On n'est pas des pigeons

Peut-on cacher son cancer à son assureur ? En Belgique, en tout cas, il existe un "droit à l’oubli"

Peut-on cacher son cancer à son assureur ? En Belgique, en tout cas, il existe un "droit à l’oubli"

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Jasmine a été traitée pour un cancer du sein en 2019. Aujourd’hui, elle est en rémission et veut acheter une maison avec un crédit hypothécaire. Dans le questionnaire à remplir pour obtenir une assurance solde restant dû, il y avait une question : "Avez-vous eu un cancer au cours des dix dernières années" ? Elle a répondu honnêtement : "Oui".

Existe-t-il un droit à l'oubli dans le cadre d'une assurance ?
Existe-t-il un droit à l'oubli dans le cadre d'une assurance ? © Getty Images

Et c’est là que les choses se sont compliquées. "J’ai essuyé des refus de plusieurs compagnies. Chaque fois que j’ouvrais un courrier, c’était comme si on m’annonçait que mon cancer avait rechuté. Je l’ai vraiment très mal vécu. Il n’y a plus de signe de la maladie dans mon corps. Je considère que je suis guérie."

Le taux de survie ne cesse d’augmenter

Evidemment, un cancer n’est pas l’autre. Certains sont très agressifs, d’autres beaucoup moins. Et selon la précocité du diagnostic, les chances de survie long terme varient fort d’un cas à l’autre. Avec les progrès dans le diagnostic et les traitements, le taux de survie à long terme augmente sans cesse.

"Pour certains cancers, on constate même une espérance de vie légèrement supérieure à une population normale ", explique le Docteur Vincent Remouchamps, oncologue et radiothérapeute à la clinique du sein du CHU UCL-Namur. " Car les personnes qui traversent cette épreuve, bien souvent, prennent des meilleures habitudes : arrêter de fumer, faire de l’exercice, manger sainement, etc."

Il reste que les oncologues hésitent à utiliser le terme de "guérison". "Spontanément, on a plutôt tendance à parler de risques de rechute très faibles à long terme ", explique V. Remouchamps. " Les risques sont maintenant bien connus par des études portant sur un grand nombre de cas. Dans des situations de bons pronostics, les risques de rechute à long terme sont à peine de 0,2%. Mais il faut être prudent. Même quand un cancer du sein peut-être considéré comme guéri, on ne peut jamais exclure par exemple qu’un cancer similaire se déclare dans l’autre sein. Ce qui justifie une surveillance et une vigilance sur le long terme."

Si l’emprunteur meurt, c’est l’assurance qui paye le solde restant dû

Ces études, les assurances les connaissent bien, comme en atteste un des courriers de refus reçu par Jasmine. "Nous sommes sincèrement au regret de devoir vous informer que votre dossier ne peut malheureusement être accepté. Votre dossier est ajourné jusqu’en juillet 2024 pour le risque aggravé lié au cancer du sein (risque de récidive très élevé les trois premières années post-traitement)". Jointe à la lettre, une étude parue en 2010 dans la revue Breast Cancer Research.

"L’espérance de vie d’une personne qui a eu un cancer ou qui souffre d’une maladie chronique, n’est pas la même que celle d’une personne en parfaite santé ", explique Peter Wiels, porte-parole d’Assuralia.  " Les compagnies se basent sur des vastes études internationales pour estimer le risque de décès pendant la durée du contrat. Car si l’emprunteur meurt avant l’échéance du prêt, c’est l’assurance qui devra rembourser le solde restant dû à la banque."

C’est la double peine

"C’est la double peine ", s’insurge Jasmine. " Non seulement vous avez dû affronter la maladie, mais on vous prive du droit de devenir propriétaire."

En Belgique, le législateur a pourtant voulu rééquilibrer un peu ce rapport de forces défavorable aux patients en prévoyant un "droit à l’oubli". Les assurances ne peuvent pas tenir compte d’un cancer traité huit ans auparavant et sans rechute de la part du patient. Ce délai tombera à cinq ans en 2025. Dans ce cas, le patient n’est tout simplement pas tenu de mentionner la maladie, qui est considérée comme faisant partie du passé.

Un projet d’arrêté royal déposé récemment par le ministre de l’économie, Pierre-Yves Dermagne, sur la table du gouvernement veut ramener ce délai à un an pour toute une série de cancers du sein dépistés tôt et peu invasifs. Il prévoit même de supprimer ce délai pour des tumeurs qui n’ont aucune capacité d’infiltrer les tissus avoisinants (cancers in situ). Selon le KCE (Centre fédéral d’expertise en soins de santé), sur la base plus de 10.000 cas de cancers in situ recensés par le Registre du cancer, "aucune surmortalité n’a été observée jusqu’à 14 ans après la date de diagnostic."

Cette réduction du délai du droit à l’oubli à un an ou zéro concernerait environ une femme sur deux chez qui un cancer du sein est diagnostiqué. Ce serait donc un progrès considérable pour les patientes. Mais l’arrêté royal doit encore être validé par trois autres ministres du gouvernement : Frank Vandenbroucke (Affaires sociales), Vincent Van Quickenborne (Justice) et Alexia Bertrand (Protection des consommateurs).

"J’ai besoin d’aller de l’avant"

Le cancer de Jasmine, malheureusement, ne fait pas partie de ceux visés par le nouvel arrêté royal. Dans son cas, le droit à l’oubli restera fixé à 5 ans. "Je ne veux pas attendre. J’ai besoin d’aller de l’avant ; ça fait partie de ma thérapie."

Elle a fini par trouver une compagnie qui accepte de l’assurer, mais moyennant une surprime très importante : plus de 800% en plus du tarif de base ! L’assurance lui coûtera 1800 euros par an au lieu de 190.

Heureusement, il existe en Belgique une caisse de compensation, alimentée par les assurances elles-mêmes, qui prendra en charge l’essentiel de la surprime. Dans quelques semaines, si tout va bien, Jasmine rentrera dans sa nouvelle maison, avec son mari, son fils et ses belles-filles, pour tenter d’effacer de sa mémoire les images des moments douloureux vécus dans son ancienne habitation. "Là où on m’a annoncé mon cancer, trois jours avant la naissance de mon fils. Là où j’ai pleuré, crié, hurlé. Là où j’ai subi les traitements, là où j’ai perdu mes cheveux… Ma nouvelle maison va m’aider à me reconstruire."

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