Perles d'été

Perles d’eau : à la recherche de la source de la Meuse en France

Perles d'eau : A la source de la Meuse dans les Vosges

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Par Arnaud Pilet avec Maurizio Sadutto

Perles d'eau : balade sur la Meuse française

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Les Belges connaissent plutôt bien la Meuse. Elle traverse de grandes villes chez nous et elle parcourt de grands espaces entre nos frontières avant de se jeter dans la Mer du Nord. Ce que l’on connaît moins ici par contre, c’est sa source, en France, dans le département de Haute-Marne et son cours jusqu’à la frontière franco-belge à Givet.

C’est un simple plateau. Des vaches, des prairies et c’est à peu près tout. Un lieu banal d’où se détache un petit monument duquel coule un mince filet d’eau. C’est insignifiant et pourtant, c’est la Meuse : "Ce qui compte, c’est davantage le chemin. Le fait de comprendre que d’ici démarre un parcours de 950 kilomètres jusqu’à l’embouchure à Rotterdam. La Meuse est d’ailleurs davantage vénérée par les Hollandais et les Belges que par les gens d’ici. C’est un Belge, l’Abbé Justin Evrard, qui a remonté le fleuve jusqu’ici en 1967 pour définitivement fixer l’endroit exact après des années de débats car beaucoup de communes de la région se disputaient le prestige d’abriter la source", s’étonne Michel Thénard, ancien journaliste et passionné du fleuve. D’ailleurs les seuls visiteurs sont des cyclistes des Pays-Bas. Quelques voitures aux plaques noires et jaunes, qui ont fait les quelques dizaines de kilomètres en sortant de l’autoroute, s’arrêtent aussi régulièrement.

La source de la Meuse à Pouilly-en-Bassigny, un petit filet d’eau moribond.
La source de la Meuse à Pouilly-en-Bassigny, un petit filet d’eau moribond. © Tous droits réservés

Le Château d'eau de la France

Mais la banalité du paysage s’arrête là. Parce que les lieux ne sont pas anodins. La source de la Meuse se situe à Puilly-en-Bassigny sur le plateau de Langres. Sur cette aire géologique, cinq cours d’eau majeurs prennent leur source sur une surface finalement très réduite, dont quatre des dix plus grands du pays : "La Marne, la Seine, l’Aube, la Saône et la Meuse donc démarrent toutes d’ici ! Le plateau c’est un peu le château d’eau de la France, n’en déplaise aux Auvergnats, et même de l’Europe vu que la Meuse va ensuite vers chez vous puis aux Pays-Bas !"

Simple ruisseau, la Meuse est loin de l’image de la source jaillissante mais, au fil des kilomètres, elle grandit rapidement et passe par le village de Meuse, ça ne s’invente pas, et coule, jamais torrentielle, dans la vallée et vers l’Histoire.

La Meuse à Sorcy-Saint-Martin : pas plus grande que la Lesse ou la haute Ourthe après plusieurs dizaines de kilomètres.
La Meuse à Sorcy-Saint-Martin : pas plus grande que la Lesse ou la haute Ourthe après plusieurs dizaines de kilomètres. © Tous droits réservés

Jeanne d'Arc, la pucelle de Meuse

Elle est déjà plus large mais peu profonde, sinueuse et contournant les pierrées en été quand elle passe par Donrémy-la-Pucelle, autrefois Donrémy tout court. Son nom s’est allongé en hommage à Jeanne D’Arc, la pucelle d’Orléans qui n’est donc pas d’Orléans ! Elle est née en bord de Meuse, dans une maison minuscule selon nos standards mais pas en 1412 lorsqu’elle voit le jour : "C’était une fille de laboureur, des paysans aisés, donc cela signifie que si elle pouvait participer aux travaux des champs ou garder des moutons comme on la représente souvent, c’est plutôt une image d’Epinal, explique Thierry Dechezleprêtre, conservateur en chef du patrimoine pour le conseil départemental des Vosges.

A quelques kilomètres, au sommet d’une côte, une basilique, celle du Bois-Chenu s’érige brusquement dans la campagne et domine toute la vallée. Elle marque le lieu où Jeanne d’Arc, 13 ans, entendra l’appel des saintes Catherine, Marguerite et de l’archange saint Michel. Un appel à sauver la France sous les jougs des Anglais et des Bourguignons : "Il y avait un arbre gigantesque, l’arbre aux fées, mais aussi une fontaine, souvent lié à des légendes au Moyen-âge. On sait que Jeanne participait probablement à des fêtes ici où les jeunes se rassemblaient et c’est pour cela qu’on a souvent considéré qu’elle a pu y entendre ces voix célestes". Elle se sent investie d’une mission qui la conduira d’abord à Vaucouleurs à quelques kilomètres de Domrémy, puis à Chinon pour aller rencontrer le Dauphin Charles, futur Charles VII. Le reste appartient à l’Histoire et Jeanne la pucelle changera le cours de la guerre de Cent Ans.

La maison natale de Jeanne d’Arc : à peine 4 pièces pour cette fille de laboureur qui changera le cours de l’Histoire.
La maison natale de Jeanne d’Arc : à peine 4 pièces pour cette fille de laboureur qui changera le cours de l’Histoire. © Tous droits réservés

La madeleine de Commercy et non de Proust

Après Donrémy-la-Pucelle, la Meuse s’élargit encore même si son faible débit permet souvent à d’innombrables nénuphars de combler sa surface. Elle va devenir navigable aussi à partir de Troussay mais indirectement. Un canal longe son cours naturel, évite les innombrables méandres et ses écluses permettent de garantir une certaine profondeur. La Meuse arrive alors à Commercy où s’est construite une autre légende, plus gastronomique. Celle de la madeleine, née au château qui sert aujourd’hui de mairie. Mais si les producteurs se comptaient par dizaines autrefois, un seul artisan continue de perpétuer la tradition : "La madeleine vient de Stanislas Leszczyński (beau-père de Louis XV, ancien roi de Pologne, duc de Lorraine), explique Stéphane Zins, en enfournant les plaques métalliques. En 1755, il a organisé une fête mais n’avait plus de pâtissier. Alors une servante s’est dévouée et le chef des lieux a tellement apprécié qu’il en a demandé le nom du gâteau. Mais comme il n’en avait pas, il lui a donné le nom de la servante elle-même : Madeleine".

Dans ce dernier temple du petit gâteau que trempait Proust dans son thé dans le roman "Du côté de chez Swan", ce ne sont pas moins de 10.000 petites madeleines qui sont vendues aux touristes et aux locaux chaque jour ! Des madeleines beaucoup plus petites qu’à l’époque où elles étaient cuites dans des coquilles Saint-Jacques, d’où cette forme de coquillage.

Il faut laisser la pâte reposer longtemps pour obtenir cette belle bosse caractéristique à la cuisson.
La Meuse en aval de Commercy.

Verdun : la petite Venise de Meuse

Au fil de l’eau et des écluses, la Meuse naturelle et le canal de l’Est se télescopent, se séparent à plusieurs reprises, comme un vieux couple torturé. Au loin, port de plaisance prisé, se profile Verdun rarement perçue comme une cité d’eau de premier choix. Toujours regardée à travers le prisme de la première guerre mondiale, son champ de bataille meurtrier, Verdun n’en demeure pas moins une ville médiévale intimement liée aux flots bleu clair qui l’arrosent : "C’est vrai qu’elle a connu son apogée au 11e et 12e siècles quand elle était déjà parcourue par de très nombreux canaux et ponctuée de moulins qui ont participé à l’essor de la ville. Il y a toujours un petit morceau de Meuse où que vous soyez dans la ville", se réjouit Clément Thiérion, guide de la ville.

L’eau fend la cité de toute part. Elle a joué un rôle dans son commerce et sa protection pendant toute l’ère médiévale. Et les traces de ce glorieux passé se dénichent comme dans un marché aux puces : "Avec les bombardements, principalement en 1916, on estime que 60% de Verdun a été détruit. Et une autre partie a été démontée pour la reconstruction après la guerre". Mais la vieille enceinte semble préservée sur certains tronçons. Et puis, il y a le pont écluse de Saint-Amand, l’un des derniers au monde toujours en état de fonctionnement. Un ouvrage défensif imaginé par Vauban à la fin du 17e siècle : "Il y en avait trois et lorsqu’ils étaient refermés, ils permettaient d’inonder toute une partie de la plaine en amont pour empêcher l’ennemi d’attaquer".

Le Canal de Puty : toujours liée à la bataille de la première guerre mondiale, Verdun regorge de trésors médiévaux et de canaux.
Le pont écluse de Saint-Amand à Verdun imaginé par Vauvan au 17e siècle.
Le port de plaisance en plein centre de Verdun.

Quand la Meuse quitte Verdun et ses secrets médiévaux, elle progresse vers des villes de moindre importance comme Dun-sur-Meuse, Mouzon. A Stenay, la région tance sa voisine belge, de plus en plus proche, grâce à un musée de la bière, l’un des plus grands d’Europe avec ses 70.000 pièces. Il est logé dans l’ancien magasin aux blés du 17e siècle de la citadelle, transformé en malterie deux siècles plus tard. La France s’enorgueillit d’un passé brassicole aussi glorieux que celui de la Belgique. Jusqu’au début du 20e siècle, l’offre de bière du nord de la France n’était pas si différente : "Le Nord et l’Est notamment regorgeaient de brasseries, jusqu’à 3.000, démontre Quentin Gérard, le guide, sur une carte de 1910. Rien qu’autour de Stenay, il y avait une quarantaine de brasseries traditionnelles qui se passaient de père en fils. Principalement des productions très locales de bières à haute fermentation, technique héritée du 19e siècle".

Des milliers et des milliers d’hectolitres de boisson houblonnée qui vont disparaître sous l’impact de mouvements de femmes d’anciens soldats suite à la première guerre mondiale puis "après la seconde guerre, à cause d’un autre breuvage : les sodas comme Coca qui vont remplacer la traditionnelle bière dans le palais des gens, sans doute lassés par des années, des décennies à boire toujours ces mêmes bières. C’est aussi une évolution du goût des gens". Aujourd’hui, dans le Nord et partout en France, le phénomène des microbrasseries redonne un peu à la région l’élan malté d’antan.

Une ancienne salle de brassage a été intégralement reconstruite.
Des milliers de brasseries existaient à proximité directe de la Belgique jusqu’au 20e siècle.
Un bras de la Meuse alimente un moulin à Stenay.

La Meuse continue son périple vers la Belgique en passant par d’autres arrêts tout aussi tentants : Sedan et son immense forteresse, Charleville-Mézières puis s’enfonce dans les Ardennes, toujours plus profonde et large. Nul besoin de canal ici, elle ressemble désormais à celle que nous connaissons jusqu’à Givet où la vallée, traversant la frontière invisible, change de dénomination, passe de meusienne à mosane. Une Meuse capable d’accueillir des bateaux toujours plus grands, bien loin du minuscule filet d’eau qui sort d’une prairie à 450 kilomètres de là.

La Meuse canalisée un peu avant Mouzon.
La Meuse à Monthermé se rapproche de la Belgique.
La Meuse à Givet.
La Meuse à Mouzon.

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