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Patricia Hearst, victime ou complice d’un mouvement armé ? Le mystère reste entier près de 50 ans après son enlèvement

L'Oeil dans le Rétro

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Par Pierre Marlet via

C’est une histoire presque oubliée et qui pourtant a fait la une aux États-Unis et dans le monde durant plusieurs années. Le 18 septembre 1975, il y a donc 48 ans, après une longue traque, la police arrête Patricia Hearst.

Cette traque menée par le FBI a duré plus d’un an. Le 18 septembre 1975 il l’a enfin localisée dans le quartier populaire de Mission, à San Francisco. Pour passer inaperçus, les policiers se déguisent en hippies et arrêtent Patricia Hearst. L’arrestation fait sensation. Car Patricia Hearst, traquée par le FBI, avait été kidnappée un an et demi plus tôt. Autrement dit, c’est l’histoire d’une victime devenue délinquante. Ce kidnapping et cette arrestation marquent la société américaine des années 70.

Patricia Hearst, le kidnapping d’un nom connu de l’Amérique opulente

Comment est-on arrivé à cette situation presque paradoxale ?

Replongeons-nous en 1973. Patricia Hearst est une jeune fille de 19 ans qui vit avec son compagnon sur le campus de l’université de Berkeley au moment de son kidnapping. Si elle est enlevée ce jour-là, c’est parce qu’elle est issue d’une famille très riche : son grand-père se nomme William Randolph Hearst, celui auquel est consacré Citizen Kane, le film d’Orson Welles. Il a été au début du 20e siècle le rival de Pulitzer, le fondateur de la presse populaire.

Autrement dit, vu son pedigree, son kidnapping fait déjà la une des journaux. Mais l’affaire sort encore plus de l’ordinaire vu les raisons de ce kidnapping. Les ravisseurs portent le nom étrange d’armée de libération symbionaise. Symbionaise, de symbiose, qui en biologie désigne une interaction entre deux espèces différentes. L’idée sous-jacente serait celle d’une interaction positive entre les races. Son fondateur est noir, mais c’est le seul noir du groupe, il s’est évadé de prison où il a côtoyé des membres du Black Power. Le groupe prône la lutte armée. Il fait parvenir régulièrement des cassettes audios où l’on entend Patricia Hearst dire par exemple ceci : "Maman, papa, je vais bien. Je suis avec une unité de combat qui a des armes automatiques. Ces gens ne sont pas à côté de la plaque. Ils sont prêts à mourir pour ce qu’ils font et j’espère que tu vas le faire ce qu’ils disent papa, et que tu vas le faire rapidement". Les revendications de cette Armée de libération symbionaise sont dirigées vers la population marginalisée. Elle veut que le père Hearst distribue une aide à tous les démunis de Californie : l’équivalent de 70 dollars pour chacun d’entre eux, soit plusieurs millions de personnes. Cela paraît compliqué à réaliser. Le père de Patricia Hearst s’y essaie. Des camions chargés de nourriture partent pour distribuer une aide alimentaire. Mais c’est un désastre organisationnel et la plupart du temps les camions reviennent avec l’essentiel de leur marchandise.

 

La maison où a été arrêtée Patricia Hearst le 18 septembre 1975.
La maison où a été arrêtée Patricia Hearst le 18 septembre 1975. © Sygma via Getty Images – Tony Korody

Le syndrome de Stockholm pour rejoindre l’Armée de libération symbionaise

L’idée que dans cette Californie très riche des gens meurent de faim et que cela préoccupe ses ravisseurs est-elle un électrochoc pour Patricia Hearst ? On n’en sait rien, mais toujours est-il que Patricia devient Tania et annonce qu’elle rejoint la cause de ses ravisseurs. Elle lâche : "Je renonce pour le reste de ma vie à mon privilège de classe et je refuse de vivre entourée par des cochons comme les Hearst".

On verra alors Patricia devenue Tania participer, l’arme à la main, à un hold-up dans une banque avec l’armée de libération symbionaise. En apparence, la situation illustre bien le syndrome de Stockholm : une victime qui prend fait et cause pour ceux qui l’ont enlevée. À son procès, son avocat plaidera son innocence mais le tribunal la condamnera. Entretemps, l’essentiel du groupe aura été liquidé par la police sous les feux des caméras : l’Amérique assiste à un assaut de 7 heures mené par 400 policiers qui ne laissèrent aucune chance aux assiégés. Il est très probable que si Patricia Hearst avait été là ce jour-là, elle aurait péri sous les balles de la police. Mais elle se cachait dans une autre planque.

Patty Hearst filmée par une caméra de surveillance lors d’un braquage de banque à San Francisco.
Patty Hearst filmée par une caméra de surveillance lors d’un braquage de banque à San Francisco. © Keystone/Consolidated News Pictures/Getty Images

Patrica Hearst était-elle victime ou complice du groupuscule d’extrême gauche ?

48 ans plus tard, il reste une question épineuse en suspens : Patricia Hearst a-t-elle vraiment épousé la cause de ses ravisseurs ou a-t-elle juste fait semblant pour garder la vie sauve ?

Elle seule le sait sans doute. C’est toute l’ambiguïté de l’affaire. Dans un premier temps, le tribunal la condamne à sept ans de prison pour attaque à main armée. Elle y reste moins de deux ans. Les autorités voient ensuite les choses autrement : Patricia Hearst a subi des traumatismes. Ce braquage, elle y aurait participé sur ordre de ses ravisseurs et sous leur étroite surveillance. Finalement, c’est cette version qui l’emporte : en 2001, juste avant son départ de la Maison-Blanche, Bill Clinton signe sa grâce définitive. Un acte fort, mais qui ne lève pas les doutes sur l’innocence réelle de Patricia Hearst. L’histoire étonnante de cette jeune fille riche, victime ou complice d’un groupe d’extrême gauche… On a du mal, aujourd’hui, à mesurer l’écho que l’affaire a eu dans les années 70.

Patricia Hearst escortée de la prison du comté de San Mateo.
Patricia Hearst escortée de la prison du comté de San Mateo. © Bettmann Archive – Bettmann

Exemple marquant de cette période troublée : dans Starmania, l’opéra-rock de Luc Plamandon et Michel Berger, France Gall incarne Cristal, l’animatrice télé qui tombe amoureuse du chef de gang Johnny Rockfort. Avec comme chanson phare, Monopolis et ces paroles désabusées : "de New York à Paris, tout est partout pareil, on prend le même métro vers les mêmes banlieues". Ce personnage de Cristal, cette France Gall à la voix cristalline qui rêve d’un autre monde est, de l’aveu même de Michel Berger et Luc Plamandon, directement inspiré par Patricia Hearst.

Aujourd’hui, celle-ci a réintégré son monde, celui d’une dame respectable dans un univers de milliardaires de la côte ouest. À mille lieues de la figure de jeune fille gravée à jamais dans les images de l’Amérique des années 70.

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