Economie

Pétrole : un baril relativement bas mais des prix toujours aussi chers, pourquoi ces coûts de pompe ?

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Par Kevin Dero

La crise énergétique et sa flambée historique des prix, on vous en parle tous les jours. Gaz, électricité, inflation tous azimuts et, ça ne vous a pas échappé, augmentation du prix des carburants. Ce jeudi, il s’est encore légèrement élevé. L’essence et le diesel en pâtissent. Le prix est fixé à présent à peu moins d’1,75 euros le litre pour la 95, et vingt centimes de plus pour la 98 octane.

Fuel sentimental

Le mazout de chauffage, lui, a un peu baissé. Mais à près de 1,3 euro par litre, il reste presque (tenez-vous bien) quatre fois plus cher qu’il y a deux ans.

Soit. C’est la crise. Pourtant, on ne cesse de nous annoncer que le prix du baril de pétrole est bien loin, lui, d’atteindre des sommets. Souvenez-vous, en 2008, le prix était arrivé à 153 dollars. Aujourd’hui, il est à 87,25. Plus bas qu’au début du déclenchement de la guerre en Ukraine, en février.

Mais il y a quinze ans, lors de la flambée du prix du baril, à la pompe, les prix étaient restés, eux, plus bas qu’aujourd’hui. Un diesel à 1,5 euro et une essence 95 dix centimes de plus.

On revient de loin…

Pour comparer, il faut aussi comparer ce qui est comparable. Et pour cela, il faut prendre les prix d’avant pandémie. A ce moment, l’essence était à environ 1,5 euro/le litre ; le diesel à 1,6 euro. Et donc il faut nuancer. Le Covid, passant par-là, a fait dégringoler les prix. La crise passée, ils ont remonté, car l’économie s’est emballée.

La demande est soutenue pour une offre constante

Ainsi, comme l’explique Olivier Neirynck, le porte-parole de la BRAFCO, la fédération des négociants en combustibles et carburants : "il faut bien dissocier le prix du baril et celui des produits finis, comme l’essence et le diesel. Le premier réagit à la géopolitique. Les produits pétroliers transformés, eux, réagissent davantage à l’offre et à la demande. Or, en ce moment, depuis la fin de la crise sanitaire, la demande est soutenue pour une offre, elle, constante".

La perception de forte hausse du prix des carburants est donc due à la montée brusque de prix qui avaient fortement baissé.

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Cela étant dit, cette augmentation des prix serait-ce la faute à de l’or noir qui viendrait à manquer ? Ben… pas vraiment… Côté production, l’Opep + a rouvert un peu ses vannes (quoique les pays membres ont décidé début de semaine de rester sur les quotas produits en août) , les USA, eux, livrent du pétrole comme il faut, en puisant même dans leurs stocks.

Comment dès lors expliquer ce phénomène ? Pourquoi faire un plein coûte toujours un bras ?

Tout d’abord la géopolitique

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L’embargo sur le pétrole russe (90% des livraisons) annoncé pour la fin de cette année, ne rassure pas les marchés. Surtout les marchés du Vieux Continent. Pour le moment, on vous rappelle que l’Europe a décidé de se passer du charbon et de 2/3 du gaz russe d’ici la fin de 2022. L’incertitude concernant la guerre en Ukraine et ses suites pèsent évidemment sur les nerfs des financiers.

Fort bien. Mais pour se passer de l’énergie russe, nos pays d’Europe occidentale ont dû se tourner vers d’autres marchés. Arabie Saoudite, Algérie et surtout Etats-Unis. Des contrats ont été conclus, on sera bien approvisionné.

Mais le transport n’arrange cependant pas nos affaires. Il ne vous a pas échappé qu’entre l’Europe et ces pays exportateurs, il y a souvent la grande bleue. Déjà, pour le transporter sur mer, il faut transformer davantage le pétrole que sous sa forme " normale ". Et cela demande des infrastructures. Des infrastructures qui manquent (notamment pour le diesel). Et qui coûtent, donc.

Les prix des tankers de transport ont aussi augmenté, en raison de l’incertitude liée à la guerre en Ukraine (et notamment du coût des assurances, plus élevé). Déplacements dispendieux…

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Cher raffinage

Le pétrole, c’est bien (enfin, bien pour faire rouler des voitures thermiques). Mais sans le raffiner, ça ne sert à rien. Et là, cette opération de transformation primordiale a subi de plein fouet l’inflation. Très énergivores, les raffineries. Fabriquer de l’essence ou du diesel à partir de pétrole brut n’est pas une mince affaire.

La guerre en Ukraine a changé, elle aussi, la donne dans ce domaine-là. Les raffineries étaient déjà moins présentes dans le monde depuis une dizaine d’années (on estime la une diminution à 13% entre 2010 et 2020). Les marges, elles, explosent.

Gestion des stocks

Le déstockage des produits pétroliers est une opération onéreuse. Or, en baissant le prix des carburants, on augmente la demande. Et cette demande fait en sorte que l’on doit davantage déstocker… Autant donc maintenir les prix relativement haut.

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Un dollar qui monte, qui monte…

Sur le marché du pétrole brut, la devise américaine est reine. Les échanges se font en dollars. C’est comme ça. Et la monnaie de l’Oncle Sam est arrivée à la parité (voire même moins) avec l’euro. C’est la première fois depuis vingt ans.

On aimerait bien que l’euro reprenne du poil de la bête

Les Etats-Unis veulent une monnaie forte car leur économie est robuste, et il y a une forte inflation. Cela joue sur les importations européennes. "Notre facture énergétique s’est emballée. C’est ce qu’on appelle l’inflation importée, puisque les prix des matières premières, devenus plus élevés, sont facturés en dollars " expliquait à nos confrères de TV5 Stéphanie Villers, économiste spécialiste de la zone euro.

Toutes les transactions en dollar sont donc plus chères pour la zone euro, et le pétrole est en première ligne. "On aimerait bien que l’euro reprenne du poil de la bête" souhaite ardemment Olivier Neirynck, qui voit en cette parité la principale cause des prix des carburants restant aussi élevés.

Dans le flou

Bref, ces facteurs divers et variés expliquent qu’essence et diesel stagnent toujours à des prix onéreux. Evidemment, les Etats prélèvent aussi taxes et accises sur les carburants avant qu’ils n’arrivent dans nos réservoirs.

Certaines chancelleries, pour amortir la hausse, ont pris des mesures.

Chez nos voisins hexagonaux, il a été décidé par l’Etat de procéder à une importante ristourne -30 centimes, ce qui fait que l’essence y est maintenant moins chère qu’au Luxembourg ( !) -. Mais celle-ci ne sera pas éternelle (elle diminuera en novembre et pourrait s’éteindre fin d’année), et le manque à gagner pour la collectivité sera impressionnant.

En Espagne aussi, réduction des prix à la pompe, mais aussi baisse considérable des coûts dans le secteur ferroviaire et des transports publics. En Allemagne également, les autorités ont lié l’inflation à la pompe et lutte contre le réchauffement climatique.

En Belgique, une baisse d’accise a été actée, de 17,5 centimes d’euro pour l’essence et le diesel. On ne ferait pas davantage pour des raisons de " message écologique " selon nos confrères de l’Echo. Le temps n’est quand même pas à l’incitation à la voiture…

Carburant / Pompes à sec à la frontière

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Vases communicants

Un blocage des prix n’est lui, pas enviable, comme le soulignait le professeur de finances internationales Bertrand Candelon fin juin dernier. Il expliquait la façon dont on pourrait bloquer les prix et les conséquences : "Si on bloque les prix, deux possibilités : soit on dit distributeur 'on vous paye à 1,40 € le prix de l’essence', dans ce cadre-là s’il achète sur les marchés internationaux, si son coût de revient est au-dessus de 1,4€, il va perdre. Donc à un moment, ça ne va pas aller. Ou alors l’Etat va compenser cet écart, mais alors là ça va rentrer dans les finances publiques. Dans les deux cas, bloquer les prix, ça n’a jamais marché. C’est une mauvaise idée. L’État ne peut pas se substituer au marché. Sinon, le déficit public va se retrouver dans nos impôts. Il y a des vases communicants, on ne peut pas décider d’un jour à l’autre d’imposer les prix ". Et de citer l’URSS des années 80, où le blocage des prix n’avait pas du tout… pris.

Et ensuite ?

Evidemment, à la question de savoir comment les prix vont évoluer, on ne va pas jouer avec le feu. " Le marché est tellement volatil… Il faut avoir le cœur bien accroché et aimer les montagnes russes pour s’y retrouver ", avoue Olivier Neirynck. Le spécialiste qui n’hésite pas à relativiser un brin la gravité de la situation : "le secteur des produits pétroliers est encore assez bien loti. Comparé à celui de l’électricité et du gaz (comme par exemple la situation périlleuse dans laquelle se trouvent les personnes ayant opté pour le LNG, ndlr), cela est moins gravissime".

Le marché est tellement volatil

Une évolution des cours qui inquiète mais qui doit être nuancée donc, et qui pourrait donc réserver encore bien des surprises. Une prudence de Sioux est donc toujours de rigueur concernant l'or noir.

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