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Peut-il y avoir une relation saine entre la psychologie légale et les médias ?

©  BELGA PHOTO HATIM KAGHAT

Par RTBF La Première via

Notre monde hyperconnecté, consommateur d’excitations, surréagit aux images fortes. Le drame passionne, le crime fascine, l’horreur captive. Et nous avons été bien servis ces derniers mois avec des procès médiatiquement très suivis. Il y a beaucoup été question d’expertise psychologique, médicale, mentale. De quoi parle-t-on réellement ? En quoi ces expertises jouent-elles un rôle dans le récit médiatique de ces procès ?

Psychopathes, psychotiques ou sadiques y sont surreprésentés et imprègnent ainsi la représentation collective. Comment définit-on l’expertise mentale ? Comment vulgariser le concept de 'dangerosité', la probabilité du risque de violence ? Comment expliciter les différences entre les pathologies mentales ?

La psychopathologie légale est une partie de la psychologie qui s’intéresse plus particulièrement aux faits infractionnels, sous l’angle d’une approche psychologique, explique Thierry Pham Hoang. Professeur de Psychopathologie Légale à l’UMONS et directeur du Centre de Recherche en Défense Sociale, il est régulièrement appelé comme expert dans le cadre de procès.

Les rapports d’expertise détaillés, qui, en principe, devraient rester confidentiels, arrivent souvent dans les mains des journalistes. Thierry Pham Hoang est souvent surpris que ces informations circulent parmi les médias, sans aucune forme de nuance.

"C’est un travers important sur le champ de l’expertise. Cela contribue au fait que les psychiatres ou psychologues sont finalement assez réticents à l’idée d’interagir avec les médias, parce qu’ils pressentent un certain nombre de dangers, face à la divulgation d’informations censées rester écrites."

La notion de confidentialité en péril

Il y a une réelle publicité de ce type d’information. Les psychologues doivent composer avec le fait que l’on vit dans un contexte sociétal où le transfert d’informations est très puissant, très rapide.

"Je trouve normal que, lorsqu’on fait de la psychologie ou psychiatrie légale, il faille, dans des dossiers lourds, accepter le principe de communiquer et d’échanger. Le problème n’est pas la communication, c’est le cadre dans lequel on le fait et le respect de ce cadre. Je trouve normal d’expliquer un peu les conclusions d’un examen mental. Une autre chose est de divulguer une partie du rapport dans la presse, c’est une transgression qui ne devrait pas être autorisée."

Dans nos sociétés postmodernes, dans cette culture où tout doit se dire rapidement et largement, poursuit Thierry Pham Hoang, nous assistons à un glissement progressif de la notion de confidentialité, de la notion de prise de décision. Il est inquiétant pour les experts de constater qu’étant donné que cela devient une transgression répétée, cela devient une pseudo-norme. D’où leur position défensive, en particulier envers la pression médiatique.

Manque de nuances et manque de connaissances

On entend souvent employer des termes comme psychopathe, sadique, psychotique, un peu à tort et à travers, alors qu’ils ont une signification bien précise et qu’ils sont accompagnés de méthodes d’évaluation qui dépassent de loin les connaissances que l’on en a communément.

"Je ne suis pas sûr que la représentation cinématographique n'a pas une incidence directe ou indirecte sur un certain nombre de décideurs de terrains. A partir du moment où vous avez une représentation de la psychopathie qui est uniquement véhiculée à travers les meurtriers en série du cinéma, ou que vous avez une confusion entre les psychopathes et les psychotiques, nous, on est obligés de déconstruire, d'expliquer, de faire la nuance."

L’exemple de la psychopathie est flagrant, explique Thierry Pham Hoang : les critères opérationnels derrière ce diagnostic de psychopathie ne se résument pas à deux ou trois critères bien connus, mais sont au moins une vingtaine. Or, moins on a de critères en tête, plus on risque de confondre les différents troubles. Il faudrait expliquer au public la différence entre ces termes, pour éviter le risque d’amalgame.

La notion de dangerosité fait partie des notions controversées, parce qu’elles sont à définitions multiples, sont utilisées dans des contextes différents et amalgament toute une série de signifiants qui, parfois, n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres.

"La dangerosité se rapporte le plus souvent à des comportements violents, mais il faut l’évaluer à travers des critères opérationnels plus précis."

Un objectif de clarification

La responsabilité pénale est un concept éminemment important et on sait que les avis des experts psychiatres et psychologues sont largement suivis et servent d’étayage important à la prise de décisions judiciaires.

Peut-on garantir qu’un rapport d’expert psychanalyste est 'efficace' ? La qualité des rapports d’expertise dépend de la structure que l’on y met et surtout des méthodes que l’on emploie, au-delà des courants théoriques, souligne Thierry Pham Hoang. Le rôle des évaluateurs n’est pas de décider, mais de clarifier, d’opérationnaliser les choses.

Mon expérience est que ce rapport n’est pas pris comme une vérité absolue, mais pris comme une approche de clarification d’un phénomène complexe. Je pense que c’est plutôt une aide à la décision qu’une preuve de vérité judiciaire.

Le juge peut ne pas en tenir compte, il peut demander l’avis d’un second expert si l’étayage du rapport du premier ne lui paraît pas suffisant, désigner un collège d’experts pour avoir une vue plus large du dossier.

Comment améliorer la communication entre la psychologie légale et les médias ?

Thierry Pham Hoang relève plusieurs pistes possibles :

Il s’agit de prévoir du temps pour bien expliquer les choses, les phénomènes complexes tels que la récidive, la dangerosité, les différents troubles mentaux,…

Le respect des règles déontologiques pourrait également être amélioré, entre autres le problème de la divulgation des rapports d’expertise.

Les chiffres n’ont pas toujours la même signification lorsqu’on les reprend à l’antenne. Une même unité de valeur exprimée différemment sera ressentie différemment. 8% de récidive, ou 8 personnes qui récidivent sur 100, ou 80 personnes qui récidivent sur 1000, ce n’est pas vécu de la même manière.

"C’est très important dans la manière de rédiger les rapports, et, a fortiori, dans la manière de les communiquer."

Ecoutez la suite de l’entretien ici

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