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Poussée de violence entre la Serbie et le Kosovo : un accord de paix semble illusoire à court terme

La KFOR disperse les manifestants serbes devant la mairie de Zvecan, au nord du Kosovo le 29 mai 2023

© AFP or licensors

Par Olivier Hanrion

C’est une nouvelle poussée de fièvre qui secoue le nord du Kosovo, ce petit Etat des Balkans de 1,8 million d’habitants où vivent également quelque 120.000 Serbes. L’élection de maires d’origine albanaise dans plusieurs localités à majorité serbe a mis le feu aux poudres. La population d’origine serbe est descendue dans les rues pour exiger le départ de ces nouveaux édiles communaux, élus grâce à un boycott des élections par la communauté serbe du Kosovo. De fait, dans ces municipalités, le taux de participation était resté exceptionnellement bas, aux alentours de 3,5% du corps électoral.

Les militaires de la KFOR pris à partie

Lundi, les manifestants se sont heurtés aux forces de l’ordre kosovares dépêchées sur place. Le fait que ces policiers aient été équipés de fusils et de véhicules blindés a semble-t-il rajouté de l’huile sur le feu, de même que le retrait des drapeaux serbes au fronton de ces mairies.

La force d’interposition de l’OTAN, la KFOR, déployée sur place depuis la fin de la guerre en 1999, a tenté de séparer les belligérants. Elle a été prise à partie. Une trentaine de soldats majoritairement italiens et hongrois ont été blessés. L’infirmerie de la KFOR a recensé quelques brûlures et des fractures causées par le jet de cocktails Molotov. Cela faisait plus de 10 ans que la force d’interposition n’avait pas été prise à partie de manière aussi violente.

Ce mardi, c’est aux journalistes que les manifestants serbes s’en sont pris. Des hommes masqués ont vandalisé deux voitures appartenant à des médias kosovars mais sans faire de blessés.

"Les épisodes de montée en tension sont de moins en moins isolés", souligne Loïc Tregoures, professeur spécialiste des Balkans à l’Université Lille 2 et à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale de Paris. "L’année dernière déjà, Kosovars et Serbes du Kosovo s’étaient enflammés autour des plaques d’immatriculation. Le gouvernement de Pristina menaçait alors de sanctionner tous les véhicules kosovars circulant avec des plaques délivrées par Belgrade. A l’époque la Serbie avait placé son armée en état d’alerte maximale, dépêchant quelques blindés à la frontière."

"La protection de l’intégrité territoriale du Kosovo est au cœur de la politique du Premier ministre Kosovar Albin Kurti", explique Tefta Kelmendi du European Council on Foreign Relations (ECFR). "Il veut faire de son pays un Etat fonctionnel, mais sa manière de faire agace les Serbes."

La perspective d’un accord de paix s’éloigne

Et pourtant le climat entre les deux voisins semblait s’être apaisé ces derniers temps. Pendant des mois, l’Union européenne a mené des négociations pour ramener les deux parties autour de la table de négociation. L’idée d’une libre circulation des personnes entre les deux pays avec leur propre passeport, leur propre carte d’identité ou leur plaque d’immatriculation avait même été évoquée.

En contrepartie, Belgrade ne devait plus s’opposer aux demandes d’adhésion du Kosovo à des organisations internationales et Pristina devait reconnaître une certaine forme d’autogestion pour la communauté serbe du Kosovo.

Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, avait même tweeté le 19 mars dernier "Nous avons un accord !". Mais il avait été contredit dans la foulée par le Président serbe Aleksander Vucic : "Rien n’est gagné, ce n’était pas le jour J, mais c’était un jour OK".

Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne et Miroslav Lacjak, l’envoyé spécial de l’UE pour le dialogue entre Belgrade et Pristina participent aux négociations avec le président serbe Aleksander Vucic (à gauche) et le Premier ministre kosovar Alb
Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne et Miroslav Lacjak, l’envoyé spécial de l’UE pour le dialogue entre Belgrade et Pristina participent aux négociations avec le président serbe Aleksander Vucic (à gauche) et le Premier ministre kosovar Alb © AFP or licensors

"C’était un accord pour dire qu’on était d’accord pour se mettre d’accord", analyse Loïc Tregoures. "Le texte n’a été signé par personne et le Président serbe s’est empressé de dire qu’il ne reconnaîtrait jamais le Kosovo comme Etat indépendant. Néanmoins les négociations se sont poursuivies à un niveau plus discret, sous la houlette de Miroslav Lajcak, le représentant spécial de l’Union européenne pour le dialogue entre Belgrade et Pristina."

Avec quelques avancées à la clé, comme la volonté affichée de part et d’autre d’apporter des réponses au sort des personnes portées disparues pendant la guerre. Quelque 1600 cas restent encore non résolus. "Résoudre le problème des personnes disparues n’est pas seulement une obligation humanitaire, c’est aussi un catalyseur essentiel pour la réconciliation et la confiance entre les personnes", reconnaissait alors le chef de la diplomatie européenne.

Des points de vue irréconciliables

Reste que la poussée de violence de ces derniers jours illustre bien que le chemin de la réconciliation entre Serbie et Kosovo est encore long. Il y aura sans doute encore de nombreuses poussées de violence, analysent les deux chercheurs. "Il n’y a pas d’autre issue que la négociation", insiste Tefta Kelmendi. Pour Loïc Tregoures aussi, mais il précise aussitôt que "c’est un conflit où il n’y a finalement pas grand-chose sur la table des négociations". "Du point de vue albanais, le Kosovo est un Etat souverain, indépendant dans la plénitude de son territoire et ça n’est pas négociable. Du côté serbe, on considère que le Kosovo est Serbe et ça non plus, ça n’est pas négociable."

Il faut donc s’attendre à ce que les poussées de fièvre succèdent aux poussées de fièvre. Les Occidentaux semblent s’y préparer. L’OTAN annonce le déploiement de forces supplémentaires pour renforcer les capacités de la KFOR.

Les dirigeants serbe et kosovar devraient quant à eux se retrouver le 1er juin à Chisinau, en Moldavie, avec les dirigeants européens à l’occasion de la deuxième réunion de la Communauté Politique Européenne.

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