Et Dieu dans tout ça?

[Philo] Qu’est-ce que le désir ?

© Getty Images

Par RTBF La Première/André Comte Sponville via

Le Grand Dictionnaire des philosophies et des religions, c’est, chaque semaine, un mot, un concept, une idée, et des tentatives de définitions pour éclairer le vocabulaire des philosophies et des religions. Le philosophe André Comte Sponville (auteur d’un Dictionnaire philosophique paru chez PUF) définit cette fois le désir, cette 'puissance de jouir et d’agir'.

Puissance de jouir et d’agir, précise André Comte Sponville, et non pas manque. Il faut insister sur cette dimension. Pour une fois, l’étymologie a tort, puisque ce mot de désir en français vient du latin sidus, sideris, l’astre, l’étoile, et le indique l’absence. Autrement dit, le désir serait le manque d’une étoile, l’inaccessible étoile, que chantait si bien Jacques Brel.

Et ça, je crois que c’est un piège mais que ce piège est souvent notre vie même, parce qu’il est vrai que, le plus souvent, nous désirons ce que nous n’avons pas, ce qui nous manque. Et donc forcément, on est séparé du bonheur, puisqu’on se dit : qu’est-ce que je serais heureux si j’avais ceci ou cela ! Mais on ne l’a pas, puisqu’on le désire, puisque ça manque. Si bien que nous sommes séparés du bonheur par le désir même qui le vise au futur, autrement dit par l’espoir même qui le vise.

Revenir à l’expérience corporelle

Contre quoi il faut revenir d’abord à l’expérience corporelle, affirme le philosophe. C’est l’impuissant qui manque de quelque chose, ce n’est pas celui qui fait preuve de puissance sexuelle. Cela vaut pour les hommes comme pour les femmes. La puissance de jouir et d’agir vaut pour les deux sexes. Ce n’est pas la même chose d’être un amant puissant, au sens sexuel du terme et d’être frustré, d’être en manque.

Comme ce n’est pas la même chose de souffrir de la faim et de jouir de ce qu’on mange de bon appétit. L’appétit, ce n’est pas le manque de nourriture – ça, c’est la faim -, c’est la puissance de jouir de la nourriture qui ne manque pas.

Il y a donc ces deux pôles :

  • le désir comme puissance de jouir et d’agir, c’est la définition spinoziste du désir.
  • le désir comme manque, c’est la définition platonicienne du désir.

Les deux sont vrais, les deux correspondent à notre expérience.

Il arrive que nous ayons faim, que nous soyons en manque de nourriture. Il arrive que nous mangions de bon appétit. Il arrive que nous soyons frustrés, en manque sexuel. Il arrive que nous fassions l’amour avec plaisir, avec joie, avec puissance, avec satisfaction.

Il y a bien sûr davantage de plaisir du côté de la puissance de jouir et d’agir, du côté du désir spinoziste, plutôt que du côté du manque, qui ne débouche que sur la souffrance – quand je désire ce que je n’ai pas, je souffre de ce manque - ou sur l’ennui - parce que j’ai ce que, dès lors, je ne désire plus.

Ainsi toute notre vie oscille comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui.

Pour échapper à cela, il faut revenir vigoureusement, joyeusement, puissamment au corps. Le désir n’est pas d’abord un manque, c’est d’abord une puissance. Celui qui n’a pas d’appétit, c’est à lui qu’il manque quelque chose. Manger de bon appétit, ce n’est pas un manque, c’est la puissance de jouir de ce qu’on mange. L’appétence en général, l’appétit comme dit Spinoza, c’est justement la façon d’aimer la vie, de prendre la vie à bras-le-corps, au lieu de toujours désirer ce qu’on n’a pas.

Le désir, l’essence singulière de chaque individu

Le désir n’est pas le propre de l’être humain, puisque les animaux désirent aussi.

Le désir est l’essence même de l’homme, dit Spinoza. Certains disent que c’est faux, puisque les animaux désirent aussi. Mais Spinoza, en disant cela, pense à l’individu singulier, et pas à l’essence humaine. Parce que le propre de l’humanité, ce n’est pas le désir, c’est la raison. Nous sommes des animaux rationnels, raisonnables. La raison est la même en chacun de nous. Et donc si notre essence individuelle était la raison, nous serions tous identiques, ce qui n’est pas le cas.

C’est que l’essence générique, le propre de l’humanité, c’est la raison, mais l’essence singulière de chaque individu, c’est le désir. Et c’est parce que nos désirs sont différents que nous sommes différents. Autrement dit, la puissance d’exister, la puissance de jouir et d’agir qu’est le désir, c’est ce que Spinoza appelle le conatus, l’effort de tout être pour persévérer dans son être.

C’est parce que nous sommes vivants que nous voulons vivre. C’est parce que nous sommes vivants que nous pouvons aimer la vie. Et pour aimer la vie, il faut l’aimer telle qu’elle est, plutôt que de rêver perpétuellement qu’elle soit autre.

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