Agriculture

Pourquoi la Flandre est-elle enlisée dans le problème de l’azote ? Et en Wallonie ?

L'invité dans l'actu : José Renard

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Par Marie-Laure Mathot

Cet article a initialement été publié le 16 juin 2022 et a ensuite été mis à jour le 2 mars 2023.

Il est dans le lisier et dans le fumier. Il est l’un des éléments indispensables pour faire grandir les plantes. Il compose presque 80% de notre atmosphère. C'est l’azote. Mais il est aussi un sacré caillou dans la botte de la ministre de l’Environnement flamande, Zuhal Demir. En fait, c’est même devenu une "pierre d’achoppement" qui empêche tout le gouvernement flamand d’avancer.

C’est en ces termes que le ministre-président flamand Jan Jambon en parlait ce mercredi. "De nombreuses pierres d’achoppement ont été supprimées, mais il reste encore des points compliqués à résoudre." Les partis de la majorité flamande sont en désaccord sur le dossier de l’azote depuis des mois mais se donnent encore jusqu’à la fin de cette semaine pour aboutir.

Blocage et colère

Le plan pour réduire la concentration d’azote en Flandre déchaîne la colère des fermiers flamands, en particulier ceux qui ont des élevages, de porcs par exemple. À tel point qu’ils comptent bloquer Bruxelles ce vendredi avec leurs tracteurs.

Déjà en juin dernier dans l’émission flamande Ter Zake diffusée sur la chaîne publique flamande VRT, Zuhal Demir allait à leur rencontre à Merksplas (nord d’Anvers).

Polémique sur l'azote en Flandre: Zuhal Demir chahutée par les agriculteurs à Merksplas

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Arrivez-vous à dormir la nuit ?

Les fermiers et fermières ne la ménageaient pas. "Pourquoi vous attaquez-vous à nos agriculteurs ?", demandait une exploitante. "Arrivez-vous à dormir la nuit ?", l’interrogeait-elle encore entre plusieurs interpellations de ses confrères. Même un enfant est venu lui offrir un dessin avec un texte expliquant tous les investissements faits dans l’exploitation familiale et qui risquent d’être perdus.

La ministre flamande N-VA ne s’est pas démontée. "Peut-être devrions-nous tous jeter un coup d’œil aux organisations d’agriculteurs qui ont contribué à façonner la politique au cours des 10, 15, 20 dernières années ?" Huées dans la salle. Pétards à la sortie. Klaxons résonnant comme une alarme. Et cette image montrant un tracteur avec une personne pendue et ce message : "Demir au nœud coulant".

La ministre a porté plainte contre cette dernière représentation et a alors été placée sous surveillance policière. Elle ne pouvait plus conduire son propre véhicule. Mais ce qui a mis le feu aux poudres, c’est le plan azote de la Flandre.

Une des plus mauvaises élèves d’Europe

La Flandre doit prendre des mesures si elle veut respecter la législation européenne et si elle veut sauvegarder un air respirable, un sol cultivable, une eau potable. Pas moins de 80% des zones naturelles du nord du pays renferment un niveau trop élevé d’azote dans leur sol, ce qui fait de la région un des plus mauvais élèves d’Europe en la matière. Et le secteur agricole est responsable de 60% de la production de cet élément chimique.

Voilà pourquoi la Flandre prend des mesures drastiques dont l’interdiction d’exploitations intensives tout près de sites naturels Natura 2000. Une quarantaine d’exploitations devraient ainsi changer la manière dont elles fonctionnent d’ici 2025. Or ce genre de ferme a souvent demandé de gros investissements qui seraient donc perdus.

L’azote, c’est du lisier, du fumier ou de l’engrais chimique

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Si certains d’entre nous se souviennent de la lettre N sur le tableau périodique des éléments en chimie, on ne se représente pas toujours concrètement ce qu’est l’azote. "C’est un des éléments indispensables à la croissance des plantes avec le phosphore et le potassium", nous explique Christophe Vandenberghe, ingénieur de recherche à Gembloux Agro-Bio Tech Uliège. "L’azote est un élément qui permet de constituer des protéines et dans notre alimentation, on y est très attentif. Nous devons donc avoir de l’azote pour que nos cultures puissent apporter les protéines pour l’alimentation."

Il y a trop d’azote en Flandre. Il vient notamment des exploitations de porcs.
Il y a trop d’azote en Flandre. Il vient notamment des exploitations de porcs. © Getty images

Concrètement, cet azote se présente sous deux formes. "Il y a soit de l’azote de synthèse, de l’engrais chimique. Ou alors de l’engrais de ferme qui est produit sous forme de lisier ou de fumier." Le fumier, ce sont des déjections d’animaux comme les bovins, mélangées à de la paille. Le lisier, ce sont des déjections de porc.

Et les porcheries sont nombreuses en Flandre, bien plus qu’en Wallonie. "Avec près d’un quart de la valeur totale de la production, l’élevage porcin est un secteur économiquement très important au sein de l’agriculture flamande", explique la Région sur son site internet.

La Wallonie, par contre, c’est "le petit poucet de la production porcine en Belgique. En 2020, malgré une progression (+ 29%) plus importante qu’en Flandre sur ces 30 dernières années, le cheptel porcin wallon ne dépasse pas 6% du cheptel national."

Ainsi, "la production porcine n’est présente que dans 3% des exploitations wallonnes et, depuis 1990, le nombre de détenteurs a été divisé par cinq".

© https://etat-agriculture.wallonie.be/

"Il faut distinguer l’élevage flamand de l’élevage wallon car le premier est majoritairement hors sol", explique Samuel Vanderlinden, coordinateur local d’un contrat de rivière. "Il y a donc une production plus importante d’azote."

Les cochons dans les exploitations intensives sont en effet hors des champs, à l’intérieur, dans des étables, et leurs déjections sont récupérées sous un plancher. "Et donc, il y a une production plus importante d’azote qui doit ensuite être valorisée", continue le coordinateur. "Et il n’y a pas toujours les capacités d’épandage nécessaires."

Comprenez : les éleveurs n’ont pas toujours suffisamment de champs où répandre ces grandes quantités de lisier.

© Getty images

"En Flandre, on peut avoir une exploitation de très petite superficie avec de très grosses porcheries, confirme l’ingénieur de Gembloux Agro-Bio Tech. Et donc, il n’y a pas beaucoup de cultures pour valoriser l’azote du lisier. Il devient alors un déchet."

Car tout l’enjeu pour l’agriculteur, c’est de trouver la juste dose d’azote, dans ce cas-ci, de lisier pour que la plante puisse l’absorber pour grandir. Christophe Vandenberghe compare cette part d’azote à une assiette. "Ça ne sert à rien de trop remplir l’assiette des cultures sinon, comme nous, elles ne la termineront pas. Au contraire, s’il n’y a rien dans l’assiette, elles ne grandiront pas."

Le nitrate descend avec l’eau de pluie dans les nappes phréatiques

"La plupart des cultures ont besoin d’azote dans le sol si ce n’est peut-être les petits pois et les haricots qui le puisent dans l’air, détaille l’ingénieur. Au contraire, le blé, la betterave, la pomme de terre et le maïs ont besoin d’azote. Soit il est fourni par l’agriculteur via le lisier, le fumier, l’engrais de synthèse, soit par le sol qui contient énormément d’azote et ce, sous une forme où il n’est pas entraîné par les eaux de percolations dans les nappes phréatiques et donc elle n’est pas problématique pour l’eau. Contrairement à l’azote qu’on retrouve sous forme de nitrate, elle, elle est problématique pour l’eau puisqu’elle est mise en solution et descend avec l’eau de pluie dans les nappes." Ce qui pollue l’eau. C’est là que ça pose problème.

La Flandre a mis en place un système de contrôle pour savoir où le lisier est épandu mais ça n’a pas suffi. D’autant plus que le sol prend du temps à digérer tout cet azote, ça ne se fait pas du jour au lendemain. "Il faut des années pour que le sol retrouve un équilibre."

Il faut des années pour que le sol retrouve un équilibre

Le lisier a aussi le problème de transformer l’azote en ammoniac dans l’air, des particules fines.

En Wallonie, l’élevage bovin est davantage présent. "Tel qu’il est pratiqué chez nous, je pense que c’est une bonne chose car il permet d’entretenir les prairies. Et les prairies se nourrissent d’azote toute l’année. Et ce n’est pas pour rien que les eaux souterraines en Condroz, en Famenne et en Ardenne sont de bonne qualité." Des zones naturelles connues pour leur élevage de vaches.

© https://etat-agriculture.wallonie.be/

7% des points de contrôles sont au-delà de la norme de potabilité en Wallonie

Cela signifierait qu’il n’y aurait pas de soucis d’azote côté Wallon ? C’est aller un peu vite en besogne. "Même si la situation s’améliore grâce à trois programmations de gestion durables de l’azote qui transposent la directive européenne nitrate, il reste des indicateurs dans le rouge, souligne Samuel Vanderlinden. Au niveau des masses d’eau de surface, donc les rivières, un tiers ne respecte pas les standards européens. Et nous avons jusqu’à 2027 pour les atteindre, c’est demain."

Quant aux eaux qui permettent de nous abreuver, ce n’est pas limpide non plus. "On a encore 7% des points de contrôles qui sont au-delà de la norme de potabilité et encore une dizaine de pourcents qui s’en rapproche", précise le coordinateur de contrat de rivière.

Pour réduire ces teneurs en azote dans le sol, la Wallonie conseille donc aux agriculteurs de varier leurs cultures. "En Wallonie, Protect’eau (qui s’occupe de la protection des eaux en promouvant une gestion durable de l’azote en agriculture, ndlr) incite les agriculteurs à avoir des périodes à semer des intercultures entre la culture d’été et celle de printemps, complète l’ingénieur de Gembloux Agro-Bio Tech. L’agriculteur doit semer une culture intermédiaire, un piège à nitrate pour capter le nitrate qui est dans le sol. Ce sont des champs de moutarde ou de phacélies."

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