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Podcast l’Histoire Continue : assassinat du Juge Falcone, le sursaut de l'Italie contre la mafia

Les Juges Falcone et Borsellino ont marqué l’histoire récente de l’Italie. La mort de ces deux hommes qui ont combattu à la fois la violence de la Cosa Nostra, la mafia sicilienne, et la défaillance de l’Etat italien résonne encore aujourd’hui. D’une part parce que leur assassinat a provoqué un énorme séisme dans société italienne. D’autre part parce que les mafias sont encore présentes, aujourd’hui, et la violence comme la corruption et le trafic de drogue mettent aujourd’hui en péril nos démocraties.

► Cet article de novembre 2021 a été mis à jour dans le cadre de la rediffusion de L'Histoire continue sur La Première

23 mai 1992. Capaci. Sicile. Il est presque 18h, dans ces faubourgs de Palerme.

Deux hommes, Giovanni Brusca et Antonino Gioè, tirent frénétiquement sur leur cigarette. Postés sur une colline, ils regardent l'autoroute A29, qui amorce un long virage en contrebas.

Giovanni Brusca attend le signal. Des barils d’explosifs ont été amenés dans un tunnel d’évacuation d’eau qui passe sous l'autoroute. Et c’est lui, le bras droit du parrain des parrain siciliens, lui, le meurtrier de plus d’une centaine de personnes qui a le doigt posé sur le boitier qui actionnera la bombe.

Le convoi qui emmène le juge de l'aéroport vers Palerme va passer d'une seconde à l'autre. Et en effet, les voitures apparaissent au détour d’un virage. Giovanni Brusca sait qu’il doit - maintenant - actionner la bombe.

 23 May 1992 shows the site where Italian Anti-Mafia judge Giovanni Falcone, his wife Francesca Morvillo and tree body-guards were killed in a bomb explosion
23 May 1992 shows the site where Italian Anti-Mafia judge Giovanni Falcone, his wife Francesca Morvillo and tree body-guards were killed in a bomb explosion © Tous droits réservés

En une seconde, l’explosion emporte la vie du juge Falcone, de son épouse et des trois gardes du corps. “Pour beaucoup de gens, le 23 mai et le 19 juillet 1992 sont comparables à ce qu’est le 11 septembre pour beaucoup d’autres, explique Sarah Vantorre de l’association belge antimafia Basta !. “Beaucoup de gens peuvent dire ce qu’ils faisaient, où ils se trouvaient au moment où on a appris la nouvelle.”

Les années 80 : naissance d'un capo et escalade dans la violence

Cet assassinat trouve ses racines plus de 10 ans plus tôt, dans cette Italie où la Cosa Nostra, la mafia sicilienne est toute puissante. Le début des années 80 est sanglant, notamment parce qu’au sein de la Cosa Nostra, un homme - Toto Riina - veut faire sa place.

Petit paysan, marié à l’institutrice de son village, venu du clan rural de Corleone, au centre de l’île, il est en train de grimper les échelons.

Sanguinaire, violent, Toto Riina veut la place du chef, du capo, à Palerme.

Toto Riina veut - et va - devenir le capo de tutti capi. Les chefs des chefs. Le parrain des parrains.

A l’époque, les mafias sont encore perçues comme des phénomènes régionaux. “La mafia a tout un volet culturel, né en Italie avec des mafias reconnues”, explique François Farcy, directeur de la police judiciaire fédérale de Liège. “La Cosa Nostra en Sicile, la Ndrangheta en Calabre, La Sacra Corona Unita dans les Pouilles, et la Camorra Napolitaine.(...) Il y a une culture criminelle d’organisation très fermée, qui fait appel à un code d’honneur, parfois à des rites d’affiliation et d’intégration. Certaines sont très liées aux clans et aux familles.” La Cosa Nostra, à Palerme, a tout un aspect important de contrôle du territoire, la base c'est le contrôle d’un quartier, avec un capo (ndlr. chef) local, et puis une structuration avec une coupole au-dessus.” Et Toto Riina veut - et va - devenir le capo de tutti capi. Les chefs des chefs. Le parrain des parrains.

FALCONE 211086
FALCONE 211086 © Tous droits réservés

Pour y parvenir, la violence de Toto Riina n’a plus aucune limite. L’Etat, pourtant, tente de réagir. En 1983, une équipe de magistrats antimafia est créée. Parmi eux, deux hommes : Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. Deux amis nés à Palerme dans le même quartier. Deux amis qui ont grandi sur cette île gouvernée par la mafia. Dans les couloirs du palais de justice, on les voit souvent tous les deux discuter, cigarette aux lèvres. Le même costume, la même cravate, la même moustache.

Le maxi-procès de 1986, coup fatal à la Cosa Nostra

Après quelques mois seulement, grâce à la dénonciation d’un repenti, le pool antimafia mène une gigantesque opération.Des centaines de personnes sont arrêtées. C’est du jamais vu.

Dans les fourgonnettes des policiers, il n’y a qu’un seul absent : le juge Falcone doit bien le constater Toto Riina (devenu parrain des parrains sicilien) a échappé aux perquisitions.

475 personnes sont inculpées. Le procès va être surdimensionné. Or, à Palerme, il n’y a pas de salle d’audience suffisamment grande pour un tel procès. Contre toute attente, dans un pays où le secteur de la construction est gangréné par la mafia, un inimaginable bunker sort de terre en quelques années, accolé à un coin de la prison de Palerme. Le transfert quotidien de centaines de mafieux de la prison au tribunal est, en effet, impensable.

A picture taken 10 February 1986 shows the crowd in the courtroom inside the bunker built into the Ucciardone prison in Palermo as the big trial against 474 people accused of Mafia activity started in Sicilia. The accused men are locked in the steel cages
A picture taken 10 February 1986 shows the crowd in the courtroom inside the bunker built into the Ucciardone prison in Palermo as the big trial against 474 people accused of Mafia activity started in Sicilia. The accused men are locked in the steel cages © Tous droits réservés

Le 10 février 1986 s’ouvre ce qu’on a appelé le maxi-procès. Face aux juges, dans la salle en demi-cercle, le public se serre. Tout le long de l’arc que décrit la salle d’audience : des cellules, des cages sont alignées. Derrière les barreaux, des rangées de bancs où sont installés les centaines d’inculpés. Le 21 novembre 1987, tous les chefs de la Cosa Nostra sont condamnés à la prison à perpétuité.

Toto Riina, le parrain des parrains, est lui aussi condamné, mais il est en cavale. Et il a un espoir. Celui que le jugement du maxi-procès soit revu en cassation. Après cela, se dit-il, il pourra se retirer dans une villa qu’il a fait construire dans son village natal, à Corleone.

Les jours noirs : 24 mai et 19 juillet 1992

Alors pendant plusieurs années, la situation se calme. La violence retombe.Toto Riina attend dans l’ombre, que sa condamnation soit annulée. Et il est confiant. Parce que le juge qui s’occupe de ces affaires-là, à Rome, statue toujours en faveur de la mafia.

Pendant ce temps, le juge Falcone a pris la direction générale des affaires pénales au ministère de la justice. Et Il s'assure, parce que c’est désormais dans ses prérogatives, qu’un autre juge statue sur la cassation du méga-procès.

Le 30 janvier 1992, le pourvoi en cassation est rejeté. Toutes les peines sont confirmées. Toto Riina entre dans une rage terrible.

Manifestations à Palerme, le jour de l'assassinat du Juge Falcone
Manifestations à Palerme, le jour de l'assassinat du Juge Falcone © Tous droits réservés

A partir de ce jour-là, Giovanni Falcone sait qu’il est en danger. Il dit à la télévision, comme une prémonition. “Bien sûr que je le sais. Tout le monde sait que nous sommes en danger quand on lutte contre la mafia (...) Mais attention, le fait que les mafiosis soient des criminels ne doit pas nous conduire à les mépriser. A part le respect qu'on doit avoir pour tout être humain, en piochant, en creusant, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas très différents de nous”.

Continuer à respecter les êtres humains parce qu’ils sont des êtres humains. Ne pas mépriser. Creuser, chercher à comprendre. Quand les barils ont explosé sous l’autoroute à A29, quand la Fiat Croma grise que conduisait le Juge Falcone a volé dans les airs, quand la terre rouge s’est déchiquetée pour ne laisser qu’un cratère de plus de 10 mètres de profondeur, il n’y a pas seulement 5 personnes qui sont mortes. Il y a aussi l’intégrité, le courage qui éclatent au grand jour. Et tout à coup, la société italienne n’en peut plus. Et sort dans la rue.

Les attentats de 1992 : un tournant dans la lutte antimafia et la parole qui se libère

“Ça a été un tournant dans la lutte antimafia”. raconte Sarah Vantorre, de Basta ! “Les manifestations de masse, le fait de se réunir et de crier ouvertement l’indignation contre la mafia, mais aussi contre la complicité de la classe politique, entrepreneuriale et institutionnelle a permis de faire comprendre à la mafia qu’elle n’avait plus le soutien de tout le monde. Ca a aussi permis de sensibiliser ceux qui pensaient encore que ce n’était pas un problème qui les concernait en tant que citoyens”.

Avec l’assassinat du Juge Falcone, Toto Riina, chef de la mafia toujours caché qui ne comprend pas que l'Italie est en train de changer, espère continuer à faire peur, puis négocier une révision du procès. Mais pour les autorités, désormais, c’est impensable. Alors le chef de la Cosa Nostra s’enfonce encore plus loin dans la violence. 

A picture taken on March 8, 1993 shows mafia boss Salvatore Toto Riina during his trial at the high security prison Ucciardone in Palermo.
A picture taken on March 8, 1993 shows mafia boss Salvatore Toto Riina during his trial at the high security prison Ucciardone in Palermo. © Tous droits réservés

Le 19 juillet 1992, la voiture du juge Paolo Borsellino explose en plein Palerme. A quelques kilomètres de là, dans un quartier résidentiel de Palerme, un autre homme ne se doute pas que le temps qui lui reste à vivre en liberté est compté.

Toto Riina a été dénoncé par un membre de son clan. Son repère a été localisé par la police. Le 15 janvier 1993, une citroën noire passe le porche d’une résidence sans âme. A son bord Toto Riina et son chauffeur. Ils sont arrêtés un peu plus loin.

Le parrain des parrains de la Cosa Nostra est tombé.

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