Jam

Ottis Cœur : liberté, égalité, sororité

© Carolina Moreno

Par Diane Theunissen via

En novembre dernier, les mélomanes bruxellois·es découvraient pour la toute première fois le duo parisien Ottis Cœur sur la scène brûlante du Fifty Lab. Guitares électriques sous le bras et quelques singles au compteur, les deux comparses Margaux et Camille reviennent en grandes pompes avec un deuxième EP assumé et libérateur, Léon. Rencontre.

Votre deuxième EP Léon sortira dans quelques jours. Comment est-ce que vous vous sentez à quelques jours de la sortie ?

Camille : C’est bientôt, on est super excitées ! On est trop contentes parce qu’on a aussi reçu… des vinyles. 

Margaux : On avait fait une édition spéciale avec le premier EP sur la Face A, et le deuxième EP sur la Face B. Déjà ça c’est trop bien, puis il y a la collab avec Howlin’ Banana Records aussi. On a une très belle équipe autour de nous. On est bien contentes !

En effet, vous sortez cet EP sur le label parisien Howlin’ Banana Records. Comment cette collaboration a-t-elle vu le jour ?

Margaux : La collab avec Howlin’, on a entendu des rumeurs comme quoi il aimait bien ce qu’on faisait. On a organisé un call avec lui et le courant est bien passé. Il a une mentalité qu’on aime beaucoup, très axée sur l’artistique et sur la liberté des artistes. Il n’y a pas vraiment de contrat qui nous lie à proprement parler, c’est une relation de confiance. C’est cool, ça nous permet de rester pas mal indépendantes. Il est toujours très à l’écoute, c’est un passionné. Et c’est toujours très agréable de travailler avec des gens passionnés. 

Dans quel contexte ce projet a-t-il été créé ?

Camille : L’EP, on l’a terminé en août dernier. On l’a travaillé sur une longue période : on a fait pas mal d’aller-retours entre plusieurs versions qu’on avait faites. On a un peu changé les arrangements, on a travaillé à la maison, on a travaillé en studio avec Bénédicte Schmitt qui a mixé les titres. On a fait pas mal d’aller-retours et tout a évolué comme ça au fil des mois, pour qu’on arrive finalement avec quelque chose de concret et de terminé en août. 

Loading...

Tout s’est fait à Paris ?

Camille : Oui

Margaux : Quoique ! On a aussi fait des choses dans le 93. C’est marrant parce que ce sont des chansons qui datent d’il y a assez longtemps. Juste après le confinement, on s’est isolées pendant environ un mois pour composer en Picardie. Il y a d’autres morceaux qui sont nés à ce moment-là et en fait ces morceaux ont d’abord vécu en concert. Le travail ça a été de les réarranger et du coup, oui, ça s’est étalé sur une très longue période. 

La dimension live fait-elle partie intégrante de votre processus créatif ?

Camille : Ça dépend un peu, on a eu plusieurs phases. Il y a des titres qu’on jouait directement, on voyait ce qu’il se passait puis on les arrangeait. À d’autres moments, ça nous est arrivé de (…) En fait c’est pas très réfléchi, les choses se font naturellement. 

Au niveau de la composition, comment est-ce que vous vous partagez le boulot ?

Camille : On n’a pas encore vraiment de processus acquis. Pour chaque morceau, ça a été un peu différent : soit il y en a une qui ramène quasiment tout et on travaille uniquement les arrangements, soit il y en a une qui apporte un couplet et on travaille ensemble un refrain, ça varie. Pareil pour l’écriture, il n’y a pas encore de méthode très cadrée. 

Que ce soit sur scène ou en studio, vous allez l’air de très bien vous entendre. Comment est-ce que vous vous êtes rencontrées ?

Margaux : Est-ce que c’est la musique ou c’est l’alcool (rires) ? 

Camille : On va dire la musique, quand même. On était toutes les deux inscrites à une formation de musique à Paris, c’est là qu’on s’est rencontrées. C’était en octobre 2019. Donc c’est la musique d’abord, on n’a pas commencé dans un bar (rires). Après, on s’est confinées ensemble, et c’est à ce moment-là qu’on a commencé à composer ensemble. C’était pour notre premier EP.

Loading...

Comment est-ce que Léon diffère de votre premier projet, Juste Derrière Toi ?

Margaux : Je crois que le changement se situe au niveau du processus. Le premier EP, on l’a enregistré et composé en même temps. Il y a eu ce truc très brut, puis les concerts sont passés par là. Je pense que certains morceaux ont des structures qui s’apparentent plus à de la musique live. Sur le son aussi, on a fait un gros travail. En live, on a utilisé plein de pédales, on a fait plein de résidences, etc. On a bien progressé. Au niveau des thématiques aussi : le premier EP il symbolise la colère, la rage de deux meufs qui se rencontrent et qui sont vénères. On s’est peut-être un peu plus apaisées sur le deuxième EP. La colère est passée, on est encore un peu amères mais ça s’est apaisé.

Camille : L’autre chose qui a changé, c’est qu’on travaille maintenant avec Amélie Leroux, qui est une batteuse avec qui on a commencé à jouer. Elle compose, elle enregistre et elle arrange les morceaux avec nous. Elle est donc vachement présente sur le deuxième EP. 

Au niveau des thématiques, vous restez assez engagées avec des titres comme “Labrador” ou encore “Jamais Je Ne Viens”. Comment est-ce que vous définiriez la nouvelle ère Ottis Coeur ? Quel est le fil conducteur de l’EP ?

Margaux : L’émancipation. 

Camille : Moi je dirais force tranquille ! 

Margaux : En fait il y a un peu les deux dans cet EP. Il y a un truc sombre et un truc plus lumineux. Certains morceaux sont plus légers que d’autres.

Camille : Après c’est assez libre aussi. On n’a pas fait 6 chansons dans un thème précis, c’est assez varié. On peut vraiment retrouver une forme de liberté et d’émancipation, comme le disait Margaux. 

Est-ce que vous diriez qu’il y a moins de choses à prouver à l’industrie, maintenant que le premier projet est sorti ? Est-ce que vous vous sentez plus rodées ?

Camille : On se sent beaucoup plus légitimes maintenant. Du coup, on peut continuer à créer sans trop se poser de questions. Puis on est toujours assez libres parce qu’on n’a pas d’obligation de contrat. Il y a plus d’assurance sur scène, aussi. 

La scène indie rock parisienne est encore très (trop) dominée par les hommes. Comment vivez-vous cela ? Est-ce que vous avez pu constater une évolution ces dernières années ?

Margaux : Ce qui est cool, c’est qu’il se passe plein de trucs en ce moment. On n’est pas au bout du combat mais il y a plein de programmateurs et programmatrices de festivals qui font en sorte que la programmation soit plus paritaire. Il y a beaucoup de dispositifs qui mettent en avant les femmes, et pas seulement dans la musique d’ailleurs, mais aussi dans tout le secteur culturel. Il se passe plein de choses. Être au cœur de tout ça et se sentir entourées de toute cette team de gens qui veulent faire bouger les choses, c’est cool. Après, j’avoue que j’ai un peu l’impression d’être dans un petit cocon : je me sens moins attaquée parce que je suis entourée de plein de gens qui sont en phase de déconstruction. Mais c’est vrai que j’ai un peu hâte et peur de voir ce qu’il se passe quand on sort de cette bulle-là.

Loading...

Ces dernières années, l’indie rock est revenu en force au sein de la scène musicale parisienne. Est-ce que vous vous sentez appartenir à cette communauté ? 

Margaux : En fait, cette scène rock elle a toujours été là, elle a galéré et maintenant elle est un peu plus mise en avant (…) Mais ça reste encore très précaire, il n’y a pas beaucoup de cachets dans le rock en France.

Camille : C’est ça, ça reste encore assez indé justement. Les groupes de rock il y en a pas mal à Nanterre, ils jouent dans des petits café-concerts. Après, il y a clairement une entraide. C’est comme un grande famille. 

Margaux : La scène rock indé elle est française, elle n’est pas parisienne. Les gens de Paris connaissent les gens de Lyon, qui connaissaient les gens de Bordeaux. Tout le monde communique, tout le monde se retrouve sur les mêmes dates, etc. Après, je ne dirais pas qu’on appartient à cette scène-là. Nous, on a sauté le step “café-concert” : on est directement passées au niveau national. On reste proches de ces groupes qu’on va voir en concerts, mais on ne les côtoie pas souvent. Ce qui est dommage, d’ailleurs. 

En parlant de groupes et de scènes, quels sont les artistes qui ont aiguillé votre identité sonique actuelle ?

Margaux : Francis Cabrel (rires). Non je rigole. Déjà pour le premier EP on avait pas mal écouté The Kills, Feist, The White Stripes, des trucs comme ça. 

Camille : On a aussi beaucoup écouté Gustaf, qui est bien roots aussi en termes de sonorités. Tu vas trop kiffer, c’est trop bien. C’est une sorte de post-punk hyper léger avec pas mal de meufs sur scène. 

Margaux : Ces derniers temps on a aussi écouté pas mal Fontaines DC, des trucs plus rock actuel aussi. 

Vos influences sont, pour la plupart, issues de la scène anglo-saxonne. C’est assez marrant quand on sait que toutes vos paroles sont en français ! Comment est né ce choix ?

Margaux : C’était un évidence (rires).

Camille : Moi j’ai toujours écrit en français parce qu’en anglais je suis vraiment une brêle. Du coup quand on s’est confinées avec Margaux, je l’ai un peu amenée vers le français puis sans trop réfléchir, on s’est mises à composer en français. Mais comme Margaux composait principalement en anglais, on a un peu fait un mix des deux en jouant sur les accents toniques, par exemple. Les placements rythmiques diffèrent complètement d’une langue à l’autre, c’est super intéressant. 

Margaux : les sonorités avec les mots en français deviennent moins monotones, en fait. C’est plus percussif (…) On rentre dans plusieurs cases, mais à chaque fois on ne coche pas tous les critères de chaque case. Mais c’est cool, ça veut dire qu’il y a matière à creuser ! Pendant longtemps, le rock français a été pas mal critiqué, et perso je trouve ça cool de ramener ça de manière si frontale. Donc merci Camille d’avoir amené le français dans ma vie (rires).

Vos clips sont aussi cools que vous morceaux. C’est vous qui vous chargez de l’identité visuelle du groupe ?

Margaux : Oui ! Nos clips sont à l’image de notre processus créatif (si on en a un) : très brut, très spontané. Les clips, en général, on les fait en deux jours, sans trop de budget. Ça reste sans prétention, à notre image. Tout est assez cohérent, je trouve. On n’essaye pas d’appartenir à un courant à la mode ou quoi que soit. J’ai envie de cracher sur les typos 3D qui dégoulinent, tu vois ce que je veux dire ? Tout le monde a ça ! C’est insupportable. C’est triste parce que l’image c’est tellement important aujourd’hui dans le métier d’artiste, c’est rassurant à la fois de se caler sur quelque chose qui existe déjà, mais il ne faut pas oublier que c’est un package. Tout doit être cohérent, et c’est assez cool de s’en charger soi-même. C’est clairement une réflexion que l’on mène en parallèle de notre musique. 

Loading...

Pour terminer en beauté, est-ce que vous pourriez me parler d’un·e artiste que vous écoutez en boucle en ce moment ?

Camille : Toujours Gustaf ! On a aussi découvert Ada Oda, c’est trop bien. Je trouve que ça apporte du soleil dans tous ces jours gris qui défilent à Paris.

Margaux : Moi j’ai découvert un groupe qui s’appelle Tweens, ça ressemble un peu à Johnnie Carwash. C’est très cool, c’est deux soeurs jumelles !

Ottis Coeur présentera Léon le 16/03 à La Flèche d’Or à Paris. Si vous êtes dans le coin, n’hésitez pas à passer une tête – vous ne serez pas déçu·es, loin de là. 

Inscrivez-vous à la newsletter Jam

Recevez chaque semaine toutes les actualités musicales proposées par Jam., la radio "faite par des êtres humains pour des êtres humains"

Tous les sujets de l'article

Articles recommandés pour vous