Pierre Bordage à la Foire du Livre : "L’auteur de science-fiction n’est pas un devin. Il a de l’intuition"

La littérature de science-fiction est souvent sous-estimée dans les pays francophones, confesse Pierre Bordage, mais cette place de seconde classe attribuée par les cercles littéraires élitistes lui convient plutôt bien : "Il y a un déni culturel de la science-fiction. On fait partie des bas-fonds, mais moi j’aime beaucoup cette position, qui permet une marge de créativité et de liberté." Mais les portes sont en train de s’ouvrir, avec des auteurs comme Alain Damasio.

D’après l’écrivain, si la littérature du réel obtient plus facilement les faveurs du public, c’est dû à l’Histoire bourgeoise de la France, qui se dessine pendant la Révolution française. Les réformes révolutionnaires interdisaient les langages locaux par exemple, de manière à rassembler le peuple autour d’une langue commune. Derrière cette volonté rassembleuse, c’est un système corseté, rejetant la différence, qui se met en place.

La science-fiction et la fantaisie ont donc des difficultés à s’imposer comme une littérature équivalente aux autres. Et pourtant, la science-fiction a connu un âge d’or pendant l’ère industrielle, mais la violence amenée par le progrès scientifique, lors de la Première Guerre mondiale, a marqué la fin de ce succès. Elle s’est alors développée dans les pays anglo-saxons avec l’imaginaire des forêts, et en Amérique, notamment à travers la figure de l’alien.

Aujourd’hui, les évolutions technologiques s’accélèrent. Et si le réel prenait le pas sur la science-fiction ? Par exemple, la micro-informatique n’a pas été entrevue par la science-fiction. Pierre Bordage n’est pas inquiet : "De toute façon, la science-fiction est une littérature de personnage. Sa vertu première est de parler du présent en utilisant le saut dans l’espace-temps."

Transposer le présent pour pouvoir le comprendre, c’est le rôle des auteurs de science-fiction : "Aucun auteur de science-fiction n’est prophète, il n’est pas un devin, pas un futurologue. C’est quelqu’un qui a des intuitions sur tel ou tel problème soulevé par la société." Comme Georges Orwell dans 1984, qui a deviné la surveillance globalisée sans percevoir la forme que celle-ci prendrait : "Il a retenu quelque chose qui était en germe dans son présent, c’est la surveillance globale."

Avec la pandémie, la réalité s’est retournée. Pierre Bordage raconte son expérience de confinement. Alors qu’il sortait de la clinique, il prend la voiture pour se réfugier à la campagne à trois heures de Nantes : "C’était la fin du monde. C’était le film 28 jours Après. Il n’y avait personne sur la route. C’est un temps idéal pour un auteur normalement, mais l’esprit n’y était pas, donc j’ai fait des contes."

Pierre Bordage sera ce vendredi à 18h00 sur le stand Région. Il sera aussi en dédicaces le samedi 1er avril de 16h à 17h sur le stand 308 et le dimanche 2 avril de 16h à 17h sur le stand 308.