Plus de 5300 personnes sans-abri et mal logées à Bruxelles: une augmentation de 30% par rapport à 2018

Plus de 5.300 personnes sans-abri et mal logées à Bruxelles: une augmentation de 30 % par rapport à 2018

© Chloé Thôme

Ce sont des chiffres que l’on redoute, tous les deux ans. Parce que depuis 10 ans, ils sont en hausse constante. Cette année 2020 marquée par la crise sanitaire ne déroge pas à la règle. On dénombre dans la rue ou dans les centres d’hébergement d’urgence plus de 5300 personnes, contre un peu moins de 4200 en 2018. C’est ce que dit le sixième rapport de dénombrement des personnes sans-abri et mal-logées mené cette année par le très jeune organisme Bruss’Help, désormais chargé de l’aide d’urgence et de l’insertion en région bruxelloise. Mais que disent ces chiffres dans les détails ?

Une photographie à l’instant T

Cette opération de dénombrement existe depuis 12 ans à Bruxelles. L’idée, c’est de faire une photographie à un instant T de la situation bruxelloise. Parce que le sans-abrisme est un phénomène marqué par le mouvement, les allers et retours, parfois l’errance. Alors, tous les deux ans, on appuie sur pause un soir de novembre, dans toutes les structures d’urgence, les hôtels ouverts pendant la crise sanitaire, les logements de transit, les maisons d’accueil, les occupations négociées, les squats. On y dénombre les personnes ce jour-là, et le soir même avant minuit, près d’une centaine d’associations quadrille la région bruxelloise pour compter les personnes qui dorment en rue. En novembre dernier, nous les avions accompagnées.

La crise sanitaire sur la crise sociale

Quatre mois plus tard, Bruss’Help détaille son rapport : le nombre de personnes sans-abri et mal-logées passe de 4187 en 2018 à 5313 en 2020, c’est une augmentation de 27%. Il faut sans doute la nuancer, parce que le dénombrement de 2018 s’était déroulé dans des circonstances compliquées et avait sans doute été sous-estimé. Et puis il y a la crise sanitaire, "mais selon nous, il s’agit avant tout d’une crise sociale et économique qui préexistait", analyse François Bertrand, directeur de Bruss’Help. "L’accès au logement est de plus en plus compliqué pour les ménages à revenus modestes. Et là-dessus, vient la crise covid qui a fortement appauvri les ménages. […] Ici la crise a un effet de bombe à retardement dans le sens où son impact se fait déjà sentir sur la précarisation des ménages, maintenant. Mais ce sera aussi le cas dans les années à venir".

François Bertrand, directeur de Bruss'Help

Un tout petit peu moins de personnes en rue

Cependant, la crise sanitaire et le confinement ont aussi poussé le gouvernement bruxellois à "ouvrir des places" pour les personnes sans-abri et mal logées. Dix hôtels accueillent aujourd’hui encore des résidents, parce qu’il fallait baisser la pression sur les centres existants et respecter les mesures sanitaires. Dans son rapport, Bruss’Help dénombre donc 719 personnes qui dorment en rue contre 759 en 2018. Et par ailleurs, trois personnes sur cinq sont recensées dans le réseau d’aide.

933 enfants : un signal d’alarme

L’autre constat interpellant concerne le nombre d’enfants comptés : De 612 enfants en 2018, Bruss’Help rapporte la présence de 933 enfants en 2020. Une hausse fulgurante, en majorité dans les centres d’hébergement. 12 enfants ont été dénombrés en rue en novembre dernier. "Le profil de ces enfants est celui d’enfants avec familles ou juste leurs mères, plutôt jeunes, 80% ont moins de 12 ans. C’est un signal d’alarme !"

La région bruxelloise a pourtant décidé en mars 2020 d’un moratoire sur les expulsions domiciliaires, en raison de la crise. Il est d’ailleurs toujours en cours jusqu’au 31 mars prochain. Et après? Au cabinet de la secrétaire d'état au logement Nawal Ben Hamou, réponse laconique: "la question sera abordée en conseil des ministres la semaine prochaine". Chaque année, on compte en moyenne 600 expulsions à Bruxelles. 

"Le moratoire a permis d’enrayer mais pas de stopper les tombées en situation de sans-abrisme", explique François Bertrand. "Pour des personnes avec des revenus minimaux, deux tiers sont employés pour le logement en région bruxelloise. Ça veut dire qu’à n’importe quel moment, une rupture familiale, une séparation, un problème de santé ou de santé mentale, à n’importe quel moment les personnes à revenus modestes peuvent se retrouver en rue. Dans cette situation particulière de crise sanitaire, des mères se sont retrouvées sans situation et pour une partie d’entre elles confrontés à des violences conjugales. Elles se sont adressées au secteur".

Par ailleurs, ce moratoire prendra fin un jour et comme l’expliquait Nicolas Bernard, professeur de droit à l’Université Saint-Louis, spécialiste de la politique de logement, "le problème du moratoire, souvent, c’est que l’on ne prépare pas l’après […]. Le moratoire ne doit pas être vu comme la possibilité de dormir sur ses deux oreilles pendant ce temps-là. Non, ça doit donner un répit pour déjà préparer toutes les solutions de relogement".

La question migratoire aussi

Or, le relogement est très compliqué pour une partie de ce public : les personnes sans-papiers. Le dénombrement de 2020 a aussi permis de rendre visible les squats et les occupations négociées en région bruxelloise, grâce notamment à la FEBUL, la Fédération Bruxelloise Unie pour le Logement. Cela représente 1000 personnes pour les squats, 160 de plus pour les occupations négociées qui se sont multipliées pendant la crise. Bien souvent, les occupants sont des personnes sans-papiers, fortement frappées par cette crise sanitaire. Aucun filet social, plus de travail, et quelque part, le besoin de sortir de l’ombre pour demander de l’aide mais aussi revendiquer la régularisation de leurs situations. La présence de personnes sans-papiers dans le réseau d’urgence est aussi importante.

Et ailleurs ?

Ce mercredi 17 mars, la Fondation Roi Baudouin et des chercheurs de LUCAS KULeuven et de l’ULiège, avec les administrations locales et le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, présenteront les résultats de premiers dénombrements dans les villes d’Arlon, de Liège, de Gand et dans la Province de Limbourg.

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