Le parlement va donc s’emparer du débat sur la vaccination obligatoire. Dans le même temps, le commissaire corona Pedro Facon remet un rapport au gouvernement dans lequel il prône un passe vaccinal plutôt que l’obligation. Cela vaut la peine de relever quelles sont les valeurs ou les principes en jeu entre l’obligation et le pass vaccinal. Au-delà de la nécessité ou des réalités épidémiologiques, quelles sont les logiques éthiques à l’œuvre derrière les deux formules ?
Une logique incitative
La logique du pass vaccinal, comme celle du CST, c’est la logique libérale (en terme de philosophie, pas en terme politique du "MR" NLDR) ou domine le principe d’autonomie des individus. L’Etat reconnaît que chaque individu est autonome, il se fixe ses propres règles, il décide ce qui est bon pour lui, il décide quelle est sa conception de la vie bonne. Il se vaccine ou non, l’Etat ne prend pas la décision pour lui.
Problème de cette logique, il semble que l’Etat à une préférence. Il considère que malgré tout il y a un intérêt majeur à ce que l’ensemble de la population se vaccine. L’Etat fait alors ce qu’il fait toujours en régime libéral dans ce genre de cas, il incite, sans interdire ou obliger, il donne un coût (certains diront un coup) aux libertés. Il taxe par exemple les comportements plus polluants, il fixe un marché du carbone pour inciter les entreprises à décarboner leurs processus industriels. Il y a des centaines d’exemples du genre.
Le coût des libertés
Pourtant le CST, ou le pass vaccinal, ça va beaucoup plus loin qu’une taxe. Mais c’est une question de degré. Le CST comme le passe vaccinal est d’essence libérale. C’est une mesure d’équilibrage interne aux droits et libertés qui visent à compenser les dommages pour la société causés par l’usage des libertés. C’est la même logique à l’œuvre pour le marché du carbone, où les accises sur le tabac.
L’Etat est contraint par la nécessité de l’épidémie à fixer un coût à l’usage de l’autonomie vaccinale. Ce coût c’est un coût social ou sociétal : ne plus avoir accès à certains endroits. Peut-être à terme le coût ce sera de ne plus avoir accès à son travail ou aux services publics. Peut-être que comme au Canada ce sera de payer une taxe lorsqu’on n’est pas vacciné, ou comme à Singapour de ne plus voir ses soins remboursés lorsqu’on est hospitalisé et non vacciné. Tout cela heurte les conceptions intuitives de la solidarité et de la liberté. Ce sont pourtant des solutions de type libérales en termes de philosophie politique. Elles découlent du primat de l’autonomie reconnu aux individus mais que l’Etat équilibre en fonction d’intérêts ou pour sauvegarder d’autres droits et libertés.
Libertés cannibales
La question que les défenseurs des droits pose c’est : est-ce que ça ne va pas trop loin ? Et leur question est légitime. Est-ce que le principe d’autonomie n’en vient pas à être nié par le CST et le pass vaccinal. Car dans les faits l’Etat vous force à suivre un comportement particulier. Il vous contraint quasiment de choisir la vaccination avec des dispositifs qui ouvrent des questions majeures en termes de gouvernance et de surveillance algorithmique par exemple.
Et donc selon moi la question qui se pose c’est : est-ce que la logique du primat de l’autonomie n’en vient pas à se cannibaliser ? Est-ce que cette logique ne vient pas heurter un autre grand principe libéral le fait que l’Etat doit traiter avec le même respect tous les citoyens considérés comme des égaux ? Quand Emmanuel Macron considère que les non vaccinés ne sont plus des citoyens, c’est bien ce pilier qu’il foule aux pieds.
La logique de l’obligation
D’où l’idée de réfléchir à peut-être changer de logique, celle où l’Etat identifiant un intérêt général impose un choix et rend la vaccination obligatoire. C’est ce que l’Etat fait en instaurant l’obligation scolaire par exemple. Notre tradition démocratique a jugé que le coût d’une liberté totale d’éducation serait trop élevé. De nombreux enfants ne seraient pas scolarisés, seraient contraints au travail ce qui serait dans les faits un recul des libertés, de la liberté réelle de la population (sans parler ici des autres conséquences négatives comme le niveau d’instruction dans une société de la connaissance). Au nom de la liberté, les démocraties doivent parfois mener des politiques égalitaires. Est-ce qu’à l’instar de l’école, le risque du primat de l’autonomie ne conduit pas à une cannibalisation des libertés, à une société de la surveillance et du pass vaccinal ?
Est-ce que l'obligation ne serait pas le meilleur moyen de préserver nos libertés? Est-ce que, comme pour l’école, nous ne sommes pas face à un intérêt général à ce point majeur pour la communauté qu’il nous faut abandonner, au moins provisoirement en matière de vaccination le primat de l’autonomie par un primat de la solidarité ou un primat du bien commun ? Et si le parlement souhaite malgré tout garder la primauté de l’autonomie, il doit expliquer comment l’Etat compte donner un "coût" au choix de ne pas se faire vacciner qui ne heurte pas nos conceptions de la solidarité et de la liberté.
C’est à mon sens la question à laquelle la délibération publique du parlement doit répondre.