La "première ligne" : essentiellement des femmes
Pour Florence Degavre, il faut avant tout redéfinir ce qu’est la "première ligne" dans cette crise du coronavirus. "Face au virus, ce qui définit la première ligne, c’est d’être exposé au risque et d’être dans l’impossibilité de s’y soustraire en raison de sa fonction dans la société", précise-t-elle. Il ne s’agit donc pas uniquement des métiers de soin, mais des fonctions nécessaires, directement ou indirectement, pour affronter l’épidémie et atténuer ses conséquences dans l’ensemble de la société.
Caissières ou aides à domicile, personnel d’entretien, un grand nombre de ces métiers utiles sont féminins. "Il y a aussi des hommes, dans la mobilité ou le nettoyage public par exemple qui sont bien sûr nécessaires. Mais quand on regarde l’ensemble de ce que cette première ligne ainsi redéfinie concerne… Il y a beaucoup de femmes", précise Florence Degavre.
"Métiers féminins" : un peu d’histoire
Il y a une explication historique au fait que toute une série de métiers emploient une majorité de femmes comme l’accompagnement à domicile, les aides ménagères ou familiales.
"Ce sont au départ des emplois qu’on voulait ouvrir pour faire en sorte que les jeunes filles de familles nombreuses à la campagne puissent accéder à un emploi. Cette fonction s’est adressée à des jeunes filles qui avaient été socialisées et dont les compétences ont été considérées comme acquises dès le départ", explique la socioéconomiste de l’UCLouvain.
Représentations du masculin et du féminin
L’autre explication réside dans les représentations des hommes et des femmes dans notre société.
"Le fait de soigner, de se préoccuper, le relationnel… Ce sont des activités ou un état d’esprit que la société attribue globalement aux femmes, comme un prolongement de leur fonction reproductive et ça correspondrait à une forme de nature. Alors que c’est en réalité une construction sociale qui commence dès le plus jeune âge pour les petites filles et que des femmes adultes payent souvent à un prix fort", précise Florence Degavre.
Selon elle, les choses évoluent un peu, mais lentement et pas partout.
Non-reconnaissance de la pénibilité
L’histoire de ces métiers et les perceptions de genre de notre société expliquent en partie pourquoi ils sont aujourd’hui sous-valorisés.
"Ce sont des métiers où les compétences sont considérées comme acquises, il y a une espèce d’allant-de-soi, même si ce travail d’aide et de soin fait appel à de vraies compétences et connaissances. Ce sont des métiers avec une technicité, des responsabilités, des charges physiques ou nerveuses et dont la pénibilité est très souvent complètement invisibilisée, parce qu’elle n’a pas été construite sur la base des secteurs industriels", explique Florence Degavre.
Et c’est vrai que quand on pense aux métiers pénibles, on pense tout de suite aux ouvriers dans l’industrie lourde, mais très peu aux infirmières ou aux aides-soignantes.
Bien souvent, le simple fait d’avoir beaucoup de femmes dans un secteur est un facteur de dévalorisation pour elles. Il faut dire que si elles sont nombreuses sur le terrain, elles sont moins présentes dans les niveaux décisionnels ou dans les organes de représentation.