Politique

Politique et commerce électronique : Paul Magnette (PS) propose une Belgique sans e-commerce, les libéraux réagissent

Le président du PS à la COP 26 de Glasgow en novembre 2021

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Par Belga

Alors que le gouvernement fédéral s’apprête à rediscuter de l’assouplissement du travail de nuit dans le secteur de l’e-commerce, le président du PS Paul Magnette préconise, lundi dans un entretien à l’hebdomadaire flamand Humo, de limiter ce type de travail à certaines professions comme la police ou les hôpitaux. Il va plus loin en affirmant que, "après la sortie du nucléaire, il serait souhaitable de sortir de l’e-commerce ; faisons de la Belgique un pays sans commerce électronique, avec de vrais magasins et des villes animées".

L’assouplissement des règles sur l’e-commerce entre 20h00 et minuit est l’une des pierres d’achoppement de la réforme du marché du travail, un dossier aux mains du ministre de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS) sur lequel le gouvernement De Croo devrait revenir cette semaine. Les libéraux en sont demandeurs de longue date, eux qui font valoir une fuite des emplois vers des pays voisins comme les Pays-Bas, où les règles sont déjà plus souples.

Faisons de la Belgique un pays sans commerce électronique, avec de vrais magasins et des villes animées

 

"Régression sociale et économique"

"Je pense que l’e-commerce n’est pas un progrès, mais une régression sociale et écologique. Pourquoi acceptons-nous de faire travailler des ouvriers de nuit dans des centres de conditionnement ? Parce que les gens veulent acheter 24 heures sur 24 et recevoir leur colis à domicile dans les 24 heures. Ne peut-on vraiment pas attendre deux jours pour un livre ?", demande Paul Magnette.

Reportage du 20 novembre 2020

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Travail de nuit

Le président des socialistes francophones souligne les dégâts du travail de nuit sur la santé. "Il faut le limiter à des secteurs où il est vraiment nécessaire, par exemple la police et les hôpitaux". Voir des firmes installer leurs hangars de l’autre côté de la frontière ne lui pose pas de problème. Car le grand souci n’est pas à ses yeux le chômage, mais les maladies de longue durée, elles ne font que s’aggraver dans ce secteur, souligne Paul Magnette.

Le président du PS lance d’autres mots forts dans son interview à Humo. Il s’en prend notamment au MR et à son président Georges-Louis Bouchez. "Le problème de ce gouvernement, on peut le résumer en deux lettres : MR. Ils compliquent tous les dossiers. Tout ce que veut M. Bouchez, c’est se faire un nom et empêcher les autres d’engranger des résultats […] Lui n’avait rien engrangé lors des négociations gouvernementales. Rien. Voilà pourquoi il fait de l’opposition au gouvernement depuis le premier jour."

Pour le socialiste, une grande réforme fiscale sous cette législature est tout sauf évidente. "L’accord de gouvernement prévoit que nous devions la préparer. Si (le ministre des Finances) Vincent Van Peteghem devait trouver un grand accord de manière inattendue, alors nous pourrons en faire davantage. Mais ce ne serait pas un échec s’il n’y avait pas de grande réforme fiscale sous cette législature." Paul Magnette dit aussi ne pas attendre grand-chose au niveau institutionnel.

Selon lui, le Premier ministre Alexander De Croo a pris à cœur les critiques sur sa méthode de travail. "Il met plus vite les choses sur papier et prend plus de temps pour la concertation". Paul Magnette justifie les critiques émises à ce propos il y a quelques mois. "Je veux vraiment que la Vivaldi réussisse, sans quoi ce sera encore plus difficile en 2024 de former un gouvernement. Voilà pourquoi je préfère laisser Alexander De Croo faire son travail."

Réactions libérales

"En revenir à l’économie d’il y a cent ans ne nous aidera pas", a répondu Egbert Lachaert (le président de l’Open VLD) sur Twitter. "L’e-commerce peut créer des milliers d’emplois. Et nous devrions les laisser tomber ?" La réaction de Georges-Louis Bouchez a été semblable. "Le 19e siècle ne peut être un projet de société. Le progrès est une chance. Il faut avoir l’esprit ouvert et la capacité d’adapter la société pour plus de bien-être. L’e-commerce ne doit pas être laissé aux pays étrangers. On perdrait des centaines de millions et des emplois."

Le 19e siècle ne peut être un projet de société

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Egbert Lachaert invite également le ministre Dermagne à s’occuper d’emploi et non "du chômage perpétuel". Interrogé, le cabinet Dermagne a brièvement répondu. "Pour nous, le commerce électronique ne doit pas devenir la règle. Pour des centres-villes dynamiques, nous avons besoin de vrais magasins".

Réponse socialiste

Paul Magnette a répondu en soulignant les piètres conditions de travail de l’e-commerce imposées par les multinationales. "En ce qui me concerne, je défendrai toujours le commerce local et les petits indépendants. Libre au président du MR de défendre Jeff Bezos, le modèle Amazon et ses conditions de travail digne du '19ème'."

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Comeos et Unizo réagissent

La proposition du président du PS Paul Magnette de faire de la Belgique le "premier pays sans e-commerce", évoquée dans une interview accordée à l’hebdomadaire flamand Humo, fait réagir le secteur du commerce lundi soir. Pour Comeos, cette déclaration "témoigne d’une insouciance sans précédent" tandis que le dirigeant de l’organisation des patrons flamands Unizo rejette une proposition qui ne peut être émise que par quelqu’un qui "vit encore à l’âge de pierre".

La fédération du commerce et des services souligne que les Belges achètent massivement en ligne, plus de 80% ayant déjà acquis un objet en ligne. Pour Danny Van Assche, patron des patrons flamands, la déclaration de Paul Magnette n’est "pas de son temps". "L’e-commerce est devenu une part très importante de la manière de consommer. Cela ne disparaîtra jamais", avance-t-il. Si l’e-commerce devait disparaître de la Belgique, les biens acquis en ligne proviendraient dès lors de l’étranger et "nous perdrions 9 milliards d’euros en chiffre d’affaires et des dizaines de milliers d’emplois", calcule Comeos.

Cette dernière regrette que le président du PS considère également que l’e-commerce fournit des emplois de moindre qualité. "Il pense que des magasins uniquement physiques survivront mais il se trompe. La réalité est que chaque chaîne de magasins physiques a aujourd’hui une stratégie numérique et que l’avenir du commerce sera physique et numérique", selon Comeos. "Si M. Magnette ne veut pas de mauvais emplois, la solution est simple : il devrait alors aider à organiser le commerce en ligne ici, en Belgique" en lieu et place de la situation actuelle monopolisée par "des acteurs étrangers".

Comeos croit qu’une alternative belge au commerce en ligne de l’étranger a sa place. Elle en veut pour preuve le doublement en 2020, poussé par les confinements, du nombre de magasins en ligne, pour atteindre 49.000 enseignes virtuelles. "Nous ne devons donc pas nous retirer progressivement, nous devons, en tant que commerçant belge, avoir la possibilité d’offrir tout le confort au consommateur moderne. Laissez l’e-commerce fleurir ici au lieu d’au-delà des frontières et vous gagnerez trois choses : une valeur ajoutée économique dans notre pays, avec des fournisseurs locaux ; des emplois belges aux conditions de travail et salariales respectables et des livraisons plus locales avec des centres-villes animés avec des plateformes logistiques locales", expose le CEO de Comeos, Dominique Michel.

"Nous espérons que les consommateurs continueront encore longtemps à se rendre au magasin et nous espérons aussi qu’ils ont appris à quel point leurs commerces de proximité sont importants. Si on n’achète plus dans les commerces locaux, il y a moins de revenus et d’emplois en Belgique et les villes et villages se vident. C’est donc important d’acheter local mais c’est possible aussi via l’e-commerce", pointe de son côté Danny Van Assche.

Unizo plaide pour que des règles entrent en vigueur afin de garantir une concurrence loyale entre les commerçants locaux et les géants internationaux du secteur. L’organisme évoque notamment le traitement fiscal ou les inspections. Il souhaite également l’interdiction des retours gratuits.

Réaction de l'aile flamande de la CSC

Le syndicat chrétien ACV Puls, aile flamande de la CSC, a déclaré lundi être en désaccord total avec les idées du président du PS Paul Magnette sur le commerce électronique. "L'e-commerce est possible en Belgique", déclare-t-il dans une réaction. Le syndicat croit en "un modèle belge avec des emplois de qualité".

"Un retour en arrière est utopique", déclare Kristel Van Damme de l'ACV Puls. "Mais les magasins doivent continuer à se concentrer sur une expérience d'achat plaisante avec un caractère durable."

Un retour en arrière est utopique

Kristel Van Damme souligne que "nous ne devons pas simplement copier le modèle néerlandais". "C'est néfaste pour les travailleurs. Il suffit de regarder leurs centres logistiques: ces centres sont largement peuplés de travailleurs migrants qui sont employés temporairement pour des salaires plus élevés, mais ils doivent remettre une partie de leur salaire à leur agence d'intérim pour un logement minable."

"Nous ne voulons pas, en Belgique, de ces emplois, qui sentent l'esclavage moderne", explique Kristel Van Damme. "En tant que syndicat, nous ferons pression pour un modèle d'e-commerce belge, où la qualité du travail est primordiale."

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