Quand un monument du cyclisme belge parle d’un autre monument du cyclisme belge. Alors que Philippe Gilbert s’apprête à saluer le cyclisme samedi lors de son jubilé, Patrick Lefevere est revenu au micro de Laurent Bruwier sur les trois années que le Liégeois a passées au sein de son équipe. Le manager général de l’équipe Quick-Step Alpha Vinyl explique notamment pourquoi "Phil" a signé en 2017 pour le Wolfpack, après plusieurs tentatives avortées.
Alors qu’il courait à l’époque pour l’équipe américaine BMC, le champion du monde 2012 contacte directement Patrick Lefevere : "Un soir, Philippe m’appelle. Je lui dis directement que l’équipe n’a pas le budget pour se l’offrir. Il me dit " Patrick, ce n’est pas une question de budget. J’ai trois trous dans mon palmarès : Milan-San Remo, le Tour des Flandres et Paris-Roubaix. Avant de m’arrêter je veux remporter ces trois courses. Et la seule équipe au monde avec laquelle je peux y arriver, c’est la tienne". Philippe m’envoie un mail avec ses conditions à 23 heures, je dis oui à certaines conditions et non à d’autres, puis je vais me coucher. Le lendemain à 8 heures, il m’appelle et me dit : "Je suis à toi". Voilà. On avait discuté dix minutes, pas plus."
Avec Quick-Step, la chasse aux monuments
Si d’aucuns le pensaient sur le déclin, Philippe Gilbert va briller sous les couleurs du Wolfpack. Il remporte le Tour des Flandres dès sa première saison, puis Paris-Roubaix en 2019, deux ans plus tard. Seul Milan-San Remo échappera à Phil. Un échec que Patrick Lefevere relativise : "Je ne pense pas qu’il doit se dire "j’aurais pu gagner ceci ou cela". Il a tiré le maximum de sa carrière. Mais ce n’est pas par hasard. C’est un super professionnel, vous pouvez demander à tous ceux qui se sont entraînés avec lui. Je pense qu’il est venu chez nous au bon moment. Les gens disaient que sa carrière était finie, qu’il venait chez Patrick Lefevere pour encaisser un gros chèque. Puis il gagne deux monuments en trois ans".
Si Phil a procuré beaucoup de joie à son ancien manager, il lui a aussi fait une grosse frayeur sur le Tour de France 2018, lorsqu’il négocie mal un virage et passe par-dessus un parapet. Quatre ans après, Patrick Lefevere se "souvient de chaque instant. Il part de très loin, et prend la descente à bloc. Il arrive au virage, et je vois qu’il est surpris et qu’il commence à paniquer. Il freine, mais va beaucoup trop vite et passe au-dessus du mur. Les secondes entre l’impact et l’image quand il ressort, vous ne pouvez pas imaginer ce que je ressens à ce moment. Est-ce que la caméra va s’approcher, et je vais voir l’image du pauvre Casartelli ? Est-ce que je vais voir un gars cassé en trois morceaux ? Puis il sort, il remonte sur son vélo et lève le pouce. Ensuite, il a roulé 30 km avec un genou cassé."
"Si tu ne signes pas chez Lotto, tu es un con !"
L’aventure avec Quick-Step prendra fin après trois saisons bien remplies : "Il avait eu quelques propositions, notamment de la part de Lotto" se souvient Patrick Lefevere. "Lui voulait rester encore deux ans chez nous. Je lui ai dit : "Écoute Philippe. D’un, je n’ai qu’une année de contrat pour toi. De deux, je n’ai pas d’argent. Lotto t’offre un contrat de trois ans et double ton salaire. Si tu ne signes pas ça, tu es con !"
Gilbert signera donc chez Lotto-Soudal, où il enchaînera trois saisons moins prolifiques, avant de prendre officiellement sa retraite le 15 octobre 2022. Se pose maintenant la question de la suite. Si Patrick Lefevere avait à l’époque fait de Gilbert son potentiel successeur, le manager du Wolfpack ne se fait pas trop d’illusions : "Je pensais que Philippe était la personne idéale pour me succéder, mais je crains qu’il ne le fasse pas (rires). Il a vécu beaucoup de stress durant sa carrière, la pression du palmarès etc. S’il reprend mon rôle, ce sera de nouveau du stress. Il doit se reposer, s’amuser et profiter un peu de la vie".
Après 20 ans de carrière, 80 victoires dont un championnat du monde et cinq monuments, nul doute que le repos de Philippe Gilbert sera plus que mérité.