Guerre en Ukraine

"Plus on va vers l’est, plus on voit la destruction", constate le coordinateur de Médecins sans frontières en Ukraine

L'invité: Christopher Stokes, coordinateur MSF en Ukraine

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Par Marie-Laure Mathot sur base de l'interview de François Heureux

"Plus on va vers l’est de l’Ukraine, plus on se dirige vers la ligne de front, au plus on voit la destruction." Christopher Stokes est en Ukraine en tant que coordinateur des urgences pour Médecin sans frontières. L’ancien directeur général de MSF Belgique fait le point sur la situation humanitaire en direct de ce pays en guerre depuis 11 mois.

"Parfois, vous voyez les images de villages, de villes avec des bâtiments détruits. Il faut se rendre compte que ces quelques bâtiments que vous voyez, nous les constatons sur une distance d’à peu près 1000 km sur toute la ligne de front."

Depuis l’automne dernier, les infrastructures électriques sont la cible d’attaques par les Russes. Les routes et les ponts sont également visés depuis le début de la guerre par les deux camps pour empêcher les ravitaillements ou le rapatriement des blessés. Et cela se voit.

Toutes les guerres sont absurdes

Et cela a des conséquences sur les vies humaines. "Toutes les guerres sont absurdes et toutes les guerres ont des impacts terribles sur les civils. Une des spécificités de la guerre en Ukraine est le niveau de destruction de l’infrastructure", répète le coordinateur. "L’intensité des combats, c’est quelque chose que j’ai rarement vu. Ici, ça fait un an que l’on voit les villes, les villages, des immeubles, des quartiers entiers rasés."

Les combats et les dégâts s’intensifient depuis deux semaines

Des combats âpres qui s’aggravent encore depuis mi-janvier. "Depuis une semaine ou deux, il y a du changement. Nous travaillons près des lignes de front. On est à 14 km de Bakhmout où il y a des combats intenses. Samedi matin, un missile a atterri sur le marché. On a reçu dans notre salle d’urgence dix blessés dont trois en état critique. On a ensuite référé avec nos ambulances de Médecins sans frontières jusqu’à Dnipro qui se trouve à quatre heures de là."

Les hôpitaux sont assez saturés

"Trois jours auparavant, on était plus loin de la ligne de front, à 70 km, la mairie d’un village ukrainien où nous nous trouvions a été frappée. Plusieurs morts. Trois blessés dont une maman, Ludmilla qu’on a pu stabiliser et sauver la vie, qu’on a ramenée dans un des villages les plus proches dans une de nos ambulances."

Christopher Stokes lors d’une autre mission au Liberia en 2014 alors qu’il était encore directeur général de MSF. Il est aujourd’hui le coordinateur de la mission en Ukraine.
Christopher Stokes lors d’une autre mission au Liberia en 2014 alors qu’il était encore directeur général de MSF. Il est aujourd’hui le coordinateur de la mission en Ukraine. © Tous droits réservés

Cette intensification met une pression très importante sur les hôpitaux, explique le coordinateur. "Les hôpitaux ukrainiens sont assez saturés. Ils ont reçu pour instruction, à l’est du pays, près de la ligne de front, de sortir les patients et de les amener vers l’ouest. Et nous, on les aide avec un train médicalisé géré par MSF. Mais les hôpitaux à l’Ouest même tirent la sonnette d’alarme : ils sont saturés."

Un plan de survie face à l’amassement des troupes russes

Et cela risque-t-il de s’aggraver encore ? Les Ukrainiens ont la peur au ventre en voyant les troupes Russes gonfler leurs rangs près de la ligne de front. "Tout le monde regarde les réseaux sociaux. Et tout le monde voit qu’il y a une mobilisation très importante en Russie. Tout le monde est en train de prévoir des plans B pour voir comment ils vont vivre dans les mois et semaines à venir."

"Ils essayent de s’organiser pour se déplacer chez des amis ou des membres de la famille à l’ouest du pays. Certains se demandent s’ils vont pouvoir rester en Ukraine si le pays tombe sous les bombes." Christopher Stokes a constaté les difficultés psychologiques de la population ukrainienne qui vit sous la menace et sous les attaques depuis presque un an. Il y a de la résilience. Mais jusqu’à quand ?

L’électricité est en panne. Il n’y a pas d’ascenseur. Pas de chauffage. Parfois pas d’eau.

"C’est difficile à dire", répond-il. "Je peux vous parler de mes collègues ukrainiens. Ils tiennent mais ils se posent beaucoup de questions. Ici, à Kiev, si vous habitez dans un immeuble comme il y en a beaucoup, vous êtes au 20e étage. L’électricité est en panne. Il n’y a pas d’ascenseur. Pas de chauffage. Parfois pas d’eau. Rentrer et sortir de chez soi c’est extrêmement difficile."

Pas d’accès aux soins dans les zones occupées

Dans les zones contrôlées par les Russes, l’accès aux soins de santé est même entravé. "Une de nos activités est d’organiser des cliniques médicales dans les villages qui ont été repris par les forces ukrainiennes. Et où se trouvent des citoyens, des familles, des gens de tous âges qui n’ont pas eu accès aux soins pendant à peu près huit mois, de mars à novembre, pendant cette période où ils étaient sous contrôles des forces russes."

"Dans certains villages, pour vous donner une idée, si vous étiez malade, il vous était interdit de sortir du village, d’aller vers la ville de Kherson pour récupérer des médicaments. Donc si vous avez du diabète, une tuberculose ou une maladie chronique, il y avait des gardes à l’entrée du village qui vous empêchaient de circuler. Et toute une série de difficultés d’approvisionnement en médicaments."

Dans un petit mois, cela fera un an que le président russe Vladimir Poutine a lancé son "opération militaire spéciale en Ukraine" afin de récupérer ce qu’il considère des "républiques" séparatistes du Donbass. Une guerre qui devait être courte mais qui, quasi un an plus tard, fait toujours des ravages. Selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, 18.483 victimes civiles ont été enregistrées, dont 7068 morts.

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