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Pourquoi retraduire "L’Art d’aimer" d’Ovide ?

© Fayard/Mille et une nuits

Par RTBF La Première via

Trouver les endroits les plus propices à la rencontre, feindre la passion, accentuer ses talents, conquérir mais aussi conserver, 'L'Art d'aimer' est un véritable traité de la galanterie et de la stratégie amoureuse. Écrit en 43 avant J.-C., il offre un tableau saisissant des moeurs romaines sous Auguste. C'est également pour Ovide l'occasion de scruter, en grand moraliste, les facettes de l'âme humaine. Redécouverte via la traduction de Joël Gayraud.

'L'Art d'aimer', d'Ovide (Fayard / Collection 1001 Nuits)

 

Pourquoi retraduire Ovide ?

Joël Gayraud est poète, essayiste, traducteur. C'est en 1998 qu'il a traduit cette oeuvre en vers d'Ovide, qui ressort aujourd'hui chez Fayard/1001 nuits, dans une version qu'il a préfacée et annotée.

"Il fallait en 1998 retraduire Ovide, parce que la traduction française qui était disponible chez Folio, faite par un professeur éminent à la Sorbonne, datait des années 20. C'était une bonne traduction, mais qui manquait peut-être un peu de fraîcheur pour le 21e siècle. Périodiquement, des retraductions sont nécessaires parce que la langue et les moeurs évoluent."

La difficulté de traduire cette poésie

'L'Art d'aimer' est une oeuvre en vers, et il est difficile de traduire une telle oeuvre en versifiant soi-même.

"Je pense que ce serait une trahison, confirme Joël Gayraud. Parce que la versification latine n'a rien à voir avec la versification française. On pourrait peut-être aller à la ligne, si on veut, mais on n'aurait pas les effets de rythme de cette versification latine."

Il ne faut pas oublier que les vers latins étaient des vers, non pas rimés, mais des vers basés sur une alternance de syllabes brèves et de syllabes longues, un peu analogue à la musique. C'était de la poésie lyrique, accompagnée très souvent par des musiciens. Même sans cet accompagnement, il y avait un rythme musical que l'on perd évidemment dans une traduction en vers.

"De toute façon, on n'aura pas une véritable versification française analogue à la versification latine. Je pense que c'est gênant pour le lecteur d'aller à la ligne. Il vaut mieux qu'il se laisse emporter par le flux des images dans un texte en prose."

Qui était Ovide ?

Ovide est né en 43 avant J.-C., mort en 17 ou 18 après J.-C. Né un an après la mort de Jules César, il voit la naissance de l'Empire romain. Il est l'auteur de Les Amours, Les Héroïdes, L'Art d'aimer, Les Métamorphoses...

Aristocrate par mariage, il est toutefois un farouche opposant au régime. En 8 après JC, il est banni à vie par l'empereur Auguste, assigné à résidence aux frontières de l'Empire, dans l'actuelle Roumanie, où il mourra.

Pourquoi cet exil ? C'est encore un mystère, qu'aucun historien n'a encore réussi à dénouer. Ovide lui-même, dans Les Tristes, textes mélancoliques qu'il écrit là-bas, évoque une faute qu'il aurait commise, ayant sans doute trait aux moeurs.

Il faut savoir que la fille d'Auguste, accusée de débauche, avait elle-même été exilée par son père et qu'elle faisait partie de l'entourage d'Ovide.

Par ailleurs, 'L'Art d'aimer' n'aurait pas plu à l'empereur qui voulait restaurer une forme de moralité.

'L’Art d’aimer', initiation à l’art de l’amour et de la séduction

'L'Art d'aimer' est composé de 3 livres :

  • La chasse, qui enseigne aux hommes à séduire les femmes
  • Comment entretenir la relation
  • Le livre destiné aux femmes, pour séduire et conserver la relation

Cette oeuvre a eu un très grand succès à l'époque, la preuve en sont ces copies qui sont parvenues jusqu'à nous. Parce qu'il faut savoir qu'en l'an 8, Auguste a décidé de censurer l'ouvrage et d'en retirer toutes les copies existantes dans les bibliothèques. Il devait donc en exister des copies privées.

Les deux premiers livres ont été publiés ensemble. Puis, les lectrices d'Ovide lui ont demandé d'écrire un livre faisant état de leur point de vue. Ce troisième livre sera donc destiné aux femmes.

"Il y a un côté étonnamment féministe chez Ovide, dans ce livre, observe Joël Gayraud. Il insiste sur la jouissance égale des deux sexes. (...) Ce côté féministe, dans une société encore extrêmement patriarcale, devait déplaire beaucoup à certaines autorités morales, comme celle d'Auguste."

Dans le premier livre, la femme est vue comme capricieuse, cause de problèmes, voire de crimes. On sent qu'il est empreint de cette morale patriarcale et masculiniste de l'Antiquité gréco-romaine, mais il incite déjà les hommes à ne pas être harcelants ou grossiers.

Et il y a en effet, dans cette société, un changement de moeurs à cette époque. Les femmes ont manifesté pour réclamer des droits et ont obtenu entre autres le droit au divorce et des améliorations de leur condition. On voit aussi une émancipation des femmes affranchies, anciennes esclaves. C'est à elles qu'Ovide s'adresse, mais beaucoup de femmes mariées le liront et suivront ses préceptes d'émancipation.

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