Sciences insolites

Préhistoire : plus ressemblantes aux rhinos qu’aux chevaux, les licornes auraient cependant bel et bien existé…

La licorne sibérienne a vraiment existé… Un peu moins gracieuse que les représentations actuelles, cependant…

© Belga/Wikipedia/musée d’état de Stavropol (Russie)

Par Kevin Dero

Le "secret de la licorne" est peut-être en voie d’être éventé. Le mythique et fascinant animal, qui fait partie du bestiaire occidental mais aussi indien et chinois depuis l’Antiquité se dévoile petit à petit.

On le croyait disparu bien avant cela (il y a plus de 200.000 ans, avant l’âge de glace), mais patatras ! Selon une étude parue dans la revue britannique Ecology and Evolution, un ancien mastodonte, l’Elasmotherium sibiricum, n’aurait laissé ses dernières traces sur Terre qu’il y a environ… 35.000 ans. 25 fossiles trouvés en Russie en attestent. Et voilà donc que contrairement à ce que de nombreux scientifiques pensaient précédemment, ce géant atypique aurait côtoyé l’homme de Néandertal mais aussi probablement homo sapiens. Et avoir marqué les esprits déjà à l’époque… De là à engendrer notre légendaire licorne ?

Image d’illustration
Image d’illustration © Tous droits réservés

Mastodonte

Une corne qui pouvait mesurer deux mètres de long...

Mais qui est donc cet elasmotherium sibiricum (élasmothère sibérien, en bon français) ?

Une des espèces du genre Elasmotherium (appelée aussi "licorne géante") est un bien beau bébé. 5 mètres de long, deux mètres au garrot et un poids allant jusqu’à cinq ou six tonnes. L’animal est donc lourd comme un éléphant. Côté physique, il ressemble au rhinocéros. Avec un fort pelage. Et une bosse à l’épaule aussi, ce qui indiquerait qu’il gambadait sur de grandes distances dans des paysages ouverts. Ses pattes divergent de notre rhino également. Elles sont bien plus longues. L’animal avait donc plutôt l’allure d’un cheval, et pouvait galoper joyeusement à plus de 55 km/h.

Corne embrumée

La bête, déjà assez originale comme cela, l’est encore davantage à cause de sa corne unique et imposante. Sur base des fossiles de crânes découverts, on estime qu’elle avait probablement une base plus deux fois plus large que celle des rhinocéros actuels (50 centimètres). Et sa hauteur serait… vertigineuse. Deux mètres. Mais pour quelle utilité ? Différentes théories sont sur la table à propos de cet appendice géant (dont aucun fossile n’a encore été retrouvé), comme le souligne Pierre-Olivier Antoine, spécialiste des espèces disparues de l’université de Montpellier, cité par le journal canadien La Presse : " Il y a un débat chez les Russes à propos de la fonction de la corne, mais à mon avis, ça devait servir pour les combats, pas pour labourer le sol et en détacher du fourrage, comme certains le pensent ".

Reconstitution artistique de la "licorne sibérienne"
Reconstitution artistique de la "licorne sibérienne" © tiré de Wikipedia

Mort d’un géant

Le genre aurait disparu de la surface du globe durant une énorme extinction animale, celle du quaternaire. Une incroyable disparition d’espèces animale qui a touché principalement la mégafaune, et plus particulièrement les animaux de plus de 45 kg. Mammouths, lions des cavernes, rhinocéros laineux, paresseux géants ou encore tigres à dents de sabre passent de vie à trépas. La cause ? Elle ne s’est pas déroulée en un jour, cette extinction, mais le principal coupable serait… l’Homme. Cet insatiable viandard avait déjà plus d’une flèche à son arc à ce moment, et, se répandant sur la planète, avait fortement besoin de protéines (ce qui a d’ailleurs, selon de nombreux scientifiques, contribué à développer notre cerveau).

Une autre cause est aussi le changement de climat de l’époque, une fin d’ère glaciaire qui a réduit les grandes steppes, vastes étendues herbeuses où se nourrissait abondement notre elasmotherium. Jusqu’à 150 kg de végétaux ingérés par jour – et de l’herbe, rien que de l’herbe-, il n’aurait pas été suffisamment adapté à son nouvel écosystème, et à ces hivers bien plus rigoureux.

Les ruminants actuels (cervidés, bisons, vaches…), grâce à un système digestif plus efficace (leurs multiples estomacs qui leur permettent d’extraire plus efficacement les nutriments), auraient donc bien mieux survécu.

La disparition du dernier mammouth aurait eu lieu dans l’île de Wrangel, en Sibérie, il y a… 4000 ans.

Retournons à nos licornes…

Selon le magazine scientifique Discover, grâce à la datation au carbone, des scientifiques ont déterminé récemment que ces animaux, devenus mythiques, ont donc pu (et mal leur en ont pris pour certains) côtoyer les premiers humains

Il n’y a qu’un pas à franchir pour se demander si ce n’est donc pas notre licorne sibérienne qui a inspiré nos contes et légendes ?

C’est peut-être possible qu’elle soit restée dans la mémoire collective. Car licorne fascine depuis longtemps. Elle apparaît néanmoins plus fortement dans notre culture occidentale vraisemblablement à la jonction entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Mélange issu de récits ancestraux de voyageurs comme le grec Ctésias ou plus tard Marco Polo, celle qui se fera appeler aussi " unicorne " va titiller les imaginaires. Teintée du cheval, du bouc, de l’antilope ou du rhinocéros, l’animal n’a pas toujours la forme telle qu’on se l’imagine actuellement. Parfois représentée avec une petite barbichette, parfois avec deux cornes aussi, elle se situe néanmoins entre l’équidé et la chèvre, avec son unique appendice blanc en forme de spirale.

Elles se rencontrent aussi – sous des formes variables — dans les cultures persanes, indiennes ou chinoises, où elles font partie de toute une série de légendes et de mythes.

A la fin du Moyen Âge, à la charnière de la Renaissance, la licorne devient une méga-star en Occident.

"La dame à la licorne", tapisserie exposée à Toulouse le 29 octobre 2021
"La dame à la licorne", tapisserie exposée à Toulouse le 29 octobre 2021 © AFP
La députée conservatrice Rebecca Pow, portant une broche Licorne, s'exprimant à la Chambre des communes à Londres le 29 mars 2019, lors d'un débat sur le Brexit.

Présente sur des enluminures, tableaux, tapisseries, armoiries (l’Ecosse ou encore la ville d’Amiens), des noms de constellations, la licorne, qui préfère " mourir que d’être capturée vivante " en a des vertus !

Elle symbolise l’amour courtois, la spiritualité, la virginité, la féminité aussi. Parfois associée à la Vierge Marie, elle est pureté. Elle peut être violente et synonyme de dualité. Sa corne singulière peut être perçue comme un symbole phallique.

Chasse au monocéros dans le Bestiaire Harley, British Library

De nombreuses interprétations qui n’en font cependant jamais un animal maléfique.

Et sa corne, réputée magique, d’entrer dans la composition de bien des potions thérapeutiques. Des contrepoisons.

Et comme à cette époque, beaucoup croie en leur existence, qu’y a-t-il d’étrange de voir des cornes de licornes… À la vente ?

Bataille narval

Du XIIIe au XVIIe siècle, notre produit a le vent en poupe. Sa vertu magique, qui lui permet d’émettre de la fumée quand il est en contact avec le poison, est du plus bel effet. Sauf que, avec les voyages à travers le monde et la recherche scientifique qui progressent, ben on se rend compte qu’il s’agit plutôt de cornes de… narval. Cet animal étonnant, vivant dans les eaux arctiques, est doté en effet d’une impressionnante défense torsadée.

Narval
Narval © Getty

Aussi appelé " licorne des mers ", c’était sa corne, pouvant mesurer jusqu'à de long, qui était bien présente sur les marchés. Vendue à prix d’or, le commerce de cette corne, plus que lucratif, commence à véritablement péricliter au tournant du XVIIIe siècle, quand le lien entre narval et licorne a été établi. En 1751, l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert le dit ouvertement : la licorne est un animal fabuleux et sa corne… ben ce n’est donc pas sa corne.

Notez que la " corne " du narval est en fait une dent, une canine très allongée. Elle contient des millions de terminaisons nerveuses, ce qui lui permet donc de détecter de multiples paramètres sensoriels (température, salinité, pression de l’eau…).

Archive JT du 24 avril 2019

La Licorne - Réplique d un voilier du 17ème siècle

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Pop culture

Dans le courant du XIXe siècle, plus grand monde ne croit encore pertinemment à l’existence de notre cornue chevaline dans le monde réel. La licorne va s’apparenter beaucoup plus à un cheval doté d’une corne. Le côté magique et féerique de la bête va prendre le dessus. L’animal mythique va rentrer dans la littérature (Barjavel…) , le cinéma (Narnia, Harry Potter…), la BD (Tintin…), les jeux vidéo, la culture internet (la fameuse " licorne rose invisible ") … Une des figures par excellence de l’heroic fantasy, synonyme de rêve, elle captive les jeunes enfants. Elle est maintenant souvent pailletée, colorée…

Jeune palestinien devant la mosquée al-Aqsa, à Jérusalem, à la fin du Ramadan en août 2013.
Bouée licorne sur la plage de Pucket, en Thaïlande, en 2018
Sommet web de Lisbonne, en novembre 2021

Les temps changent

Une espèce mythique qui a donc, elle aussi, changé en traversant les âges… Tout comme notre " licorne de Sibérie ", bien réelle celle-là, et qui a donc peut-être pu passer les âges elle aussi, virtuellement.

L’évolution des espèces est une discipline passionnante. Pour ce qui est de cette mégafaune de grands mammifères, notre Elasmotherium, on estime que le rhinocéros que nous connaissons actuellement se serait séparé de l’espèce il y a environ 43 millions d’années. Notre rhino était mieux adapté que la licorne sibérienne et a donc survécu (jusqu’à présent) à notre monde actuel.

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