Décrypte

Pause des normes environnementales européennes : le Premier ministre fait-il cavalier seul ?

Le Premier ministre belge Alexander de Croo lors d’une conférence de presse à l’Hôtel de Matignon à Paris le 5 mai 2023.

© ELIOT BLONDET

La déclaration d’Alexander De Croo (Open-Vld) sur son souhait de mettre entre parenthèses la "loi européenne sur la restauration de la nature" continue de faire des remous. Ce projet de texte adopté par la Commission européenne en juin 2022 vise à restaurer les écosystèmes, les habitats et les espèces sur au moins 20% de la superficie terrestre et maritime de l’Union européenne (UE) d’ici 2030.

Invité sur La Première ce 25 mai, le député fédéral Jean-Marc Nollet et coprésident d’Ecolo regrette la position du Premier ministre qu’il juge isolée : "Les enjeux de biodiversité, les enjeux climatiques sont au cœur des préoccupations de ce gouvernement. On a là une déclaration un peu lunaire et en décalage total et je ne désespère pas que le Premier ministre revienne dessus".

Pour rappel, monsieur De Croo a indiqué, mardi soir dans l’émission Terzake de la VRT, ne pas vouloir "surcharger" la législation en renforçant les normes en matière d’azote, de restauration de la nature et de biodiversité, en plus des objectifs concernant les émissions de CO2. "À un moment, il faut faire un choix. Est-ce bien le moment de tout faire en même temps ?", s’est-il alors demandé.

Sauf que pour le député fédéral Ecolo, tout comme pour sa consœur, la ministre fédérale du Climat, Zakhia Khattabi (Ecolo), cette prise de position va à l’encontre de celle du gouvernement fédéral.

Cette position est notamment discutée actuellement au sein de la Direction générale Coordination et Affaires européennes (DGE), l’administration fédérale qui représente la Belgique auprès de l’UE dans les discussions autour du projet de la loi de restauration de la nature. C’est durant les réunions de la DGE que la Belgique, comme les autres États membres, fait part de leurs observations, réticences ou concours aux projets d’articles.

"Vous ne trouverez jamais le mot 'pause' dans ces procès-verbaux" des réunions de la DGE a déclaré ce 25 mai sur La Première, Jean-Marc Nollet. Une affirmation contraire à ce que défend le Premier ministre, selon lequel, "les gouvernements ensemble ont décidé que la Belgique demandera des modifications significatives par rapport à cette loi de restauration de la nature".

Le gouvernement belge avait-il déjà émis la volonté de se mettre à distance de cette loi ? L’équipe Décrypte a pu obtenir les procès-verbaux des réunions de la GDE ad hoc sur le règlement sur la restauration de la nature qui ont eu lieu entre le 27 mars et le 24 mai 2023.

"Jamais eu le mot pause"

Il y a eu cinq réunions de la DGE ad hoc sur ce règlement sur la restauration de la nature : le 27 mars, 19 avril et 24 avril, le 15 mai et le 24 mai 2023.

Premier constat : il est exact que le mot "pause" n’apparaît dans aucun des procès-verbaux des réunions de la DGE que Décrypte a pu se procurer. Une source ministérielle nous a confirmé cela : "jamais eu le mot pause en effet".

Plus largement, la Belgique a ouvertement apporté son soutien au projet de règlement européen, et ce, quelques heures avant la déclaration du Premier ministre et à la veille de la dernière réunion du DGE.

À la Chambre, Zakhia Khattabi a ainsi déclaré ce mardi : "Demain, le 24 mai, une autre réunion du DGE est prévue pour préciser la position belge afin de parvenir à une position belge équilibrée et acceptable par toutes les entités avant le Conseil "Environnement" de juin". Ce Conseil "Environnement", prévu le 20 juin, sera l’occasion de mettre à plat toutes les propositions des États membres sur ce texte. La ministre fédérale du Climat a formellement dit lors de son intervention à la Chambre : "Ma position est claire. La restauration de la nature garantit la résilience de notre agriculture et de nos villes vivables et contribue à la santé de nos citoyens."

Ce soutien au règlement pour la préservation de la restauration de la nature par la Belgique est constant depuis l’adoption de la proposition par la Commission européenne le 22 juin 2022.

Ainsi, le 20 décembre 2022 lors du Conseil "Environnement" du Conseil de l’UE, le ministre du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé de la Transition climatique, Alain Maron (Écolo), qui a présenté la position officielle de la Belgique, avait salué cette proposition de règlement qui "répond aux préoccupations adoptées par ce Conseil appelant à la mise en place d’un outil législatif contraignant pour atteindre les objectifs de restauration de la nature". Il a assuré que "la Belgique soutient le niveau d’ambition global visé par la proposition de règlement, […] il s’agit d’une première étape dans la bonne direction, […] [elle] est complète et aborde de nombreux domaines, raisons pour laquelle nous étudions encore toutes les implications". Il a également partagé plusieurs points d’attention, tels que le fait d' "affiner les choix méthodologiques et les échéances" ou de "rendre disponibles et suffisants les moyens financiers".

Deux jours plus tard, lors d’une réunion préparatoire le décembre 2022, la Belgique a "largement approuvé" cette proposition. Notre pays a affirmé son souhait de "coopérer de manière constructive avec la future présidence suédoise", lit-on dans le procès-verbal de cette réunion que Décrypte a pu se procurer.

Des réserves sur l’application de certaines dispositions de cette loi

Dans la phase actuelle de discussion autour de la proposition de règlement de la loi sur la restauration de la biodiversité, la Belgique a toutefois formulé des réserves. C’est d’ailleurs tout l’objectif de ces réunions DGE comme l’a rappelé Zakhia Khattabi lors de son intervention à la Chambre le 23 mai 2023 : "Bien sûr, les réunions du DGE suscitent des questions et des préoccupations de la part des participants".

C’est notamment le cas en ce qui concerne les articles 3 qui portent sur les définitions, 4 et 5 sur la restauration des écosystèmes terrestres, côtiers, d’eau douce, et marins, et 8 sur l’obligation d’inverser le déclin des pollinisateurs, qui font l’objet de débats au sein des parlementaires belges comme le montrent les procès-verbaux de la DGE que Décrypte a pu consulter.

Réticences de la Flandre ?

Selon différentes sources ou informations recueillies par Décrypte, il apparaît que ces réserves émanent surtout du côté flamand.

Une source ministérielle dément l’affirmation du Premier ministre selon laquelle "les gouvernements ensemble ont décidé que la Belgique demandera des modifications significatives par rapport à cette loi de restauration de la nature". Selon cette source, c’est seulement "la Région flamande qui tente d’éroder la loi sur la restauration de la nature".

Cette même source indique que durant la dernière réunion de la DGE du 24 mai, "la Région flamande a maintenu le fait qu’ils ne pourront pas soutenir la proposition du règlement en l’état".

Selon des documents de travail interne que Décrypte a pu se procurer, la Flandre proposerait notamment de limiter le champ d’application du règlement aux seuls sites Natura 2000 pour les régions européennes à forte densité comme la région flamande.

Une position à rebours de celle du fédéral, et notamment de la ministre Zakia Khattabi lors de son allocution à la chambre le 23 mai dernier : "Il est donc de la plus haute importance de développer un cadre ambitieux avec la loi européenne sur la restauration de la nature, avec des critères pour la restauration et la protection de la nature européenne, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des sites Natura 2000", avait-elle alors déclaré. Elle s’aligne ainsi avec la proposition européenne qui veut que le champ d’application de la loi dépasse le réseau de ces sites naturels ou semi-naturels de l’UE qui possèdent une valeur patrimoniale en raison de leur faune ou de leur flore.

Ces réticences de la part de la Flandre ont été communiquées publiquement, notamment dans la presse régionale. On lit ainsi dans un article du Standaard du 23 avril 2023 qu' "au niveau flamand, le CD&V avait déjà déclaré que la loi dans sa forme actuelle était 'inacceptable'".

La ministre flamande de l’environnement, Zuhal Demir (N-VA), a ainsi répété la nécessité d’apporter des ajustements à la loi de restauration de la nature craignant des pertes économiques pour les entreprises flamandes : "dans les propositions actuelles, non seulement les engagements existants doivent être approfondis, mais la position concurrentielle des entreprises basées en Flandre et dans d’autres petits États membres densément peuplés risque également d’être affectée de manière disproportionnée."

Toujours selon notre source ministérielle, en affirmant cette volonté de mettre "en pause" les discussions concernant le règlement de restauration de la nature, le Premier ministre préparerair déjà les élections de l’an prochain. Selon nos informations, ce jeudi après-midi, lors de la séance plénière à la Chambre, plusieurs députés de la majorité et de l’opposition lui auraient même reproché d’être en campagne.

Le projet de texte fait débat au-delà des frontières belges

D’autres États européens ont montré des réticences à l’instar des pays scandinaves qui s’inquiètent notamment de l’impact de cette loi sur le secteur forestier. D’autres États membres jugent aussi que le texte va trop loin.

Le 11 mai dernier, Emmanuel Macron appelé, plus largement, à "une pause réglementaire européenne" en matière de normes environnementales. Selon le président français, l’UE aurait fait "plus que tous les voisins" et qu’elle avait désormais "besoin de stabilité".

La Belgique n’est donc pas la seule à avoir formulé de réserves. Et pour l’heure, rien n’est donc gravé dans le marbre concernant les plans du gouvernement fédéral. Mais pour harmoniser au mieux les différentes mesures à prendre, le Premier ministre a annoncé ce jeudi qu’il va "poursuivre en écoutant les autres, en interpellant les autres pays pour voir comment ils vont organiser cela. Cela se fera aussi grâce notamment au contact avec les industries".

Prochaine étape : la tenue d’une réunion du Conseil "Environnement" au Conseil de l’UE prévue le 20 juin prochain. L’ensemble des États membres devrait se réunir pour mettre en commun leurs demandes respectives en vue d’une nouvelle version du texte.

Sur le même sujet : Eco Matin ce 26 mai 2023

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