G.Lauwerijs : - Et notre invité ce matin, c'est Paul Magnette.
Bertrand Henne, nous recevons le Ministre des Entreprises Publiques.
BH : - Bonjour, Paul Magnette.
PM : - Bonjour.
BH : - Peut-être d'abord une réaction à cette Chronique ; je vous lis dans "La Libre" ce matin, vous êtes aussi très dur sur la Commission Européenne, vous dites, la Commission Européenne prépare 15 ans de récession pour l'Europe ?
PM : - C'est ce que je crains très sincèrement et nous sommes dans une attitude qui effectivement est une attitude difficile, Anne Blanpain l'a, je trouve, très bien décrite. D'un côté, on a souscrit nous-mêmes des engagements, on a dit nous-mêmes, oui, on va faire moins de 3% de déficit, on a accepté de renforcer encore les pouvoirs de la Commission, donc on doit respecter nos engagements. Mais d'un autre côté, ça ne doit pas nous empêcher de continuer à tenir un discours critique à l'égard de la Commission. La Commission d'aujourd'hui est une Commission de droite qui a une vision ultralibérale, je le vois dans la libéralisation du secteur public mais je le vois et on le voit aussi dans la discipline budgétaire qui, je pense, est beaucoup trop intrusive, elle n'a pas encore aujourd'hui la légitimité démocratique pour décider à la place des Gouvernements et donc elle doit, dans l'exercice de ses pouvoirs qu'on respecte, faire preuve quand même d'une certaine humilité, d'une certaine retenue et laisser aux Etats, le choix au moins des moyens pour atteindre cet objectif.
BH : - Oui, en l'occurrence, cette Commission, elle reflète quand même aussi la réalité politique du Parlement Européen, une série de décisions qui émanent directement des Etats, soit via le Conseil Européen, etc. Donc est-ce que c'est aussi simple que ça, c'est la Commission là vraiment qui est le problème aujourd'hui?
PM : - Vous avez raison, c'est un équilibre politique général mais qui aujourd'hui est en train de faire l'analyse de nos budgets et de nous donner des bons points ou des mauvais points, d'ailleurs, un mauvais point, il y a quelques jours, un bon point, hier, pour ce qui est de la Belgique, c'est la Commission Européenne qui choisit la tonalité, qui choisit d'aller très fortement dans le détail ou pas, c'est la Commission Européenne. Donc c'est normal qu'elle soit dans le collimateur et elle l'est d'ailleurs non seulement face aux Etats mais elle l'est aussi au Parlement Européen. Quand vous suivez les débats, c'est toujours très dommage qu'on ne suive pas beaucoup les débats au Parlement Européen, mais ils sont très houleux pour le moment.
BH : - Est-ce que vous êtes en train de devenir alors, si pas eurosceptique, est-ce que vous êtes en train de douter de la méthode communautaire, douter du pouvoir de la Commission ?
PM : - Je ne suis certainement pas eurosceptique, je suis, mes amis riaient de moi, il y a vingt ans, quand j'avais vingt ans, début des années 90 et que je m'intéressais à l'Europe et au Traité de Maastricht, j'étais un des rares qui trouvait ça passionnant et qui disait que un jour, tout ça va avoir une importance extrême pour les choix politiques qu'on va faire. Et donc je reste très, très profondément attaché à l'Europe, j'y ai consacré quinze ans de ma vie. Mais je pense que le tour que l'Union Européenne est en train de prendre, et la Commission Européenne est en train de prendre, est vraiment une mauvaise orientation. Ca me fait penser à ce que le FMI et la Banque Mondiale ont fait dans les années 90, ces fameux plans d'ajustement structurels, qu'on a imposés à des pays d'Amérique Latine, à des pays d'Afrique, qui les ont plongé dans la récession, une récession qui a duré 15 ans. Aujourd'hui les plus grands économistes disent ça ; les Paul Krugman, les Stiglitz, les Prix Nobel, disent, la Commission se trompe, elle est en train de préparer 15 ans de récession, il faut absolument qu'elle ouvre les yeux, qu'elle s'enlève ses oeillères néo-libérales et qu'elle ait une vision beaucoup plus pragmatique de l'économie européenne.
BH : - Oui, au Nord du pays, la sensibilité n'est pas du tout la même ; beaucoup de gens sont surpris de voter discours sur la Commission Européenne, que ce soit ce matin, soit déjà, il y a quelques semaines, soit quand vous avez parlé des recommandations de la Commission Européenne, ont dit que vous prenez ça avec trop de légèreté, les Socialistes francophones, vous ne vous rendez pas compte qu'il faut appliquer ces recommandations et qu'il faut faire ce que dit la Commission sinon on risque, nous, la récession et on risque d'aller beaucoup plus loin après dans l'austérité ?
PM : - Oui, au Nord du pays, je pense d'abord, il y a dans la culture politique flamande, il y a un espèce de respect plus spontané pour les grandes institutions non politiques, que ce soit la Commission mais c'est la même chose pour l'OCDE, pour le Conseil d'Etat, etc, ce sont des espèces de références un peu sacrées, comme ça, face à la culture politique flamande. Pour le reste, il y a beaucoup d'hommes et de femmes politiques flamands qui se cachent derrière la Commission Européenne, qui ont envie de faire passer des réformes de droite, qui n'osent pas tout à fait l'assumer, qui disent, donc, c'est la Commission qui l'exige. Et moi, j'ai tenu un discours critique en disant, non, la Commission, nous ne sommes pas obligés par exemple de remettre en cause l'indexation des salaires parce que la Commission l'exige. C'est vrai que nous avons des engagements, nous les tenons, mais nous devons aussi tenir tête à la Commission Européenne, comme Anne Blanpain l'a très bien expliqué, les grands Etats, eux, tiennent tête à la Commission Européenne. La Belgique n'est pas un petit pays, c'est un pays moyen, c'est un pays qui pèse au sein de l'Union Européenne et nous devons aussi avoir ce discours critique, sinon, nous allons laisser vraiment l'Europe déraper dans un sens ultra libéral et vous allez voir que nous allons préparer le divorce entre l'Europe et l'opinion publique. Donc moi, quand je suis critique de l'Europe, je pense que je rends service aussi aux projets européens.
BH : - Alors sur le fond de la critique européenne, du budget même, la Cour des Comptes n'a pas tout à fait la même critique mais a fait des critiques qui vont dans le même sens, beaucoup d'observateurs disaient aussi que le budget était basé en partie sur des hypothèses irréalistes notamment cette croissance de 0,8%, on sait maintenant que ce sera quasi zéro, Steven Vanhackere a commencé la semaine en le disant, 0,1%. Est-ce que ça veut dire qu'il va falloir prendre des mesures très rapidement ? Est-ce que ces mesures, ça ne va pas être essentiellement des dépenses ? On a vu que vous avez déjà gelé pour plus de 1 milliard de dépenses. Est-ce que le provisoire va devenir du définitif ?
PM : - Non, ce qu'on a gelé, c'est une mesure purement technique, franchement, je vous le dis comme je pense, c'est une mesure un peu absurde, mais bon, c'est parce que la Commission nous a dit, ou bien, vous faites 1 milliard 2 à 2 milliards d'ici lundi, ce qui est quand même énorme, comme demande, ou bien au minimum, vous gelez des dépenses. On dit, bon, vous voulez qu'on gèle des dépenses, on va le faire, ça n'a aucun sens, ça ne veut rien dire, c'est une mesure purement,
BH : - C'est du façadisme ?
PM : - C'est du façadisme, mais enfin si ça vous fait plaisir, on va le faire, ça a permis à la Commission de nous dire ensuite, très bien, avec ça, vous avez un bon bulletin. Maintenant, on sait, quand on a pris 0,8%, on ne l'a pas fait en se mouillant le doigt et en le mettant dans le vent pour savoir quel était le sens du vent. On l'a fait sur base des estimations de la Banque Nationale et du Conseil Supérieur des Finances.
BH : - On sentait déjà à l'époque que c'était fort optimiste.
PM : - Voilà.Maintenant, on sait que si les perspectives de croissance sont revues à la baisse, qu'il faudra faire un effort supplémentaire, on l'a dit, il y aura un ajustement budgétaire fin février début mars.
BH : - Oui et pas essentiellement sur les dépenses ?
PM : - On a toujours fait en Belgique, 3 tiers, 1 tiers de dépenses, 1 tiers de recettes, 1 tiers d'autres mesures, je pense qu'il faut rester dans cette logique, elle est équilibrée.
BH : - Alors après les salaires des Ministres, on a vu qu'il y avait des polémiques, bientôt les salaires des Parlementaires vont être revus un petit peu à la baisse et Paul Magnette, vous voulez aussi réduire les salaires des patrons des grandes entreprises publiques, Belgacom, Be-Post, Dexia. Ils gagnent trop, ces patrons-là ?
PM : - Oui, ils gagnent trop et ils gagnent selon des formules salariales, qui, je pense, ne sont pas saines, il y a une partie de leur salaire qui est fixe, il y a une partie de leur salaire qui est variable, sous forme de bonus et de stock options. Ca relève d'une époque où rien n'était trop beau, dans les entreprises publiques, on libéralisait et la mode de ce qui se faisait dans le privé, devait partout se répandre dans les entreprises publiques. On voulait des patrons qui soient à hauteur du Bel 20, à hauteur des grands patrons internationaux, on voulait donc des bonus et des stock options fabuleux. Et on arrive aujourd'hui à des situations où on a des patrons d'entreprises publiques, vous savez, un capital public qui font des missions de service public, qui gagnent 10, 12 fois ce que gagne le Premier ministre, 60 à 80 fois ce que gagnent leurs propres employés, ça n'est plus décent; ça n'est plus compréhensible non seulement parce qu'on est en période de crise mais même indépendamment de la crise, ça n'est plus, ça n'est plus l'époque. L'époque doit redevenir une époque de bon sens et de gestion raisonnable.
BH : - Ce que vous dites, c'est vrai pour tous les patrons d'entreprises publiques, c'est votre constat ou c'est certains patrons ? Didier Bellens, Belgacom par exemple, plus que d'autres ?
PM : - Je ne vise personne en particulier ; l'écart est de 1 à 5, entre eux-mêmes, mais même ceux qui gagnent le moins, gagnent,
BH : - C'est toutes les rémunérations des grands patrons qu'il faut revoir ?
PM : - Oui, je pense qu'il faut des principes généraux, il faut dire, la partie variable de la rémunération doit être plus basse que ce qu'elle est aujourd'hui, elle doit être liée à des résultats à long terme, pas à, tiens, j'ai amélioré les performances de mon entreprise ce trimestre, hop, je me prends un bonus au passage. Non, ça, ce n'est pas sain pour l'économie et ce n'est pas sain pour ces grandes entreprises et pour le service au public.
BH : - L'accord de Gouvernement disait déjà qu'il fallait que l'écart entre les salaires les plus élevés et les plus bas dans les grandes entreprises publiques, devait être raisonnable, ça, c'est le mot qui est dans l'accord du Gouvernement, ça veut dire quoi exactement ? Quel rapport ? Est-ce que vous avez votre idée de ce que doit être l'écart entre les plus bas et les hauts salaires dans les entreprises publiques ?
PM : - Je ne vais pas donner un chiffre aujourd'hui ; c'est bien pour ça que la déclaration de Gouvernement a pris un mot qui est un mot qui laisse place à une certaine interprétation raisonnable. Je constate que dans les PME, dans les entreprises moyennes en général, l'écart, c'est de 1 à 5 ou de 1 à 10 et c'est bien accepté au sein de l'entreprise parce que, beaucoup comprennent que le patron, après des années d'expérience, en prenant des risques, etc, a une rémunération supérieure à ses employés. Mais de 1 à 60 ou de 1 à 80, ça n'a plus de sens. Et comment voulez-vous demander à un postier, comment voulez-vous demander à un cheminot ou à agent des Télécoms de faire des efforts de productivité, de travailler plus, de travailler plus longtemps, quand ils gagnent 1.500 Euros et que son patron gagne plus de 1 million d'Euros par an, ça n'est pas décent.
BH : - Quand est-ce qu'on peut attendre des mesures là-dessus pour aller au-delà des effets d'annonce ?
PM : - J'ai immédiatement commandé à la fois une analyse juridique parce qu'il faut voir comment juridiquement on peut le faire, une comparaison avec les pays voisins. Dès que j'ai toutes ces données, je ferai avec mes collègues puisque c'est Steven Vanhackere pour Dexia, qui est concerné, Melchior Wathelet pour BelgoContrôle, je ferai une proposition globale d'encadrement de l'ensemble des salaires des fonctions dirigeantes dans les entreprises publiques dans les mois qui viennent.
BH : - Une dernière question qui concerne Maggie De Block, nouvelle Secrétaire d'Etat à l'Asile, elle juge que 90% des demandeurs d'asile n'ont pas de raison
de venir en Belgique ; vous êtes d'accord avec ça ?
PM : - Je regrette la sortie de Maggie De Block, je la regrette d'autant plus que c'est une femme extrêmement raisonnable et extrêmement modérée en général,
ce n'est pas,
BH : - C'est une bourde ?
PM : - Je crois que c'est une bourde parce que tout simplement, ce n'est pas le Ministre qui décide qui a le droit ou pas le droit de venir, il y a des procédures de reconnaissance de l'asile et c'est aux fonctionnaires qui exécutent ces procédures, de dire, si un tel ou un tel a le droit ou pas, à jouir de l'asile en Belgique.
BH : - Merci, Paul Magnette, on vous retrouve, ça sera tout à l'heure à 8:35 heures pour Questions Publiques.