Belgique

Oxfam propose de taxer les grandes fortunes mondiales de 5% : qu’en pensent les économistes ?

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Par Romane Bonnemé et Guillaume Woelfle

Dans la conclusion de son rapport annuel sur l’augmentation des inégalités, par ailleurs décrié, l’ONG Oxfam recommande de davantage taxer les grandes fortunes pour diminuer les écarts de richesse dans le monde. Selon l’ONG, "un impôt annuel allant jusqu’à 5% sur la fortune des multimillionnaires et des milliardaires du monde pourrait rapporter 1700 milliards de dollars par an." Un avis partagé d’ailleurs également par plus de 200 millionnaires qui, dans une lettre ouverte publiée le 18 janvier, demandent la mise en place d’un impôt sur les plus fortunés.

La solution d’un impôt sur les très grandes fortunes est-elle pour autant la bonne ? Pour François Maniquet professeur d’économie de l’UCLouvain, il est "absolument clair que taxer la fortune aura un impact sur les inégalités". Mais pour lui, se pose directement la question de la richesse cachée de certaines grandes fortunes, justement "pour échapper à l’impôt".

Lorsqu’une taxe sur les grands patrimoines est évoquée, la crainte souvent citée est que cette taxe devrait pousser les plus grandes fortunes à vendre les actions, et donc à décapitaliser les entreprises impliquant moins d’investissements et moins d’emplois dans ces entreprises. Autrement dit, taxer ralentirait l’économie. Ce à quoi s’oppose l’économiste à la Fondation Joseph Jacquemotte, Xavier Dupret. "Est-ce qu’on a vu au cours des 50 dernières années des mesures qui visaient à favoriser la détention et la circulation de capital financier, en réduisant les taxes sur la propriété mobilière ? Oui, c’est le cas. Est-ce que ça s’est traduit par une augmentation des investissements, en proportion de PIB, dans l’ensemble des pays occidentaux ? Et bien non. Donc d’une part, la baisse de la taxation n’impacte pas positivement les entreprises. Et d’autre part, cela ne va pas détourner les investisseurs d’acheter des actions tant que le niveau de taxation ne dépasse par la profitabilité des actions". En d’autres termes, selon Xavier Dupret, il n’y a pas vraiment de frein à appliquer cet impôt de 5% sur les grandes fortunes.

Le chief economist d’Orcadia Asset Management, Etienne de Callataÿ n’écarte pas non plus l’idée d’augmenter l’imposition des plus nantis, mais il s’oppose vivement à l’idée d’un impôt sur la totalité du patrimoine. Selon lui, il faudrait plutôt taxer l’utilisation de la fortune plutôt que la possession de la fortune et le faire d’autant plus si cette utilisation est nocive pour l’environnement par exemple. "Je préférerais que l’on taxe des indicateurs de richesse comme les yachts, les secondes résidences, les produits de luxe ou les produits nocifs pour l’environnement comme les jets privés ou les voitures de sport. Et je trouve même que nous sommes trop gentils par rapport à cela pour l’instant."

 

Comme ses deux collègues, François Maniquet s’exprime lui aussi pour un relèvement des impôts. Il constate que si la valeur de l’impôt est trop faible, il n’aura aucun impact sur la diminution des inégalités entre riches et moins riches. Et rejoint l’un des arguments d’Oxfam : "Si l’on compare le montant de taxe versée au revenu, dans bon nombre de pays, les riches ont un taux moyen de taxation inférieur au taux de taxation des pauvres".

Bien taxer c’est financer la redistribution, financer les écoles, les hôpitaux, tous les biens publics de manière qui soit le moins néfaste possible à l’économie

Reste la question de savoir comment utiliser au mieux cet impôt. Etienne de Callataÿ pose une question qu’il veut rhétorique : "Manquons-nous vraiment de recettes fiscales ou d’efficacité de l’argent public ?" Et l’ancien conseiller du Premier ministre Jean-Luc Dehaene dans les années 90 de prendre un exemple : "nous avons l’un des enseignements les mieux financés du monde, mais il n’est pas aussi efficace qu’espéré". "Bien taxer ça veut dire essayer de financer la redistribution, de financer les écoles, les hôpitaux, tous les biens publics de manière qui soit le moins néfaste possible à l’économie" reprend François Maniquet, tout en pointant la responsabilité des gouvernements et de leur "agenda politique".

Et si les trois économistes se prononcent en faveur d’une taxation plus importante des plus fortunés, selon des modalités différentes, c’est probablement parce que l’objectif de réduire les inégalités ne semble être remis en question par personne. Dans l’étude citée par Xavier Dupret, le FMI indiquait "un consensus dans la littérature" pour signifier que "l’inégalité peut saper les progrès en matière de santé et d’éducation, provoquer une instabilité politique et économique réduisant les investissements, peut saper le consensus social nécessaire pour s’adapter aux chocs, et donc, in fine, peut réduire le rythme et la durabilité de la croissance."

Le Bureau fédéral du Plan en Belgique, lui, indique plus sobrement que "pour atteindre l’objectif de développement durable d’ici 2030, ce chiffre (l’indice de Gini, ndlr) ne doit pas augmenter." L’indice de Gini, c’est un indicateur des inégalités dans un pays donné. Si l’indice augmente, c’est que les inégalités augmentent également.

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