Dans quel monde on vit

Ovidie : « Nous sommes évaluées en fonction de notre capacité à faire bander »

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Par Tania Markovic via

À l’âge de trente-huit ans, la documentariste et autrice Ovidie a décidé de mener vis-à-vis des hommes une "grève du sexe reconductible". Dans La chair est triste hélas paru chez Julliard, elle énumère les raisons qui l’ont conduite depuis près de quatre ans à s’"extraire de la sexualité" et ce que cela a modifié dans son rapport au monde, et aux autres.

Ovidie a entrepris sa grève du sexe par refus d’être assignée à un rôle, celui de la séductrice que la société somme aux femmes de jouer. "Le premier rôle d’une femme dans la société, ce n’est en aucun cas d’être une mère, ni une grande professionnelle, et encore moins une intellectuelle", nous dit-elle. Son rôle est "d’abord d’être un corps, et un corps désirable de surcroît".

Cette injonction se couple à un certain nombre d’obligations afin de répondre aux différents critères qui caractérisent "la femme attractive". Des obligations qui ont un coût financier comme temporel et qu’Ovidie nomme le "marché de la baisabilité" que Virginie Despentes dénonçait déjà en 2006 dans King Kong Théorie comme "le marché de la bonne meuf".

De ce travail genré et non rémunéré mené par des femmes pour séduire des hommes qui, eux, n’ont même pas la courtoisie de "se laver les mains" avant un rapport, Ovidie nous dit qu’il s’agit d’"un travail à temps plein" :

Entre les rides à effacer, le poids à perdre, les racines à cacher, les ongles à vernir, le sport, les injections à faire, il faut parfois presque poser un RTT (ndlr, un système de repos compensatoire en France) finalement pour aller baiser avec un homme !

Et c’est sans compter ce qu’elle appelle le "service après-vente" : les dosettes de Monuril à aller chercher en catastrophe parce qu’on a une cystite ou une mycose à traiter à cause de leur négligence

C’est de ce "marché de la baisabilité" qu’Ovidie a voulu s’extraire en entamant sa grève. Tant d’efforts pour si peu de plaisir, le jeu n’en valait pas la chandelle ! À ceux qui lui rétorqueraient qu’elle est "mal baisée", Ovidie rétorque :

Bien sûr que je suis mal baisée, je le dis haut et fort et je n’ai pas honte de le dire ! Cette insulte est quand même intéressante, si on est effectivement mal baisée, la honte ne devrait pas nous revenir, elle devrait être du côté de nos partenaires, c’est quand même ça le problème !

Toutefois, Ovidie reconnaît avoir sa part de responsabilité. "Nous sommes responsables aussi puisque nous sommes les premières à leur faire croire que c’est génial, je m’inclue dedans, on participe à cette servitude volontaire, ce grand mensonge en prétendant que c’est super, que l’on a besoin de cela pour notre épanouissement avec eux."

Depuis qu’elle s’est retirée "avant l’heure" (ce qu’elle appelle "la date de péremption du yaourt") de la partie, Ovidie a découvert de nouveaux plaisirs : "Quel luxe d’arrêter de baiser quand on est encore baisable !". Un luxe qui lui a permis de "prioriser, de vaquer à ses occupations, d’obtenir d’autres gratifications qu’à travers le regard masculin, d’écrire, de faire des films" et même de passer sa thèse de doctorat !

Dans sa vie professionnelle, il lui arrive de collaborer avec des hommes. Elle a notamment travaillé avec Tancrède Ramonet sur deux séries documentaires diffusées sur France Culture : "Vivre sans sexualité" et "Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour ?". Ovidie ne cherche pas à couper les ponts avec les hommes, à vivre dans un huis clos où ne vivraient que des bonnes sœurs (qu’elle confie pourtant apprécier tout particulièrement) mais bien, dans la lignée de Mona Chollet, "à sortir de ce monde pour développer des relations plus égalitaires", des relations qui ne seraient pas entachées par le patriarcat. Ovidie aspire à des rapports fraternels avec les hommes, mais, comme elle le dit elle-même, "on ne désire pas son frère". Le sien s’est ôté la vie suite à un chagrin d’amour.

Depuis, Ovidie vit pour deux. "Sans le vouloir, j’ai peut-être fait de mon corps le mausolée de mon frère". Elle confie craindre l’amour, avoir peur de se noyer dans l’autre, et place ses espoirs dans l’amitié. Si elle se défend d’avoir écrit un manifeste, ses mots parfois y ressemblent à s’y méprendre, comme quand elle pousse ce cri du cœur :

Vive le compagnonnage désexualisé, vive l’amitié mixte […] Et surtout, sublimons ensemble.

Ovidie est à retrouver aux côtés de Jeanne Balibar dans l’émission Dans quel Monde on vit de Pascal Claude ce samedi 10 juin sur La Première.

Ovidie
Ovidie © Charlotte Krebs

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