ou tel personnage représenté est dans le livre ou pas. Ce qui a été un critère, c'est que chacun puisse reconnaître les photos de sa propre famille. Donc c'est pour ça qu'on retrouve des sortes de cartes postales. Donc il y a des vacances à la mer, il y a un jeune garçon devant une maison qui semble être quand même de la campagne, il y a des photos de mariage, etc. Le but c'était que chacun puisse comprendre qu'il ne s'agissait pas de quelque chose d'uniquement intime. Donc c'est pour ça que ce choix-là a été fait."
Donc ce n'est pas un album de famille ?
"C'est l'album collectif, en quelque sorte, de toutes les photos que nous avons chacun en notre possession."