Une utilisation qu'il estime tout à fait contraire à l'esprit originel de la chanson: il envisagerait donc de porter plainte contre ce qu'il estime être un détournement. Mais en a-t-il le droit?
Droits patrimoniaux et droits moraux
Ce qu'on regroupe traditionnellement sous le vocable "droits d'auteurs" regroupe en fait deux types de droit.
Les droits patrimoniaux permettent aux titulaires de droits sur une œuvre littéraire ou artistique d’en tirer des revenus. En gros, ils réservent aux titulaires le droit d’exploiter l’œuvre, que ce soit via des reproductions (CD, DVD, etc.) ou le droit de la communiquer au public (radiodiffusion, mais aussi diffusion lors d'un événement). Mais la plupart des artistes délèguent la gestion de ces droits à des sociétés de droits d'auteur, la SABAM en Belgique, la SACEM en France. Ce sont ces sociétés qui gèrent les autorisations, collectent les droits et les rétribuent aux artistes.
Il semblerait ici que les organisateurs de la Manif pour Tous n'aient pas sollicité cette autorisation auprès de la SACEM française. Mais en général, c'est réglé via une amende, avec majoration pour non-déclaration préalable.
Mais il existe aussi un autre type de droits: les droits moraux. "Ceux-là sont personnels, nous explique Olivier Maeterlinck, porte-parole de la SABAM. Nous ne les gérons pas, c'est à chaque artiste, individuellement, de les faire valoir s'il s'estime lésé".
Or, parmi ces droits moraux figure le droit à l'intégrité, ou droit au respect de l’œuvre, qui permet à l'auteur de s'opposer à toute modification ou déformation de son oeuvre. Mais l’auteur peut également invoquer ce droit moral lorsque l’utilisation de l’œuvre porte atteinte à l’esprit de l’œuvre, parce qu’elle en change le contexte ou le sens.
Détournement
Ce qui semble bien être le cas ici, puisque la Manif pour Tous utilise la ritournelle "papa, où t'es?" pour souligner la nécessité d'un père pour concevoir un enfant, alors que la chanson de Stromae faisait référence à une expérience très personnelle d'un père certes peu présent pour son éducation, mais qui a surtout été assassiné pendant le génocide rwandais.
Contactée par les équipes de l’émission Quotidien, diffusée sur TMC, l’attachée de presse du chanteur a réagi avec fermeté. "On est contre l’utilisation et le détournement de la chanson et de son message", a-t-elle fait savoir.
"Il peut aller en justice, nous confirme Me Berenboom, réclamer des dommages et intérêts pour le dérapage donné à son oeuvre, mais il peut aussi demander aux responsables de la manifestation de supprimer de leur site toute image qui reprend sa chanson dans ce contexte politique".
Exception
A noter qu'il existe une exception à ce droit à l'intégrité: dans certaines circonstances, le droit à la parodie est accordé, à condition que le but du détournement soit clairement humoristique, ce qui ne semble pas être le cas pour la manif pour tous...