Ce n’est pas lui faire injure que d’écrire qu’il fait partie des meubles. À 67 ans, Patrick Lefevere est un dinosaure du monde cycliste, une référence, un sage. Il impressionne, il intrigue, parfois même… il intimide. Non, Patrick Lefevere n’est pas le Al Pacino du vélo. Mais il incarne malgré tout, et malgré lui, le rôle du parrain, du patron, du boss.
Coureur professionnel de 1976 à 1979 (NDLR : adversaire de Jean-Luc Vandenbroucke, Freddy Maertens, Ludo Peeters, Walter Planckaert…), il a vite compris, preuve d’intelligence, qu’il n’avait pas les capacités pour devenir un champion, malgré une victoire à Kuurne-Bruxelles-Kuurne en 1978. Après quelques années de formation sur le tas aux côtés de Walter Godefroot, le Roularien lance sa propre structure en 1992 : GB-MG Maglificio. Le début d’une longue aventure, Mapei succédant à GB, Quick Step succédant à Mapei. On ne vous fera pas ici le résumé de sa carrière de dirigeant, on ne vous listera pas l’ensemble des victoires décrochées grâce aux Gianni Bugno, Johan Museeuw, Mario Cipollini, Tom Steels, Michele Bartoli, Paolo Bettini, Frank Vandenbroucke, Tom Boonen, Mark Cavendish, Philippe Gilbert, Julian Alaphilippe, Remco Evenepoel, Fabio Jakobsen, etc. Mais une certitude, adulé ou détesté, Patrick Lefevere est une personnalité hors-norme, véritable catalyseur pour les sponsors et les médias. On a encore pu le constater lors de la toute récente annonce en grande pompe de son investissement dans le cyclisme féminin.
On dit souvent que " nul n’est irremplaçable ". On a un doute concernant le CEO du Wolfpack. Sachant que de nombreux partenaires commerciaux s’engagent " pour lui ", la structure, aussi solide soit-elle, peut-elle survivre à son créateur ? Comme vous le lirez ci-dessous, il n’y a pas d’inquiétude pour les cinq prochaines années. Certes, Lefevere a perdu Deceuninck fin 2021 mais il accueillera Soudal début 2023. Quant à la société Quick Step, présente depuis 2003, elle a prolongé jusqu’en 2027 ! Patrick Lefevere aura alors 72 ans. Entretien.
Patrick, très honnêtement, pensez-vous oui ou non à la retraite ?
" Non ! En tout cas, je n’y pense… plus. J’y ai évidemment pensé parce qu’on se doit d’y penser ! J’ai côtoyé des gens qui exerçaient leur métier depuis trop longtemps et qui faisaient l’année de trop. Moi, à un moment donné, j’ai dit ceci : " Soit je prends ma retraite, soit je resigne pour cinq ans ". Je ne voulais plus vivre le stress de devoir chaque année recommencer la recherche de sponsors, etc. J’ai récemment entendu Cian Uijtdebroecks dans un podcast où il expliquait clairement que je l’avais invité pour discuter mais sans pouvoir lui garantir un futur. Et c’est pour cela qu’il a choisi Bora-Hansgrohe où on lui a donné un contrat de quatre ans. Ça m’a fait réfléchir et j’ai donc accepté de poursuivre mais seulement avec un projet étalé sur cinq saisons, sinon j’aurais refusé. Désormais, que ceux qui veulent me suivre me suivent, tant pis pour les autres ! Vous savez, j’aurais pu vendre l’équipe. Sylvan Adams, le patron d'Israel-Premier Tech était candidat. Mais je savais qu’une fusion entre nos deux structures aurait fait des victimes. 30 coureurs et 50 employés, ça fait 80 personnes. Je voulais laisser vivre mon équipe… et c’est toujours le cas. "
Vous êtes-vous mis une deadline, une date que vous ne dépasserez pas ?
" Non et je me suis engagé auprès de mes principaux sponsors. Quick Step et Specialized m’ont dit, littéralement, qu’ils ne signeraient pas sans moi. C’est évidemment un grand compliment mais c’est aussi une grande responsabilité ! Comment vais-je faire ? Il faut que je continue de respirer le plus longtemps possible… "
Je connais mon métier. Quand je rencontre un coureur et que j’essaie de le convaincre de nous rejoindre, je n’utilise pas de PowerPoint ou d’applications comme d’autres teams… mais je ne raconte pas de bêtises !