Mobilité

Plus d’usagers vulnérables décédés : "On a l’impression que le piéton est le parent pauvre de la sécurité routière"

Le focus sur les accident de la route

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Par Anthony Roberfroid d'après des interviews de François Heureux

Selon le dernier baromètre de la sécurité routière de l’institut Vias, basé sur les chiffres de la police fédérale, il y a une forte hausse du nombre de morts sur les routes parmi les piétons et les cyclistes cette année.

"On a une hausse du nombre de tués en général de 16% par rapport à 2020. On sait que cette année était un peu particulière avec toutes les mesures restrictives en matière de déplacement, mais on retombe pratiquement au niveau de 2018-2019. Et parmi ces tués, on sait qu’un sur quatre était un piéton ou un cycliste. Donc, clairement, c’est à ce niveau-là que le bât blesse."

Sur les 10 dernières années, il n’y a jamais eu autant de victimes parmi les cyclistes. Dernier triste exemple en date : la semaine dernière, une cycliste percutée par un tram près du Bois de la Cambre à Bruxelles. La jeune trentenaire a été tuée sur le coup. On ignore encore aujourd’hui les conclusions de l’enquête de police.

À noter également que le nombre d’accidents impliquant une trottinette électrique continue d’augmenter : il y en a eu 1305 au cours des 9 premiers mois de l’année, soit près de 5 par jour.

Les chiffres retrouvent donc le niveau d’avant la crise du coronavirus, et parmi les 75 piétons qui ont perdu la vie cette année, 6 ont été tués lors du drame de Strépy-Bracquegnies. "Il y a eu six piétons tués en Wallonie au cours de la première moitié de l’année dans ce terrible accident, donc ça a certainement joué un rôle, mais ça n’explique pas pourquoi, tout d’un coup, le nombre de piétons tués a doublé en Belgique", précise Benoit Godart.

Comment expliquer cette hausse d’accident ?

Les usagers faibles ont donc été davantage touchés l’année dernière par des accidents de la route, mais comment expliquer cette recrudescence ?

Pour le porte-parole de Vias, deux explications sont possibles :

  • "Tant pour les piétons que pour les cyclistes, on sait que le nombre est en augmentation, donc l’exposition aux risques a certainement augmenté, boosté en plus par une météo qui était relativement clémente pour se promener tant à pied qu’à vélo.
  • Et deuxième chose, pour les cyclistes, deux chiffres sont assez interpellant : le nombre d’accidents impliquant un vélo n’a augmenté que de 6%. Par contre, le nombre d’accidents impliquant un vélo électrique a augmenté de 40%. Et un cycliste tué sur trois a plus de 70 ans. Donc, en d’autres termes, on voit que le succès faramineux du vélo électrique, a priori auprès d’une tranche de la population un peu plus âgée, a aussi des répercussions sur la sécurité routière."

Et pour l’expert, la dangerosité accrue des vélos a assistance électrique est démontrée par trois facteurs :

  • "Premièrement, un vélo électrique est beaucoup plus lourd. On parle de six à sept kilos en plus, donc forcément, quand vous tombez, si le vélo vous retombe dessus, ça a des répercussions beaucoup plus importantes.
  • Deuxièmement, vous allez tout de suite plus vite, vous allez plus vite dès le démarrage. C’est une manière de rouler qu’il faut appréhender.
  • Et troisièmement, il y a parfois des équipements qui sont indispensables, surtout auprès d’un public plus vulnérable, et je pense aux seniors, y compris le casque, qui fait parfois défaut."

Une situation plus dangereuse qu’auparavant pour les piétons ?

Les piétons sont eux aussi davantage touchés par des accidents, la faute, ici aussi, à la reprise post-covid selon Anna Tinebra, directrice de l’association de piétons "Tous à pied" : "Une des raisons qui pourrait expliquer ceci, c’est le nombre de conducteurs qui est reparti à la hausse après les années Covid. Il y a plus de piétons et plus de cyclistes suite au climat, à une meilleure météo, et il y a donc de plus en plus d’interactions entre les différents usagers. Une des raisons qui pourraient diminuer ces statistiques serait que tous les déplacements d’un piéton se fassent à l’allure du pas, avec une distance de deux mètres entre les véhicules motorisés, que ce soit voitures, camions, bus, vélos, etc., et une distance d’un mètre pour tous les autres usagers, c’est-à-dire les vélos classiques, les trottinettes non électriques, etc. Ça permettrait d’assurer la sécurité et le confort des piétons qui, pour nous, sont les usagers les plus vulnérables", explique-t-elle.

On a parfois l’impression que le piéton est finalement le parent pauvre de la sécurité routière.

Reste que dans de nombreuses villes, le partage de l’espace public pose parfois problème : "En ville, et notamment à Bruxelles, mais aussi à Liège, Namur ou Charleroi, par exemple, c’est quand le piéton est sur le trottoir. Malheureusement, ce trottoir est aujourd’hui souvent squatté par des cyclistes et surtout des trottinettes électriques. Donc, si on pouvait déjà lui laisser son espace en toute sécurité, son espace en bon état aussi, parce qu’en ville, grosso modo, les trottoirs sont plus ou moins en bon état, mais dès que vous sortez des grandes villes, soit il n’y a pas de trottoir, soit il n’est pas désherbé, soit il est en mauvais état. On a donc parfois l’impression que le piéton est finalement le parent pauvre de la sécurité routière", détaille Benoit Godart.

"Les piétons ont été un peu oubliés", ajoute Anna Tinebra. "Il y a eu une proportion importante pour les cyclistes. Le trottoir est vraiment l’espace du piéton par excellence et il doit être dégagé de toutes ces bornes, ces parcmètres, ces panneaux publicitaires, ces parkings trottinettes. Il y a aussi eu ces terrasses temporaires".

La trottinette le nouvel ennemi des piétons en ville ?

Depuis quelques années, les trottoirs ont fait leur présence sur nos routes, mais également sur les trottoirs. Une situation parfois problématique pour l’espace de marche des piétons. Pour la directrice de l’association de piétons "Tous à pied", une meilleure réglementation et l’application de sanctions pourrait arranger les choses : "Ce n’est pas un ennemi, mais il n’y a pas suffisamment de contrôles. Ils sont même quasi inexistants. On pourrait aller plus loin par rapport aux verbalisations. Par exemple, on pourrait brider leur vitesse dans les zones piétonnes. C’est déjà le cas à Bruxelles.

Et d’ajouter : "On pourrait aussi créer l’impossibilité technique de faire démarrer des trottinettes si vous êtes plus de deux. Il y a des réflexions, par exemple à Paris en ce moment. On pourrait bannir totalement le stationnement sur le trottoir parce que ce n’est pas tout à fait le cas, même si la législation a changé, en l’absence de signalisation ad hoc. Le stationnement sur les trottoirs est toujours autorisé, à condition de ne pas gêner le passage des piétons et des autres usagers. Donc, on pourrait aller beaucoup plus loin", indique Anna Tinebra.

Au-delà des ennuis causés à la circulation des piétons, les trottinettes sont aussi impliquées dans de plus en plus d’accidents : "Nous avons dénombré 1300 accidents en neuf mois, ça représente cinq accidents par jour", révèle Benoit Godart.

"La moitié des accidents de trottinettes ont été comptabilisés à Bruxelles, mais on voit maintenant le phénomène arriver dans des villes comme Liège, Namur et Charleroi. Maintenant, au niveau du Code de la route, on a fait ce qu’il fallait faire et c’est assez clair, les trottinettes électriques n’ont pas leur place sur les trottoirs. Le Code de la route le mentionne noir sur blanc. Donc oui, il faudrait peut-être plus de contrôles. Les nouvelles règles ne sont peut-être pas assez contrôlées aujourd’hui. On a laissé un temps d’adaptation aux usagers, ce temps est maintenant largement révolu et il est temps de passer à une vitesse supérieure.", rajoute l’expert.

Quelques conseils pour plus de sécurité

Afin de protéger au mieux les usagers faibles, Anna Tinebra conseille de privilégier l’attention à accorder aux usagers les plus exposés au danger : "Pour nous, le piéton doit être prioritaire partout où il circule. C’est le principe STOP. Stop à la voiture, on met la priorisation sur les piétons d’abord, puis sur les cyclistes, puis sur les transports publics, et ensuite seulement sur la voiture. Ça ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas être attentifs à leurs déplacements. On pourrait donner aussi un conseil aux conducteurs : adapter sa vitesse, ralentir, donner systématiquement la priorité aux piétons, mais surtout ne pas oublier d’établir le contact visuel avec les personnes qui traversent. Ça, c’est important. Et cette cohabitation avec les cyclistes, personne n’aime être frôlé lorsqu’on circule, que ce soit les cyclistes vis-à-vis des autos ou des camions. C’est la même chose pour le piéton. Il n’aime pas être frôlé quand le flux devient de plus en plus important", conclut la présidente de l’association de piétons.​​​​​​​

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