Depuis trois nuits, des scènes d’émeutes se répètent à travers les Pays-Bas. La colère contre les mesures sanitaires éclate dans tout le pays, de Rotterdam à l’Ouest à Enschede à l’Est, Groningue au Nord à Tilburg au Sud.
Vendredi soir, des policiers ont ouvert le feu à balles réelles sur des manifestants. Ce genre de tir n’était plus arrivé aux Pays-Bas depuis plus de 10 ans. Une enquête est ouverte pour vérifier si les agents étaient en état de légitime défense.
La police dépassée
Pourquoi cette "orgie de violence", selon l’expression du maire de Rotterdam ? Les Pays-Bas ont réintroduit la semaine dernière une série de restrictions pour faire face à une flambée de cas de Covid-19. Les bars et restaurants doivent fermer leurs portes à 20 heures. Et le gouvernement néerlandais annonce déjà la suite : une stratégie baptisée "2G" (gevaccineerd of genezen, vacciné ou guéri), qui interdira l’accès aux bars et restaurants aux non-vaccinés.
La flambée de violence qui a suivi ces annonces a surpris, même si elle rappelle les troubles qui ont secoué le pays lors de l’instauration du couvre-feu au début de l’année. Le dispositif policier mis en place vendredi à Rotterdam n’était pas en mesure de faire face à l’ampleur de la manifestation qui a dégénéré. Dans d’autres villes en revanche, comme à Breda, des manifestants ont défilé sans incident.
"Soudain, tout est interdit"
Les annonces successives de mesures restrictives ont alimenté un sentiment de ras-le-bol dans une partie de la population. "Les Pays-Bas ont tant de libertés, et soudain tout est interdit. L’annulation d’activités est source de frustration", explique un universitaire, témoin des violences à Rotterdam.
Dans De Volkskrant, le sociologue Don Weenink détaille cette perception : "Vendredi soir, c’était l’addition de tous ces éléments : les bars sont fermés, vous ne pouvez pas aller au football et puis, vous entendez que pour le réveillon du Nouvel An, les feux d’artifice sont interdits. On nous enlève tout ! C’est la conclusion : on n’a plus le droit de faire quoi que ce soit ! La frustration liée à toutes ces restrictions est probablement profonde."
La colère de la société devient incontrôlable
Le président d’un syndicat de police exprime même une certaine compréhension pour la colère qui explose : "Imaginez être un jeune qui n’a pas le droit de faire quoi que ce soit, qui ne trouve pas de logement. Et surtout, il devrait faire confiance au gouvernement", s’indigne Gerrit van de Kamp dans le Volkskrant.
Le syndicaliste accuse le monde politique de ne pas voir le mal-être social : "Tout est considéré uniquement sous l’angle des soins de santé. Le Covid est en train de devenir une maladie chronique, je pense que c’est clair. Cela fait des années que je mets en garde contre cette autre maladie à laquelle nous sommes confrontés maintenant. La colère de la société devient incontrôlable."
"J’ai envie d’émeutes"
Sur la messagerie cryptée Telegram, des milliers de nouveaux membres se sont inscrits ces derniers jours sur des discussions baptisées "Émeutes aux Pays-Bas" (Rellen Nederland ou Rellen NL 3.0). Ces chats avaient été créés en janvier, en réaction au couvre-feu. Certains comptent désormais 10.000 membres, et des centaines de messages y sont échangés par heure. Des messages tels que : "Où est la manif ? J’ai envie d’émeutes."
Une partie des incidents les plus durs sont attribués à des hooligans liés au Feyenoord, le grand club de foot de Rotterdam. Mais l’éditorialiste du Volkskrant Willem Vissers refuse d’y voir un problème lié au monde du football. "Quelqu’un a renversé le cocktail bouillonnant d’années de mécontentement social qui se trouvait sur le bord de la table", écrit-il. "A la limite, on peut dire que les supporters de football sont les précurseurs expérimentés du mécontentement."
Des idiots, pour Mark Rutte
Le désespoir s’est installé, selon Willem Vissers : "Les jeunes voient le temps qui ne reviendra jamais leur glisser entre les doigts, avec un autre hiver confiné à l’intérieur. Ça ne donne pas le droit à la violence, au contraire." Mais pour l’éditorialiste, les émeutes sont le signe "de ces temps de division grandissante, de liberté révolue et de méfiance croissante et dangereuse envers le gouvernement."
Pour le Premier ministre Mark Rutte, les émeutiers sont avant tout des "idiots". "Je me rends compte qu’il y a beaucoup de tensions dans la société car nous devons faire face au problème du coronavirus depuis si longtemps. En tant que Premier ministre, en tant que libéral, je me battrai toujours pour que des manifestations aient lieu dans ce pays, dans le cadre de notre démocratie, de notre État de droit", a-t-il dit à RTL Nieuws. "Mais ce que je n’accepterai jamais, c’est que des idiots utilisent une violence pure contre les personnes qui sont sur le terrain tous les jours pour assurer la sécurité du pays, sous prétexte qu’ils sont mécontents", a-t-il ajouté.
Sentiment de puissance
"Démolir donne aux émeutiers un sentiment de puissance", explique pour sa part le sociologue Don Weenink au Volkskrant : "Nous pouvons le faire, quoi que vous nous interdisiez ou nous imposiez, et nous le montrerons".
Une "deuxième pandémie" serait en cours dans le sillage de celle de coronavirus, selon Marnix Eysink Smeets, expert en sécurité interrogé par NRC : "une pandémie de stress, d’incertitude et de frustration créée par la crise du coronavirus et par les mesures prises. La violence est comme un virus : elle infecte les personnes qui y sont déjà plus sujettes dans leur vie normale." Cette deuxième pandémie serait sous-estimée par le gouvernement, et sa propre capacité à y faire face serait surestimée, dit l’expert dans NRC.
L’hiver sera chaud
La direction de la police tire la sonnette d’alarme. Combien de temps pourra-t-elle tenir le coup ? "La limite critique est en vue", selon le chef de la police d’Amsterdam, Frank Paauw. La police incarne désormais "un grand nombre de mécontentements dans la société", explique-t-il, et est donc devenue une cible pour les émeutiers. Cela n’augure rien de bon pour l’hiver qui vient. Le président de la Fédération néerlandaise de la police prévoit "de longs mois de violence contre le gouvernement et contre la police".