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Premier meeting de campagne de Donald Trump : peut-il vraiment redevenir président des États-Unis ?

© 2023 Getty Images

"Je suis probablement l’homme le plus innocent de l’histoire des Etats-Unis. C’est ce que me disent des amis". Lors de son tout premier meeting de campagne en vue de l’élection présidentielle de 2024, Donald Trump a multiplié les petites formules pour se poser en victime d’un système qu’il dit truqué, à l’image de l’élection de 2020. Mais quelles sont réellement ses chances de redevenir le locataire de la Maison Blanche ?

Le scénario a beau n’avoir plus servi depuis quelques mois, il n’en est pas moins bien rôdé. À l’heure prévue, Donald Trump apparaît à la porte de son avion, le poing droit serré et levé à hauteur d’épaule, une casquette rouge à l’autre main. Il descend ensuite les marches de l’escalier pour se diriger vers le podium installé sur cette parcelle du tarmac de l’aéroport de Waco, devant les quelques milliers de partisans qui l’attendent depuis plusieurs heures. Les uns filment la scène avec leur téléphone, d’autres agitent une pancarte "Trump 2024".

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Tous sont en tout cas ravis de voir leur champion. De le voir, et forcément de l’entendre attaquer férocement tout qui a l’audace de ne pas le soutenir ou partager son point de vue. Et pour Donald Trump, se prétendre l’homme le plus innocent de l’histoire des États-Unis n’est pas incompatible avec l’écoute, en ouverture de son meeting, de l’hymne américain chanté par les émeutiers/prisonniers de l’insurrection du Capitole, le 6 janvier 2021.

Ne pas changer une formule qui a déjà gagné

"On sait qu’il est une 'bête politique' qui  est capable de réunir des auditoires charmés d’avance de l’écouter et l’entendre se lancer dans ce type de diatribe", analyse Serge Jaumain, professeur d’histoire contemporaine à l’ULB, co-directeur d’AmericaS, le centre interdisciplinaire d’étude des Amériques et grand spécialiste des Etats-Unis. "Il n’y a pas de raison pour lui de changer une formule qui a déjà gagné. Et quoi que l’on pense de ce qu’il dit, il reste un showman assez impressionnant et l’on peut penser qu’il y a une série de personnes qui viennent pour l’écouter et le voir comme si c’était une sorte de spectacle".

Samedi soir, Donald Trump a notamment affirmé que les États-Unis sont en train de devenir la Russie stalinienne, qu’il était temps d’expulser les communistes et les marxistes du pouvoir, ou encore que le système est truqué, comme l’a été selon lui la dernière élection présidentielle.

Mais pas un mot sur un éventuel programme, ce qui ne surprend pas Serge Jaumain : "Il faut rappeler que lors de la dernière élection présidentielle, il n’avait quasi pas de programme. Il est resté sur la lancée de ce qu’il avait fait en 2016, on ne peut certainement pas dire qu’il avait un programme extrêmement articulé et pour lui, finalement, le programme n’est pas un élément essentiel. Dans ses campagnes, c’est surtout l’attaque qui compte, et le fait de sortir un certain nombre de slogans qui font mouche". Et c’est incontestablement l’un des talents de Donald Trump vis-à-vis de ses partisans.

Le Texas pour démarrer sa campagne, un choix réfléchi

C’est donc à Waco que Donald Trump a choisi de débuter sa campagne. Un choix qui pourrait étonner, étant donné ce qui s’y est passé il y a trente ans, mais l’entourage de l’ex-président a affirmé que ce choix s’expliquait tout simplement par des raisons géographiques dans la mesure où cela se trouve à proximité de plusieurs grandes villes.

Serge Jaumain estime que cet argument peut être entendu : "C’est évidemment difficile à dire mais à ma connaissance, il n’y a pas fait référence de manière explicite. Trente ans après cette effroyable boucherie, il aurait pu l’évoquer, parce que c’était à l’époque Bill Clinton qui était président, mais ce n'est pas un angle d’attaque qu’il a choisi alors que si c’était vraiment cet élément-là qui l’avait déterminé, il l’aurait utilisé. C’est tout de même un communicateur assez impressionnant et à ce point de vue-là, il sait ce qu’il fait. Je pense que l’élément majeur, c’était vraiment d’être au Texas dans une ville très conservatrice et qui est effectivement assez bien desservie, un peu au sud de Dallas et pas trop éloignée, d’Austin ou San Antonio, afin de pouvoir attirer un public originaire de ces endroits-là. Et le Texas, de façon plus générale, est un état très conservateur, avec une série de législations que ce soit sur l’avortement, le retrait des bibliothèques des livres qui parlent de l’homosexualité et c’est aussi un état où les suprémacistes blancs sont parmi les plus forts, il y a donc une base certaine. Et il a poussé la prudence jusqu’à ne pas faire un meeting à Dallas ou Austin, qui sont deux grandes métropoles assez conservatrices mais où il y a une montée des démocrates".

Même inculpé, Donald Trump pourra se présenter

Des démocrates que l’ex-président tente de diaboliser, sans épargner la justice dont il sait qu’elle risque de lui attirer de gros ennuis puisque plusieurs dossiers sont en cours, de l’histoire d’un paiement à une actrice porno pour acheter son silence aux pressions électorales pour faire changer le résultat de l’élection de 2020 en Géorgie en passant par les archives classifiées de la Maison Blanche qu’il détenait dans sa résidence de Mar-a-Lago en Floride.

"Même s’il est inculpé" explique Serge Jaumain, "rien ne lui interdit de se présenter. Ce serait une première, mais avec Donald Trump, on en a déjà connu beaucoup. Je pense qu’à ses yeux, cela ne pose pas beaucoup de problèmes. S’il est inculpé, cela va avoir pour effet de mobiliser un peu plus ses troupes, qui vont ressentir une injustice d’autant plus importante. On sait que rien ne peut arrêter les militants de base, les trumpistes convaincus. Leur soutien est d’une solidité à toute épreuve. On pourrait donc l’inculper de n’importe quoi, sa base de supporters va lui rester fidèle. En revanche, s’il est arrêté, ce sera alors beaucoup plus difficile d’être présent médiatiquement dans la campagne et l’on sait que ce qui est important pour lui, ce sont les médias. En cas d’arrestation, il ne pourra pas faire une campagne aussi visible que ce qu’il souhaiterait."

Donald Trump dispose-t-il encore d’assez de soutiens au sein des républicains ?

À plus de seize mois de la prochaine élection présidentielle, il est encore trop tôt pour avoir une vue précise des différents scénarios possibles, d’autant que tous les candidats ne se sont pas encore déclarés : "Tout le monde attend Ron DeSantis, et probablement Mike Pence," explique Serge Jaumain. 

"Je pense que Ron DeSantis évalue encore ses chances et il n’a pas intérêt à se déclarer trop rapidement. Une série d’observateurs notent que si il y a beaucoup de candidats, Donald Trump pourrait sortir du lot aux primaires parce que les différents groupes seront fortement divisés et les sondages montrent pour le moment que DeSantis n’est pas vraiment sur une pente ascendante. Il pourrait gagner les primaires contre Trump mais ce n’est pas sûr. Je remarque qu’il vient de sortir un livre et généralement, quand un homme politique publie un livre, ce n’est pas pour le plaisir d’écrire mais parce qu’il y a une ambition. Il y a ensuite une tournée de promotion pendant laquelle il essaie de faire de la Floride une sorte de modèle et de laboratoire pour son projet aux Etats-Unis, mais il n’a pas le charisme de Trump", détaille le professeur.

Le gouverneur de Floride Ron DeSantis s'exprime lors d'une tournée de promotion de son livre à Des Moines, le 10 mars 2023.
Le gouverneur de Floride Ron DeSantis s'exprime lors d'une tournée de promotion de son livre à Des Moines, le 10 mars 2023. © 2023 The Washington Post

Ron De Santis, moins "incontrôlable"

Selon Serge Jaumain, deux éléments méritent d’être relevés à ce stade de la campagne : celui des donateurs et celui des médias.

"On connaît aux Etats-Unis le rôle des financiers dans une campagne et on constate que beaucoup de gros donateurs se sont détournés de Donald Trump et ont tendance à aller vers Ron DeSantis", note Serge Jaumain. "C’est un signe qui ne trompe pas : on n’a pas cet élément en tête ici en Europe, mais aux Etats-Unis, c’est habituel de faire un don pour les campagnes électorales, de la part des plus aisés jusqu’aux classes moyennes, car ces campagnes coûtent extrêmement cher, et cela donne une indication. L’autre élément intéressant se situe au niveau des médias : même Fox News commence à délaisser un peu Trump. La chaine n’a d’ailleurs pas fait beaucoup de cas de ce meeting, et c’est ce qui se passe pour le moment dans les médias républicains, on ne le met plus en évidence".

Un explication pourrait être le côté moins incontrôlable de l’actuel gouverneur de Floride : "Pour beaucoup de républicains, DeSantis est certainement aussi conservateur, si pas davantage sur certains points mais il est plus jeune, il présente mieux et apparaît peut-être un peu plus contrôlable, alors que Trump, aux yeux de nombreux donateurs, apparaît comme une sorte de fou dans un jeu de quille".

Reste à savoir si Ron DeSantis va réellement se présenter à cette élection ou s’il va se montrer patient et attendre 2028...

Ses chances de redevenir président ? Extrêmement faibles !

Ce n’est pas un pronostic, mais l’observateur très attentif de la vie politique américaine qu’est Serge Jaumain estime que les chances de Donald Trump de redevenir président sont "extrêmement faibles. Il pourrait gagner les primaires, parce que l’on mobilise les républicains et les plus radicaux pourraient se faire entendre, mais pour gagner l’élection, il faut aller chercher d‘autres électeurs. Et là, les ennuis judiciaires, l’invasion du Capitole, et le fait que beaucoup d’électeurs se disent 'on a déjà essayé Trump pendant 4 ans et on a vu ce que cela a donné'".

La division des républicains est un autre facteur, et cela s’est notamment vérifié à l’occasion de l’élection du "speaker" (président) de la Chambre des représentants, qui, malgré le soutien de Donald Trump, a nécessité 15 tours, ce qui n’était jamais arrivé et ce qui a surtout démontré la difficulté d’avoir une unité dans le camp républicain.

Serge Jaumain souligne enfin un dernier élément dont on ne parle peut-être pas suffisamment, c’est la popularité de l’actuel président : "Sa gestion est généralement assez appréciée. Sur le plan économique, la situation des Etats-Unis est relativement bonne et il a réussi à faire passer une série de réformes. Les sondages semblent indiquer que la classe moyenne qui s’était détournée des démocrates pour 'essayer' Trump, il est en train de se la réconcilier parce qu’il fait une série de choses que Trump avait promises mais jamais réalisées, et notamment soutenir les classes moyennes les plus pauvres ; le chômage est très bas, la balance des paiements n’est pas excellente parce qu’il a fallu dépenser beaucoup, avec entre autres la crise du covid, mais la situation économique n’est pas mauvaise, et l’on sait que c’est un point qui joue très fort dans les élections. Donc le bilan de Joe Biden, même s’il est vieux et suscite de temps à autre des moqueries, est meilleur que ce que l’on pouvait penser il y a quelque temps. Il faudra voir ce qui arrive au cours des prochains mois, mais cela ne joue pas non plus en faveur de Donald Trump".

Précision utile : le premier débat des primaires républicaines se tiendra en août 2023 à Milwaukee, tandis que le tout premier scrutin se déroulera en Iowa début février 2024, dans dix mois.

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