Passons ensuite à La 6e Symphonie, celle que l’on appelle “Tragique”. Pour celle-ci, plus de programmes qui donneraient les explications des volontés du compositeur, comme c’était le cas avant, et plus de voix chantée, comme dans certaines œuvres précédentes. Le chemin se poursuit, et les restes de musique à programme disparaissent.
Tragique, je le disais, c’est le titre de la 6e Symphonie de Mahler. Et ce n’est pas pour rien car cette 6e Symphonie de Mahler est probablement la plus sombre du cycle, la plus sévère, la plus Tragique, donc, dans son esprit. Elle vient pourtant après la pétillante et optimiste 5e symphonie, toutes proportions gardées bien sûr, ça reste Mahler, 5e et son rondo final où Mahler se pose en vainqueur de l’angoisse.
Lorsqu’il écrit la 6e, c’est pourtant une période plutôt joyeuse de sa vie, et Alma Mahler dit pourtant que cette 6e est la plus personnelle de toutes : il veut dire au monde sa cruauté et livre ainsi une musique sans concessions, dure parfois, comme un homme face à son destin qui n’aurait pas d’hésitation. Et pourtant, il oscille entre Majeur et Mineur, tout comme il hésite sur l’ordre des mouvements. Il renforce le pessimisme en plaçant le Majeur avant le mode Mineur, qui conclut donc, et est ainsi plus puissant, et il sous-tend tout ceci par des leitmotivs rythmiques.
Il revient à une forme plus classique, en 4 mouvements, bien que le 4e soit hors normes, parfois presque 40 minutes, ce qui rompt un peu cette impression de cadre classique. Et en effet, il hésite sur l’ordre des mouvements, notamment pour avoir la meilleure option dramaturgique, son hésitation étant entre l’Andante, mouvement lent, et le Scherzo, vif et sombre. Il conservera finalement le choix du Scherzo d’abord, puis l’Andante, qui était son idée initiale.
Cet Andante, plus lumineux, permet alors l’enchaînement vers le terrible final. Final désespéré et qui amène inexorablement à un terrible point final, le combat est perdu. Pas d’issue possible, et Mahler utilise beaucoup de sortes de percussions, célesta, xylophone, une caisse claire qui nous rappelle les marches militaires, le marteau et les cloches de vache que l’on retrouvera dans la 7e.
Ce final, fait à lui seul quasi la moitié de la Symphonie, c’est un grand voyage dans les ténèbres, ça crie, ça pleure, bref il amène au néant. Le philosophe Adorno l’écrivait : “Tout est mal qui finit mal !” Mahler aurait pu faire sienne cette phrase de Paul Valéry : “L’angoisse, mon véritable métier.” Cette 6e Symphonie, c’est lui, de manière directe, c’est son âme qui parle : désespéré sans doute, mais jamais résigné.