Week-end Première

Peut-on vivre heureux sans sexe et sans amour ?

Le podcast 'Free from desire ou comment l’asexualité m’a libérée', d’Aline Mayard

© Aline Mayard

Par RTBF La Première via

La journaliste Aline Mayard publie la deuxième saison du podcast Free from desire. Dans cette série autobiographique et documentaire, elle raconte le chemin qu’elle a dû parcourir pour admettre qu’elle est asexuelle, aromantique, et que ce n’est pas une maladie.

On prend conscience, avec ce podcast, de l’injonction permanente à la sexualité et au couple dans la société, mais aussi du mal-être des asexuels, longtemps considérés par la psychiatrie comme des personnes souffrant d’une pathologie mentale. Comme si on ne pouvait pas être heureux ou qu’on avait un problème quand on n’a pas de désir ou pas de sentiment amoureux.

On a peu de chiffres sur le nombre d’aromantiques ou d’asexuels dans la société. Une étude américaine évalue à 1% la proportion de la population concernée. Mais c’est plus compliqué que cela, parce que beaucoup d’asexuels s’ignorent ou ne se revendiquent pas comme tels.

Après s’être forcés à être en couple ou à avoir des relations sexuelles pour faire comme tout le monde, ils sont de plus en plus nombreux à assumer qui ils sont.

"Le sexe fait partie de l’âge adulte"

Dès l’adolescence, Aline Mayard a découvert qu’elle était asexuelle. Elle n’était pas intéressée par le flirt ou le sexe. Personne, garçon ou fille, n’éveillait de désir en elle. Il faut préciser qu’elle n’a pas de problèmes hormonaux, ni de traumatisme particulier. Elle considérait que c’était un problème de ne pas avoir de désir.

"Quand on est au collège, on peut avoir son propre rythme. En revanche, dès qu’on atteint l’âge adulte, la majorité, l’asexualité est vue comme étant un problème. On est immature. Le sexe fait partie de l’âge adulte, il faut explorer. Si on n’a pas de rapports sexuels, on est en retard, et on parle de 'vieille fille'."

Aline Mayard a connu ces injonctions : il faut passer à l’acte, même si c’est désagréable, il faut se forcer. L’appétit vient en mangeant, peut-être que si on s’entraîne bien, ça va finir par venir. Elle s’est donc forcée.

Aujourd’hui on parle beaucoup de consentement, et c’est très bien. Mais consentir, ce n’est pas suffisant. On peut consentir à quelque chose dont on n’a pas envie, pour plein de raisons.

Mais en réalité, on ne peut pas avoir de rapports sexuels sans envie. Le corps n’est pas prêt, ni l’esprit. Cela peut avoir de vraies conséquences, créer des traumatismes, des blocages. Le sexe n’est pas une activité comme une autre.

Des réalités différentes

L’asexualité est considérée comme une orientation sexuelle. "Il y a donc autant de variétés de personnes asexuelles – de personnes qui ont des rapports au sexe différents, de personnes qui ont des rapports au couple, au sentiment romantique, de personnes aromantiques, hétéroromantiques ou homoromantiques – que dans les autres orientations sexuelles", explique Aline Mayard.

Personne n’irait penser que tous les hétéros ont la même vie sexuelle ou la même vie de couple ! De même que chez les hétéros, certains asexuels veulent des enfants, d’autres pas, certains les auront par voie physique, d’autres via une PMA ou une adoption.

Quid de la vie de couple ?

Si on ressent des sentiments pour autrui, on peut tout à fait être en relation romantique avec quelqu’un, quand on n’a pas de rapports sexuels. Aline Mayard avait peur d’être asexuelle, parce qu’elle pensait qu’elle ne pourrait jamais être en couple, que personne ne voudrait être en couple avec quelqu’un qui n’a pas de rapports sexuels.

Et c’est ce que nous dit la culture !

"Dans les films, les pubs, on nous dit qu’un couple doit baiser trois fois par semaine, sinon il n’est pas heureux. Et si le couple n’a plus de relations sexuelles, soit ils ne sont plus amoureux et il faut divorcer. Soit il faut aller faire une thérapie de couple, voir un sexologue, etc."

Cette idée est très présente dans la société. Il y a des gens qui n’ont pourtant pas de problème à ne pas avoir de rapports sexuels, que ce soit dès le départ, ou que ce soit, comme énormément de personnes, avec le temps. Qu’on ait ou pas des enfants. Souvent quand on a des enfants, on a moins de relations sexuelles.

Toute relation évolue dans le temps et c’est normal qu’il y ait des couples qui n’ont plus envie, à un moment, d’avoir de rapports sexuels.

Souvent, pour ces couples, il y a une telle pression que, même si la situation leur va, ils finissent par dire : il faudrait peut-être qu’on épice un peu les choses, qu’on aille voir quelqu’un, qu’on change quelque chose. Alors qu’en fait, leur situation leur va très bien. Je pense qu’il y a énormément de couples qui n’ont pas envie de rapports sexuels.

"Ce n’est pas un problème"

Aline Mayard nous apprend, dans son podcast, que l’asexualité a été considérée comme une maladie mentale jusqu’en 2007 ! Ce n’est plus le cas aujourd’hui, grâce à la mobilisation d’une communauté asexuelle.

Il y a un grave manque de connaissance dans le personnel médical et thérapeutique, comme dans la population, explique-t-elle. Depuis le début de la sexologie, on sait pourtant qu’il y a des asexuels. Mais on ne s’y intéressait pas. D’où le fait qu’on s’est laissé convaincre que tout le monde avait des rapports sexuels et que leur absence était forcément un problème.

"Il faut former le personnel et leur dire qu’il n’est pas toujours nécessaire de trouver une solution, puisque ce n’est pas un problème. Bien sûr, il y a des personnes qui ont une baisse de libido ou que cette situation n’arrange pas, ou il y a des cas réels de problèmes hormonaux ou de traumatismes. Mais si pour la personne, ça ne pose pas de problème, il n’y a pas besoin de chercher une solution."

Le romantisme, une création récente

Aline Mayard est aussi aromantique. Pour elle, le romantisme est un produit de la société, voire une création littéraire. Jeune, elle pensait pourtant qu’un jour, elle tomberait amoureuse. Elle a mis très longtemps à comprendre qu’elle était aromantique. Dans notre société, on part du principe que tout le monde va tomber amoureux au moins une fois dans sa vie. C’est l’objectif de vie.

Or, le couple romantique qui s’aime et qui a des rapports sexuels, c’est très récent ! Cela s’est notamment amplifié après la Seconde Guerre Mondiale. Les termes amoureux, romantique avaient un autre sens avant. Amoureux voulait dire aimable. Romantique est né avec le roman La Princesse de Clèves, où on a réalisé que le couple et le sentiment romantique faisaient vendre.

C’est vraiment l’industrie du roman qui a poussé ce schéma dans la société et puis Hollywood et les séries ont embrayé.


A découvrir :

>> Free from desire, la 2e saison du podcast d’Aline Mayard

>> No sex, sur Auvio, une série réalisée par Marion Vaqué-Marti


 

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