Présidentielle en France

Présidentielle 2022 : les extrêmes ont attiré plus de la moitié des électeurs français

Présidentielle 2022 : les extrêmes ont attiré plus de la moitié des électeurs français. Photo d’illustration.

© Copyright Joel Saget / AFP

Par Catherine Tonero

Les derniers sondages l’annonçaient et l’annonce s’est confirmée à la sortie des urnes. Pour ce premier tour de l’élection présidentielle française, plus de la moitié des votants ont choisi des extrêmes. Déjà présente il y a cinq ans, cette tendance résulte notamment d’une insatisfaction sociale grandissante, doublée d’une banalisation des extrêmes.

Zemmour diabolisé au profit de Le Pen

"Je vais voter pour Eric Zemmour", annonçait Maureen Ostheim hier depuis Paris, regrettant que son candidat ait été tant diabolisé, selon elle. "Si Marine Le Pen s’en sort si bien cette fois-ci, c’est qu’Eric Zemmour lui a servi de bouclier derrière lequel elle a pu faire sa campagne tranquillement", affirme l’électrice française qui fait partie des quelques 7% de votants à avoir choisi le candidat du parti Reconquête !

Ensemble, les deux candidats d’extrême-droite comptabilisent plus de 30% des voix. Ajoutez-y les 2% de voix données à la droite radicale de Nicolas Dupont-Aignan et les 24% de votes à l’extrême gauche (environ 20% pour Jean-Luc Mélenchon, 2% pour Fabien Roussel et entre 0,5 et 1% pour Philippe Poutou et Nathalie Arthaud), 56% des électeurs français qui ont voté ce dimanche ont choisi un parti à l’extrême de l’échiquier politique.

Percer le plafond de verre électoral

Au-delà d’une tendance européenne vers le vote extrémiste qui existe depuis de nombreuses années, Benjamin Biard, politologue au CRISP, spécialiste des formations d’extrême droite, y voit surtout la capacité grandissante de ces formations à percer un "plafond de verre électoral" pour gagner en légitimité et tenter d’accéder, de plus en plus, au pouvoir : "C’est un processus de normalisation de parti, initié notamment par Marine Le Pen, avec cette volonté d’aller toujours plus loin, pour élargir la base électorale", explique-t-il.

Et de partager l’analyse de l’électrice parisienne : "Eric Zemmour, sur le plan du style et de la communication politique, renoue avec l’extrême droite plus traditionnelle, telle qu’incarnée à l’époque par Jean-Marie Le Pen, et se faisant, contribue effectivement à aider, sans que ce soit volontaire, Marine Le Pen à aller un pas plus loin dans sa stratégie de dédiabolisation et de normalisation".

Vote protestataire

Parallèlement à cette banalisation de l’extrême droite, il faut aussi relever le "vote contestataire". "Le vote protestataire est la volonté d’exprimer politiquement sa contestation", rappelle Benjamin Biard, "il matérialise l’opposition au quinquennat d’Emmanuel Macron, sous la forme notamment des gilets jaunes". Toutefois, précise le politologue, les formations extrêmes recueillent de plus en plus de "votes d’adhésion": "soient des votes favorables à l’idéologie défendue, pour l’extrême-droite, focalisée sur l’immigration, l’insécurité ou encore la méfiance à l’égard du fonctionnement même de la démocratie".

"Pour la première fois depuis le début des années 70", ajoute-t-il, "on a deux candidatures crédibles qui entrent en confrontation à l’extrême-droite, alors qu’on était jusque-là habitué à une extrême-droite incarnée par un leader et un parti politique […] Aujourd’hui, il y a une rupture qui aurait pu a priori déforcer Marine Le Pen, mais cela ne s’est donc pas confirmé".

Vote utile

On sait que le résultat de cette élection a été particulièrement difficile à anticiper en raison d’une double donnée : l’abstention et l’indécision, pouvant toutes deux faire peser la balance de façon imprévisible. Il y a aussi le "vote utile", soit le vote qui sert à vaincre un candidat que l’on ne souhaite pas voir élire, et qui ne tient pas forcément compte des convictions politiques des électeurs. "Jamais ce vote ne s’était déporté sur les partis extrémistes et souverainistes pour empêcher le favori de gagner", analyse La Libre Belgique"Et à gauche, le vote utile pour Jean-Luc Mélenchon pourrait avoir un rôle important", commente Benjamin Biard.

Si Hugo, 20 ans, a voté pour Jean-Luc Mélenchon, c’est parce que c’est pour lui le seul candidat crédible sur les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique, préoccupation majeure de la jeunesse largement absente des débats : "Le rapport du GIEC est sorti la semaine dernière, on a trois ans pour agir, un mandat présidentiel ça dure cinq ans […] Il faut tenter sinon on le regrettera tous", expliquait le jeune électeur à sa sortie de l’isoloir.

Mais cette campagne a tourné autour de quelques enjeux qui ne sont pas nécessairement ceux qui intéressent le plus les Français, observe Benjamin Biard : "les thématiques qui ont occupé le cœur de l’agenda politique pendant la campagne et même avant, ce sont les questions migratoires, identitaires, sécuritaires et, dans une certaine mesure, les questions socio-économiques, qui reviennent toujours. Mais effectivement, les questions environnementales n’ont pas occupé le cœur de cette campagne, malgré la mobilisation de ces dernières années, notamment dans le cadre des manifestations climatiques. Et donc voilà qu’il y a un certain déséquilibre, dû notamment aux candidatures de l’extrême-droite, dont celle d’Éric Zemmour qui avant même d’être en campagne faisait déjà un certain buzz".

Un paradoxe dans le pays des droits de l’homme ?

La moitié des Français qui votent pour des extrêmes, est-ce un paradoxe dans le pays des droits de l’homme ? "Oui et non", répond le politologue du CRISP, "car en même temps, au niveau européen, on observe des représentants d’extrême-droite de toute sorte de pays confondus qui réussissent à obtenir de bons résultats pour une raison très simple", répète-t-il, "c’est que l’extrême-droite à réussi à se normaliser […] En France, c’est une tendance globale désormais qui s’observe.

"C’est aussi un développement parallèle à la crise de la démocratie représentative. Les citoyens ont de moins en moins confiance dans le fonctionnement même de la démocratie […] Il faut donc regarder tout ça avec un peu plus de distance pour se rendre compte que ce n’est pas propre à la France, c’est un développement que l’on observe un peu partout en Europe et dans le monde", conclut-il.

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