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Pourquoi on parle de certains faits divers et pas d’autres ?

Affaire Dean Verberckmoes, Julie Van Espen, Wesphael, Mawda ; pourquoi couvre-t-on certains faits divers et d’autres non ? On fait le point

© RTBF – Cristian Abarca

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Par Martin Caulier, journaliste de la rédaction Info pour Inside

Ces derniers jours plusieurs faits-divers ont marqué l’actualité. Que ce soit la découverte du corps du Petit Dean ou une tentative de meurtre dans la station de métro Rogier en pleine heure de pointe ; ces affaires rythment régulièrement nos journaux.

Mais à partir de quel moment décide-t-on d’en parler ? Quels sont les critères qui nous semblent justifier un reportage sur tel ou tel fait-divers ? Dans cet article, on fait le point. Et dans cet autre article, on vous explique comment on parle de faits divers sur nos antennes

Ce samedi, aura lieu un rassemblement en mémoire de Dean Verberckmoes, ce petit garçon de 4 ans retrouvé mort au Pays-Bas. La RTBF enverra une équipe sur place. Qu’est-ce que cela donnera sur antenne ? “Cela dépendra de l’ampleur du rassemblement”, explique Véronique Barbier, présentatrice et éditrice du JT du week-end. Cela pourra donner un reportage ou un direct ou même les deux en fonction du nombre de personnes qui se rassembleront samedi. Ce type de couverture est donc réfléchie en amont. Mais revenons en arrière. Commençons par le jour où nous voyons pour la première fois les images dans le métro à Rogier ou le jour où nous apprenons la disparition du petit Dean ou encore de Julie Van Espen. A partir de quel moment nous décidons d’en parler dans nos éditions d’information ?

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Pourquoi en parler ?

Pour décider si nous parlons ou pas d’un fait divers, nous avons quelques critères, discutés en interne. Précisons tout de suite qu’il s’agit là d’indications et pas des règles totalement gravées dans le marbre. Ajoutons aussi qu’il y a toujours une part de subjectivité dans l’évaluation de ces critères. 

Ce n’est pas une science exacte. Chacun a sa sensibilité

Comme l’ explique Bruno Clément, rédacteur en chef du journal télévisé, " ce qui sera impératif de traiter pour l’un ne le sera peut-être pas pour l’autre”.

C’est pourquoi la décision de couvrir ou non un fait-divers fait, le plus souvent, l’objet d’un débat et aboutit sur une décision collective. Et c’est très bien comme cela”, estime Sébastien Georis. Il est le responsable éditorial pour les matières “police-justice”. 

Au-delà de ces discussions, il y a ce que l’on appelle une ligne éditoriale. Il s’agit ici des règles et des priorités que l’on se fixe et qui vont déterminer le fait que l’on parle d’un sujet ou non. Bruno Clément, qui a par ailleurs été journaliste dans le domaine judiciaire pendant 15 ans, l’explique comme ceci: “il y a des choses que l’on sait qu’on ne couvrira jamais parce que cela ne fait pas partie de notre ligne éditoriale. Par exemple, on ne fait pas un banal incendie même si c’est important pour la personne qui va perdre sa maison. "

On ne couvre pas les accidents de la route, des meurtres “classiques” comme il en arrive malheureusement souvent en Belgique

Bref, on sait ce que l’on ne couvre pas et pour le reste, on fait des choix et ce choix dépend d’un certain nombre de critères. 

En voici quelques-uns, sous forme de liste. Précision : cette liste n’est pas exhaustive et il n’y a pas ici de classement par ordre d’importance.

Bruno Clément, rédacteur en chef du JT de la RTBF
Bruno Clément, rédacteur en chef du JT de la RTBF © RTBF
  • L’émotion suscitée

Le fait que cela génère une émotion forte soit dans une communauté particulière soit dans la société de manière générale, c’est l’un des critères”, explique Sébastien Georis. On peut penser ici à l’affaire Dutroux qui a suscité une très forte émotion dans la population et qui a donné lieu à une très forte mobilisation. En ce qui concerne l’affaire Dean, selon Fabrice Gérard, journaliste dans le domaine judiciaire depuis 6 ans, “lorsqu’on s’en prend à une personne sans défense comme un enfant, c’est ce qui suscite le plus d’émotion dans un fait divers”.

C’est un critère qui n’est d’ailleurs pas toujours simple à évaluer. “Parfois, journalistiquement, on a commis des erreurs en démarrant trop tard sur certains dossiers parce qu’on n’avait pas bien mesuré l’ampleur énorme que certains faits divers allaient avoir auprès de la population”, explique Bruno Clément, rédacteur en chef du JT.  “Par exemple, l’affaire Jo Van Holsbeek, ce jeune garçon qui s’est fait poignarder à la gare centrale pour son walkman; cela a amené tout une émotion autour du fait qu’un jeune homme se fasse poignarder dans un lieu public. Cela a engendré des manifestations au sein de la population”. 

  • La gravité des faits et leur résonance

Pour Fabrice Gérard, journaliste spécialisé dans le judiciaire, c’est l’un des facteurs primordiaux. Un facteur qu’on peut d’ailleurs corréler à un autre : celui de la résonance des faits par rapport à l’histoire judiciaire belge. 

Pour Sébastien Georis, responsable éditorial de la thématique “police-justice, “Il y a des faits dont on sait que l’on va parler parce qu’en Belgique on a une histoire particulière. Suite à l’affaire Dutroux, il y a aujourd’hui encore, des choses qui continuent de résonner vis à vis de ce type de faits”. 

  • Le fait que cela amène une réflexion dans la société ou au niveau politique

C’est l’un des critères sur lequel tous les collègues interrogés mettent l’accent. Cela va bien entendu dépendre du fait lui-même et de ce que va pouvoir révéler l’enquête. 

L’affaire récente de la mort du petit Dean au Pays-Bas, pose des questions sur “l’accompagnement des détenus pour permettre une réinsertion qui permette de limiter le risque de récidive”, explique ainsi Sébastien Georis.

Pour Bruno Clément, " ça peut aller de toutes sortes de choses. Prenons l’exemple d’un accident mortel d'un jeune sur une trottinette électrique. Si c’est la première fois que survient un accident mortel sur un nouveau type de moyen de locomotion, cela peut permettre de parler de la sécurité routière, de lancer le débat autour du port du casque”. 

  • Le fait que cela touche particulièrement une communauté

Lorsque l’on parle de crime raciste, homophobe, de féminicide, etc. Cela dit quelque chose de certains phénomènes qui ont cours dans la société”, selon Sébastien Georis. 

Ca, ce sont des choix éditoriaux", précise Bruno Clément.  " La plupart des rédactions, après l’affaire Dutroux, ont beaucoup plus suivi les disparitions d’enfants”.

Dans cette optique, la RTBF a d’ailleurs posé un choix en interne en ce qui concerne les féminicides.  On comprend ici comme féminicide “le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme et le plus souvent par son compagnon”, détaille Bruno Clément. “C’est important de mettre le focus sur ce type d’évènement pour quelque part éclairer le public et tenter de le conscientiser”. 


A lire aussi : Tuée parce que femme : faut-il parler de "féminicide"?


  • le fait que cela révèle des dysfonctionnements

Parfois, il arrive qu’un “simple fait divers” se révèle être bien plus que cela. Parfois, ce type de dossier permet de révéler des dysfonctionnements soit dans le suivi d’une enquête soit dans la procédure judiciaire qui y est liée. Prenons le cas de Julie Van Espen, cette étudiante de 23 ans retrouvée morte après une tentative de viol près d’Anvers. Quelques jours après l’arrestation de Steve Bakelmans, celui qui est aujourd’hui considéré comme étant l’assassin de la jeune fille, on apprend que celui-ci n’aurait pas dû être libre au moment des faits. 

En effet, il était en attente d’un procès en appel après avoir été condamné en première instance pour viol. Seulement, le procès en appel s’était fait attendre pendant près de deux ans, durée durant laquelle Steve Bakelmans a violé et tué Julie Van Espen. Dans ce cas-ci, le Conseil supérieur de la justice a rendu un rapport faisant état de plusieurs dysfonctionnements dans le chef de la justice anversoise

Voilà donc une affaire qui a révélé des dysfonctionnements dans le système judiciaire. Le problème c’est que cela, il est impossible de le savoir au moment où on apprend la disparition de la jeune fille.C’est une vraie difficulté”, concède Sébastien Georis.Dans ce cas-là, on fait le travail qu’on fait tout le temps”, explique Fabrice Gérard : “On va sur le terrain, on essaye de rencontrer les proches, d’interviewer le parquet. Parfois, on a aussi la possibilité d’avoir des informateurs dans les commissariats de police qui peuvent nous aider pour vérifier certaines informations”.  

Pour Sébastien Georis, “c’est plutôt un critère qui va venir s’ajouter après dans le suivi que l’on va faire du dossier”. 

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  • La personnalité de l’auteur présumé ou de la victime

C’est aussi un facteur qui va entrer en compte lorsque l’on décide de couvrir ou non un fait divers. Prenons un exemple, celui de l’affaire Wesphael, du nom de ce député qui avait été accusé d’avoir tué sa femme. “L’affaire Wesphael, elle est particulière parce que c’est un député et donc, bien entendu, la personnalité du suspect va faire en sorte que cela va prendre une autre dimension”, explique Bruno Clément. “De la même manière qu’on se fixe comme règle que l’on ne couvre pas des accidents de la route mais que s'il s’agit d’un accident grave qui implique le premier ministre, on couvrira”. 

  • Le facteur proximité

“C’est certain, on s’adresse au public de la fédération Wallonie-Bruxelles donc le facteur de proximité joue”, explique Sébastien Georis. Cependant, il amène une nuance qui a son importance. “Où qu’elle soit, toute victime a le droit d’être reconnue comme telle. Et lorsqu’on établit un critère de proximité, cela pourrait donner l’impression d’un certain désintérêt par rapport à des faits qui se seraient produits même plus loin que chez nous. Ce n’est pas du tout ça. C’est l’ensemble des critères qui fait qu’on couvre ou qu’on ne couvre pas”. 

Sébastien Georis, responsable éditorial de la thématique "police-justice"
Sébastien Georis, responsable éditorial de la thématique "police-justice" © RTBF

Voilà qui donne une idée des critères qui peuvent être retenus pour décider de la couverture ou non d’un fait divers. Bien entendu, comme précisé plus haut, il s’agit toujours d’une discussion entre différents membres de la rédaction qui n’ont pas forcément toutes et tous le même avis. Pour Sébastien Georis, responsable éditorial de la thématique “police-justice”, plus les critères sont rencontrés, plus notre couverture sera importante”. Fabrice Gérard, journaliste spécialisé en judiciaire considère, lui, que “le fait que l’un des critères soit rencontré mais de manière très importante peut justifier que l’on couvre. Après, cela ne dit encore rien de la manière dont on va le couvrir”.

La façon dont on parle des faits divers, on vous en parle lundi, toujours sur la page Inside. 

►►► Cet article n’est pas un article d’info comme les autres… Sur la page INSIDE de la rédaction, les journalistes de l’info quotidienne prennent la plume – et un peu de recul – pour dévoiler les coulisses du métier, répondre à vos questions et réfléchir, avec vous, à leurs pratiques. Plus d’information : là. Et pour vos questions sur notre traitement de l’info : c’est ici.

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