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Près de 2000 morts et toujours une centaine de victimes non identifiées : il y a 70 ans, les Pays-Bas subissaient le pire raz-de-marée de leur histoire

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Par Jean-François Herbecq

Un raz-de-marée dramatique : la combinaison d’une violente tempête en Mer du Nord avec une grande marée dans la nuit du 31 janvier au 1er février 1953, et la Zélande, cette région d’îles formées par les deltas de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin, une portion du sud-ouest des Pays-Bas, et également de grandes parties des côtes belges et anglaises se retrouvent sous eau.

En mer, l’eau s’élève jusqu’à 4,50 mètres au-dessus du niveau normal. A Hoek van Holland, la marée haute dépasse de 3 mètres son niveau habituel.

Aux Pays-Bas, les digues n’arrivent plus à contenir les vagues, des milliers d’habitations sont emportées. Près de 2000 personnes meurent noyées. Aujourd’hui encore, une centaine de victimes n’ont pu être identifiées. Suite à ce drame, les Pays-Bas lancent le plan Delta pour faire barrage contre la mer, imité par des initiatives similaires en Belgique et Grande-Bretagne.

Une tempête de 250 ans

La catastrophe était annoncée : une tempête avec des vents du nord-ouest. Comme un ouragan.

D’ordinaire en Mer du Nord, les vents dominants viennent du sud-ouest, parallèles aux côtes néerlandaises. Mais en cette dernière journée de janvier 1953, la tempête souffle droit vers les côtes. Et cette violente dépression dure.

Le lendemain, un dimanche 1er février la marée est exceptionnelle : une marée d’eau vive, gonflée par la concordance des astres. La Lune et le Soleil se trouvent dans le même axe et renforcent mutuellement leur attraction et la montée des eaux.

Eaux vives et tempête expliquent ce raz-de-marée. Résultat, un phénomène qu’on observe seulement en moyenne tous les 250 ans. La météo prévient, la radio avertit du danger de la montée des eaux. La situation est qualifiée d'"anormale" à Zwijndrecht, Dordrecht, Rotterdam, Willemstad, Cadzand…

Mais pas d’évacuation au programme, encore moins de panique, et les habitants sont chez eux quand survient la vague monstrueuse. Un mur d’eau bouillonnante.

Les régions inondées en 1953 aux Pays-Bas, en Belgique et en Angleterre
Les régions inondées en 1953 aux Pays-Bas, en Belgique et en Angleterre © RTBF/Bertrand Massart

Des secours trop lents, des centaines de noyés

La Mer du Nord envahit la Zélande sur le coup de 3 heures du matin. Un déluge. 89 digues, trop basses ou affaiblies par le manque d’entretien, rompent en pleine nuit. Elles sont prévues pour supporter jusqu’à deux mètres et demi en plus du niveau de crue normal. Mais cette fois le niveau dépasse 3 mètres.

Environ 80% des digues de la région sont endommagées. Dans tout le Delta, les estuaires de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin, l’eau se répand sur les polders, les terres situées en dessous du niveau de la mer. Des dizaines de villages sont littéralement submergés.

Des villageois tentent de combler une brèche avec une plaque de métal, à Nieuwekerke, le bourgmestre ordonne qu’on échoue un bateau afin de combler un trou dans la digue de l’IJssel.

Civils et militaires renforcent une digue
Civils et militaires renforcent une digue © AFP/ANP

Comment fuir ? Des centaines d’habitants sont pris au piège. Ils se réfugient dans les greniers et sur le toit des maisons, tant que les murs tiennent. Au faîte des clochers. Certains improvisent des radeaux. Des familles sont emportées par les flots, des centaines de victimes meurent noyées.

Les routes disparaissent sous l’eau, les rails aussi, les câbles téléphoniques et télégraphiques sont cassés, l’approvisionnement en eau potable est impossible.

Les secours tardent à arriver. Il faut l’aide des pêcheurs pour évacuer la population.

L’armée française vient en aide aux Pays-Bas
L’armée française vient en aide aux Pays-Bas © AFP/ANP

La marée suivante, dans l’après-midi, aggrave la situation. Les brèches s’élargissent. Le vent s’est renforcé et le niveau monte encore, d’autres digues sont éventrées, les maisons qui résistaient encore sont emportées. Les Zélandais qui avaient survécu à la première vague se noient par centaines. Certains villages perdent la moitié de leur population.

Les secours n’arriveront que le lendemain. Les Pays-Bas ne disposent que d’un seul hélicoptère. Ils reçoivent de l’aide de l’étranger, des Etats-Unis qui envoient leurs hélicoptères basés en Allemagne, l’armée française intervient, la Garde aérienne suisse…

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Le bilan final des victimes s’établit à 1836 morts. Il faut aussi compter 200.000 hectares sous eau, rendus incultivables par le sel, 10.000 maisons détruites, des dizaines de milliers de têtes de bétail noyées…

A Ostende aussi, on assiste à ce déversement d’eau. Des digues montrent des brèches. L’électricité et l’eau sont coupées, les barques servent à quitter les rues inondées.

Une rue inondée à Knokke
Une rue inondée à Knokke © Belga

Au total, la Belgique compte 28 morts.

De l’autre côté de la Manche aussi, l’eau fait des ravages. L’Angleterre, autour de l’embouchure de la Tamise, compte des centaines de morts. Des navires coulent, dont le ferry Princess Victoria, qui assurait la liaison entre l’Irlande et l’Écosse : 133 personnes périssent dans ce naufrage.

Un plan pour arrêter la mer

Aux Pays-Bas, c’est le traumatisme. Pendant l’après-guerre aux Pays-Bas, les efforts se concentrent sur la reconstruction du pays. Les tensions Est-Ouest et la crise du logement mobilisent aussi les moyens du pays. L’entretien des digues, leur modernisation mise entre parenthèses pendant la crise des années 30 et la Seconde guerre mondiale, tout cela reste au second plan. Avec les conséquences que l’on a vues.

Les Néerlandais vont tirer les leçons de la catastrophe. Le plan qui se dessine part du principe de la réduction des risques. Pour cela, il faut réduire la longueur des côtes.

Un ingénieur des Transports et de la Gestion des Eaux qui avait prévu le risque deux jours plus tôt, Johan van Veen, peut faire passer ses idées dans le plan Delta : fini de rehausser les digues existantes, il s’agit au contraire de fermer un certain nombre d’estuaires par des digues, écluses et barrières anti-tempête.

Les digues et barrages du plan Delta
Les digues et barrages du plan Delta © RTBF/Bertrand Massart

De 1956 à 1986, huit immenses barrages sont construits dans le cadre de ce plan Delta, qui ferme définitivement les bras de mer et protège désormais la Zélande.

Quelques millions de florins plus tard, le chantier s’achèvera en 1996 : le plan Delta a substitué 700 km de côtes découpées par une ligne droite de 80 km. En Belgique aussi, le plan Sigma renforce la côte, avec des quais et digues surélevés.

La Barrière de l’Escaut oriental à Vrouwenpolder
La Barrière de l’Escaut oriental à Vrouwenpolder © AFP – ROBIN VAN LONKHUIJSEN

L’expertise néerlandaise est aujourd’hui mondialement reconnue. Le travail se poursuit avec un Masterplan destiné à faire face à la montée du niveau des océans provoquée par le réchauffement de la planète.

Car la tâche n’est jamais finie. Aux Pays-Bas, la question reste d’actualité. Sont-ils suffisamment protégés face à la montée des eaux ? C’est la question que se posait Transversales il y a presque un an dans ce reportage qui revient sur les événements de 1953.

A long terme, un rehaussement des barrages et des digues est nécessaire. Le gouvernement néerlandais envisage d’investir encore dans le plan Delta, avec 20 milliards d’euros d’ici 2045.

Identifier les victimes

Au Watersnoodmuseum, le Musée de l’inondation ouvert en 2001 à Ouwerkerke, la directrice Lianne Kooiman rappelle l’impact de cette catastrophe sur la population et sur la politique de gestion de l’eau aux Pays-Bas. Les visiteurs qui ont connu le drame se font à présent fort rares, mais leurs descendants viennent avec souvent beaucoup d’émotion et de questions.

Parmi ces questions, celle des victimes qui n’ont pu être identifiées. Ce sont des personnes noyées, ou ensevelies sous la boue. Après leur découverte, l’identification est difficile.

Des tests DNA ont été proposés aux descendants de disparus et encore aujourd’hui, le Musée propose à ceux qui le souhaitent une filière pour identifier un éventuel proche parmi les victimes non identifiées. Il en reste aujourd’hui, 70 ans après, encore 105 sur lesquelles on n’a pu mettre un nom.

Pays-Bas : il y a 70 ans, le pays subissait le pire raz-de-marée de son histoire (La Première, JP du 01/02/2023)

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