L'allocation universelle fait débat en Europe. La Finlande y pense, la Suisse l'a proposée mais le peuple l'a rejeté massivement lors d'une votation et en Belgique, le MR a lancé des cercles de réflexions, le socialiste Paul Magnette inscrit cette allocation "dans le sens de l'histoire", contrairement à certains de ses collègues socialistes qui y voient un danger pour la sécurité sociale.
Le revenu de base, cela fait 30 ans que Philippe Defeyt y travaille. Économiste, et président du CPAS de Namur (jusqu'à la fin du mois), il a lancé une proposition chiffrée et budgétée.
Ce changement important, c'est cette autonomie
"Il existe plusieurs modèles d'allocations universelles, mais le modèle que je propose prend ce qu'il y a de meilleur dans l'histoire de la sécurité sociale, explique l'écologiste au micro de Bertrand Henne sur La Prem1ère. C'est-à-dire une véritable assurance sociale pour ceux qui perdent leur emploi, qui passent à la retraite ou tombent malade, couplé avec une solidarité universelle qui se traduit par un revenu de base de 600€ par mois pour les adultes et de 300€ par mois pour les moins de 18 ans."
"600€, c'est le montant qui réussit aujourd'hui le meilleur équilibre possible entre les considérations budgétaires, et la volonté d'introduire un changement significatif de comportement. Quelqu'un qui peut affecter 600 euros librement sans contraintes à des activités, des changements qu'il souhaite portés. Ce changement important, c'est cette autonomie."
"La personne peut cumuler son salaire avec son revenu de base, mais ce salaire sera un peu moindre que ce qu'il n'est aujourd'hui. Cela représente la quotité exemptée d'impôt. On va payer plus d'impôt mais on aura une sorte de crédit d'impôts. Pour beaucoup de personne, on va jouer du côté de la neutralité."
"Mais il faut d'abord penser aujourd'hui à toutes ces centaines de milliers personnes qui sont en difficulté d'insertion, je pense aux jeunes entrepreneurs qui sont en train de préparer la transition écologique, à ceux qui sont en train d'essayer de lancer leurs activités, aux artistes, à toutes ces personnes qui ne sont pas assez protégées alors qu'ils et elles ont un projet qui peut contribuer de manière positive à la société. C'est pour cela que je pense que le revenu de base est un revenu pour favoriser l'autonomie de tous."
Prendre le meilleur du système actuel
Philippe Defeyt insiste, son modèle d'allocation universelle prend le meilleur des assurances sociales, et permet aux personnes les moins protégées de retrouver une autonomie et une meilleure capacité d'initiative.
"Je pense qu'on ne doit pas rejeter notre histoire sociale, les assurances sociales ont apporté quelque chose de bien. Mais en même temps, il faut avoir l'honnêteté intellectuelle, le courage politique de reconnaître que notre protection sociale est en train de s'essouffler."
"Nous sommes dans un système où un jeune qui a le malheur de finir ses études après sa 24ème année n'a rien, c'est un système qui pénalise les personnes qui retrouvent du travail, c'est un système qui pénalise les personnes qui décident de vivre ensemble. Il y a des milliers de femmes qui se retrouvent avec des pensions de quelques centaines d'euros. C'est un système qui ne protège pas tout le monde."
Il n'est pas question de jeter le bébé avec l'eau du bain
Un des gros arguments des détracteurs du revenu de base est que cela n'incite pas à avoir un travail, et que des personnes vont profiter du système pour ne pas devoir travailler. A cela, l'économiste rappelle qu'"Il existe deux gros modèles de revenu de base.
"Celui des 1200-1300 euros, comme en Suisse, où quelqu'un pourrait dire je ne travaille plus et je laisse les autres travailler pour notre société. Ce n'est pas mon modèle, le mien part du principe que des gens heureux participent à des degrés variables, dans les meilleures conditions possibles, à trois types d'activité: la production de richesse, des activités de soin – tout ce que l'on fait pour ses proches, tâches domestiques, s'occuper des personnes âgées, etc. – et puis toutes les activités autonomes, que l'on fait parce que l'on a envie de contribuer positivement à la société"
"Si on donne cette plage d'autonomie, on aura aussi des travailleurs plus heureux et moins malade. Un travailleur aura l'occasion de passer en temps partiel pour se consacrer à un projet qui lui tient à cœur."
Il ne s'agit pas de détricoter ceux qui sont protégés
Du côté des socialistes, le secrétaire général de la FGTB Marc Goblet reproche le "détricotage" de la sécurité sociale qu'engendrerait une allocation universelle. Philippe Defeyt précise, "il n'est pas question de jeter le bébé avec l'eau du bain. Par exemple, on ne touchera pas aux soins de santé.
"Il ne s'agit pas de détricoter ceux qui sont protégés, mais de se demander quels sont ceux qui ne sont pas protégés. Peut-on continuer à vivre dans un système où une chômeuse qui décide de revenir sur le marché du travail soit pénalisée? Peut-on admettre que l'on envoie des inspecteurs pour aller voir si cette personne vit avec quelqu'un, dort dans le même lit ? Non, faisons confiance aux gens, donnons aux porteurs de projets une sphère d'autonomie et arrêtons de contrôler à tout moment ce que font ces gens-là. Dans ce sens-là, en effet, ma proposition à des dimensions libérales, je l'assume très volontiers."
Un coût de plus de 100 milliards
L'économiste a chiffré le coût de ce nouveau système: une allocation universelle coûterai 73 milliards d'euros à l'Etat. Ce chiffre monte à plus de 100 milliards d'euros si l'on compte les allocations qui sont conservées.
"C'est moins d'un quart de notre richesse nationale, relativise Philippe Defeyt. Est-ce que c'est trop payé pour faire en sorte que chacun d'entre nous trouve ou retrouve un emploi, et en même temps dégager des marges d'autonomie. Faire en sorte de libérer les énormes capacités d'initiatives et d'autonomie dans notre société."
"L'argent, il a deux sources: les actuels prestations sociales que l'on va recycler, et un gros paquet de modification fiscale, par exemple la suppression des réductions fiscales pour enfant à charge, le quotient conjugal, et bien d'autres niches fiscales que ne se justifient plus dans ce genre de démarche."